1. Introduction
En Afrique de l’Ouest, la consommation de produits laitiers est en pleine augmentation du fait de la croissance démographique, de l’urbanisation et du changement des habitudes alimentaires, notamment celles de la classe moyenne. Au Burkina Faso, entre 1970 et 2018, cette consommation est passée de 4,1 à 21,6 millions de tonnes d’équivalent lait par an. Cette augmentation de la consommation de lait est une opportunité pour les acteurs de la filière lait local. Au Burkina Faso, les unités de transformation de lait se sont multipliées, passant de 25 en 2006 à 157 en 2018.
Mais les unités transformant du lait local connaissent des difficultés d’approvisionnement pendant la saison sèche, la production étant assurée à 95% par des éleveurs laitiers extensifs. En effet, dans ces élevages, l’alimentation des troupeaux est fondée toute l’année sur le pâturage. En saison sèche, la faible qualité des ressources pâturées, que ce soit les résidus de culture laissés au champ ou les végétations spontanées des parcours, entraîne une baisse des quantités de lait trait et conduit à une chute drastique de l’offre de lait.
Cette faiblesse de l’offre de lait en saison sèche induit une augmentation de son prix auprès des consommateurs directs et des unités de transformation de lait. Pour soutenir la production laitière et tirer profit d’un prix de vente plus intéressant, les éleveurs extensifs burkinabè mettent en œuvre diverses stratégies de complémentation des vaches traites. En plus du pâturage, ils distribuent des fourrages conservés constitués de foin de brousse et/ou de résidus de culture ramassés avant la vaine pâture. Ils distribuent aussi de faibles quantités de concentrés locaux, constitués principalement de tourteau de coton et de sons de céréales. Au regard de l’opportunité du marché du lait local, notamment en saison sèche, des stratégies d’adaptation des systèmes d’alimentation des vaches traites sont développées par certains éleveurs extensifs pour améliorer les performances techniques et économiques de leurs élevages laitiers. Cette nouvelle dynamique dans les systèmes de conduite alimentaire des acteurs mérite d’être caractérisée afin de mieux cerner leurs forces et faiblesses et d’identifier les opportunités de leur amplification et de leur diffusion.
L’étude a eu pour premier objectif de caractériser les pratiques d'alimentation des ateliers de vaches traites en saison sèche dans les élevages laitiers extensifs. A partir de là, le but a été d’identifier des stratégies innovantes qui pourraient être intéressantes à développer pour soutenir l'intensification agroécologique de la production laitière au sein des systèmes d'élevage basés sur les pâturages naturels.
- Matériel et Méthodes
Zone de l’étude
L’étude a été conduite dans les bassins laitiers de Bobo-Dioulasso (province du Houet) et de Banfora (province de la Comoé) au Burkina Faso. Ces sites ont un climat sud-soudanien qui est caractérisé par 7 mois de saison sèche, d’octobre à avril, suivis de 5 mois de saison pluvieuse. La pluviosité annuelle varie en moyenne de 900 à 1 200 mm. Dans les deux bassins laitiers, les unités de transformation de lait traitent entre 40 et 2 000 litres de lait par jour. Pour aider au développement des unités qui s’approvisionnent en lait local, l’Etat et ses partenaires ont favorisé la création et l’équipement de centres de collecte de lait dans les zones de production laitière. Ceux-ci organisent les éleveurs en coopératives pour faciliter la livraison du lait frais aux unités de transformation de lait.
Les données ont été collectées de février à avril 2019 par des enquêtes (figure 1) auprès d’un échantillon de 134 éleveurs répartis autour de 14 centres de collecte de lait de Bobo-Dioulasso (67 éleveurs) et de Banfora (67 éleveurs). Les responsables des coopératives ont fourni les premiers contacts. Les contacts des autres éleveurs ont été obtenus auprès des éleveurs enquêtés selon la méthode boule de neige (respondent driving sampling).
