L’introduction des organismes génétiquement modifiés dans l’alimentation déchaine de nombreuses passions. Partout dans le monde, la question est sensible et divise l’opinion. Entre partisans et opposants, la bataille fait rage. Au Burkina Faso, la problématique a émergé depuis 2010 avec l’expérimentation du niébé Bt en milieu confiné dans les stations de recherche de l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA). Loin de la controverse médiatique, que pensent véritablement les consommateurs burkinabè des organismes génétiquement modifiés ? Sont-ils prêts à recevoir le niébé Bt dans leurs assiettes ? Dans cet article, des citoyens s’expriment et la recherche apporte un éclairage sur les études en cours.
« Je ne trouve rien de mal aux organismes génétiquement modifiés. Lorsque j’ai appris que le Burkina expérimentait du niébé Bt dans les centres de recherches, je me suis senti bienheureux. Avec ce niébé, finies les attaques des ravageurs dans les champs ; le producteur gagne en termes de production et de revenus. Personnellement je n’hésiterai pas à en manger », affirme Assami Ouarmé, agent commercial. Confortablement installé dans un restaurant dans l’arrondissement 9 de Ouagadougou, ce citoyen mange du haricot (niébé). Il est chanceux d’être vite servi, ce qui n’est pas le cas pour d’autres qui font encore la queue pour s’en approprier. « Comme vous le voyez, le haricot est un aliment prisé. J’en mange régulièrement. Mais de savoir que grâce à nos chercheurs, nous en aurons suffisamment, j’en suis très heureux », ajoute-t-il, la main pleine. La commerçante, madame Ouédraogo, ayant suivi notre conversation, intervient : « Si leurs recherches sont bien menées et qu’il est prouvé que nous n’avons rien à craindre pour notre santé, nous en mangerons et nous en vendrons. Et je sais que nos frères ne voudront pas nous faire de mal en effectuant leurs travaux. Ils le font pour notre bien », conclut-elle avant d’être à nouveau absorbée par les clients qui se pressent autour d’elle, certains s’impatientant même. Autre lieu, même constat. Nous sommes dans un restaurant en face du CMA Paul VI. Là aussi, il est l’heure de se mettre quelque chose sous la dent. Autour de la vendeuse qui nous reçoit, les clients se bousculent, l’estomac dans les talons. Nous rencontrons un groupe de trois jeunes hommes. Un échange rapide avec eux sur le motif de notre présence et ils acceptent de nous parler. Dif Sié Da, Ismaël Compaoré et David Compaoré sont élèves en classe de terminale. Nous nous installons avec eux pour un rapide entretien car ils doivent rejoindre les salles de compositions du baccalauréat. « Oui, je sais qu’est-ce qu’un organisme génétiquement modifié. J’en ai entendu parler. Il se raconte que ce sont des aliments dangereux pour la santé mais je n’y crois pas trop, car des batteries de tests sont menées pour sortir un produit fiable, même s’il n’y a pas de risque zéro », se confie Dif Sié Da, se dépêchant d’avaler le contenu de son plat. Etes-vous prêt à consommer du haricot (niébé) génétiquement modifié ?, osons-nous. Sans hésiter, il répond par l’affirmative. « De toutes les façons, il faut que nous acceptions pour notre survie », ajoute-t-il. Il est appuyé par David Compaoré, qui estime que les recherches sur les OGM et le niébé Bt en particulier répondent à une nécessité et qu’il faudra bien assurer la sécurité alimentaire de millions de Burkinabè. Mais il émet quelques réserves : « J’espère seulement que les chercheurs prendront toutes les dispositions pour éviter de nous créer d’autres maladies. J’espère qu’ils sont conscients et qu’ils feront tout pour mettre au point un produit sûr, respectant la santé humaine et animale et la biodiversité ». Par contre, Ismaël Compaoré, quant à lui, il est catégorique. Il n’en consommera pas, même s’il n’a rien contre les OGM : « Je préfère le biologique. C’est naturel. Je n’ai rien contre les OGM, mais si je dois choisir, je n’en mangerai pas », dit-il en finissant son plat. Son avis est partagé par Noaga Ouédraogo, élève en classe de terminale. « J’aime bien le haricot et je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il y ait un niébé génétiquement modifié. Au Burkina Faso, il faut que nous atteignions l’autosuffisance alimentaire. En cela, je pense que les OGM constituent une solution, si toutefois ils ne comportent aucun danger à long terme sur la santé humaine et animale. Mais si j’ai le choix, je mangerai bio », conclut-il.
Tous les Burkinabè ne connaissent pas les OGM
Marché de l’arrondissement 9 de la commune de Ouagadougou. Là, au milieu des marchands de tout bord, des interpellations des vendeuses de légumes, de céréales et autres ingrédients de cuisine, des citoyens ignorent l’existence des OGM. Fatimata Kaboré, une sexagénaire, vendeuse de niébé, n’a jamais entendu parler d’organisme génétiquement modifié. « Mon fils, tu es allé à l’école. Moi non. Je ne sais ni lire ni écrire. J’écoute peu la radio et je n’ai pas la télé chez moi. Quand je me lève le matin, de bonne heure, je me prépare et je