L’enquête a été réalisée en deux passages. Le premier passage a permis de collecter des informations relatives à la structure de l’élevage en 2019 à travers les variables suivantes : surface agricole, effectif du cheptel bovin, effectif de l’atelier de vaches laitières, recours à la main d’œuvre extérieure, etc. Au second passage des informations ont été collectées sur les pratiques habituelles d’alimentation des vaches traites en saison sèche chaude (février à mai) à travers une estimation des variables suivantes : la durée de conduite quotidienne au pâturage, les différents aliments ainsi que les quantités distribuées par vache traite en complément du pâturage et leurs prix, la production laitière journalière par vache suivant les saisons.
Figure 1 : collecte de données auprès d’un éleveur du centre de collecte de lait de Farako-Bâ
Pour analyser les données, les fourrages distribués ont été répartis en deux catégories. Les fourrages dits de qualité, les fanes de légumineuses et/ou de fourrages cultivés et bien conservés constituent une première catégorie. Ils ont des valeurs nutritives relativement élevées, en moyenne 11% de teneur en matières azotées totales (MAT) et 50 % de digestibilité de la matière organique (dMO). Les fourrages de moindre qualité constituant la seconde catégorie sont des résidus de cultures de céréales (paille de riz, tiges de sorgho et/ou de maïs). Ils présentent des valeurs nutritives faibles : 3% de MAT et 25% de dMO.
Une typologie des systèmes de conduite alimentaire des vaches en saison sèche a été faite grâce à des analyses multivariées. Une analyse en composantes principales (ACP) a été réalisée avec 11 variables : 7 variables actives sur les pratiques d’alimentation des vaches laitières et 4 variables supplémentaires sur des éléments de la structure de l’exploitation (tableau 1). Puis, une classification ascendante hiérarchique (CAH) a été réalisée à partir des coordonnées factorielles des individus sur les 3 premiers axes de l’ACP, permettant d’identifier une partition en 5 classes. Les performances technico-économiques des cinq groupes d’élevages ont alors été comparées avec 3 variables : i) la quantité de lait traite par vache et par jour en saison sèche, ii) le chiffre d’affaires du lait, et iii) le solde sur coûts alimentaires par vache (chiffre d’affaires du lait moins les dépenses de complémentation alimentaire des vaches). Toutes les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel R version 4.1.0 (R Core Team, 2021). La comparaison des moyennes a été faite par le test de Kruskal-Wallis au seuil de 5%.
Tableau 1 : Variables utilisées pour l’ACP
Légende :
* Fourrages de qualité = fanes de légumineuses et/ou fourrages cultivés et bien conservés ayant des valeurs nutritives relativement élevées : matières azotées totales = 11% MS et digestibilité de la matière organique = 50% en moyenne.
** Concentrés alimentaires locaux = sous-produits de la transformation industrielle ou artisanale des produits agricoles (tourteaux de coton, sons de céréales, farine basse de riz, drêches, mélasse, etc.) et aliments concentrés produits au Burkina Faso.
- Résultats
Systèmes d’alimentation des vaches traites en saison sèche
En fonction du temps de pâture en saison sèche et du niveau d’apport de compléments alimentaires, cinq systèmes de conduite alimentaire (SCA) des vaches traites ont été distingués chez les éleveurs laitiers extensifs de l’ouest du Burkina Faso (figure 2).
Les durées moyennes des temps de pâture de SCA1, SCA2, SCA3, SCA4, compris entre 8 et 10 h/j, sont apparues homogènes (p˃0,05) et significativement inférieures (p<0,0001) à celle de SCA5 (21 h /j).
Les éleveurs du SCA1 distribuent de grandes quantités de fourrages (3 360 ± 1 424 kg MS/vache/an – MS : matière sèche) avec des apports modérés de concentrés (253 ± 244 kg MB/vache/an – MB : matière brute). Ceux du SCA2 distribuent des quantités moyennes de fourrages (1 393 ± 972 kg MS/vache/an), avec de faibles quantités de concentrés (196 ± 128 kg MB/vache/an). Dans ces deux systèmes, les fourrages proviennent essentiellement de l’exploitation. Les fourrages de qualité représentent une part importante, respectivement 39 et 54% du total. Ils sont en partie issus de cultures fourragères comme le niébé ou le sorgho, à double usage, cultivées principalement en association sorgho-niébé sur des superficies allant de 0,25 à 1 ha. Le SCA3 est caractérisé par une distribution importante de concentrés (484 ± 404 kg MB/vache/an) et de fourrages en faible quantité (814 ± 468 kg MS/vache/an), principalement achetés. Les SCA 4 et 5 se caractérisent par de faibles quantités de fourrages et de concentrés apportés en complément du pâturage.
Performances technico-économiques selon le système de conduite alimentaire en saison sèche
La production laitière en saison sèche est en moyenne plus élevée chez les éleveurs du SCA1 avec 1,7 ± 1 l/vache/j (tableau 2). Pour les autres groupes, cette production journalière est de l’ordre d’un litre. En termes économiques, les éleveurs du SCA1 présentent les meilleures performances aussi bien au niveau du chiffre d’affaires du lait (152 163 ± 122 223 FCFA/vache/an) que du solde sur coûts alimentaires (76 706 ± 111 878 FCFA/vache/an). Aucune différence significative (p<0,05) n’est observée entre les quatre groupes selon le test de comparaison des moyennes de Kruskal-Wallis.
Figure 2 : Graphique en nuages de points montrant les cinq systèmes de conduite alimentaires des vaches en saison sèche dans le plan des axes factoriels 1 et 2 à l’issu de la classification ascendante hiérarchique sur les composantes principales
Légende : SCA = système de conduite alimentaire
Tableau 2 : Caractéristiques des systèmes de conduite alimentaire des vaches traites dans les élevages à l’ouest du Burkina Faso et les performances technico-économiques qui y sont associées
Légende : SS = saison sèche ; UBT = unité bétail tropical : 1 bovin de 250 kg ; h.j = Homme jour ; h/j = heures par jour MB : matière brute ; MS : matière sèche ; vt : vache traite ; 1 € = 655,957 FCFA ; SCA = Système de conduite alimentaire.
Les valeurs suivies d'une même lettre sur la même ligne ne sont pas significativement différentes au seuil de 5 % (Test de Kruskall Wallis).
Figure 3 : fourrage de qualité cultivé et conservé par un éleveur laitier à Dafinso
- Conclusion
SODRE Etienne1,2*, GNANDA Bila Isidore1, OUEDRAOGO Souleymane2, MOULIN Charles-Henri3 et VALL Eric4
1Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles/Laboratoire de Recherche en Production et Santé Animales, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso ;
2Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles) /Laboratoire des Ressources Naturelles et Innovations Agricoles, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso ;
3Institut Agro Montpellier/Unité Mixte de Recherches sur les Systèmes d’Elevage Méditerranéens et Tropicaux, Montpellier, France ;
4Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement/ Unité Mixte de Recherches sur les Systèmes d’Elevage Méditerranéens et Tropicaux, Montpellier, France
*Auteur correspondant : SODRE Etienne, etiennesodre@yahoo.fr ;
Étienne Sodré, Charles-Henri Moulin, Souleymane Ouédraogo, Isidore Bila Gnanda et Éric Vall, 2022. Améliorer les pratiques d’alimentation des vaches traites en saison sèche, un levier pour augmenter le revenu des éleveurs laitiers extensifs au Burkina Faso. Cah. Agric. 31: 12. 9p. doi : https://doi.org/10.1051/cagri/2022006
Sodré E., 2022. Co-conception en cascades de d’innovations technologiques dans l’alimentation des vaches traites pour une augmentation durable de la production laitière de saison sèche à l'Ouest du Burkina Faso. Thèse de doctorat de l’Institut Agro Montpellier et de l’Université de Montpellier, Ecole doctorale GAIA. 148p + annexes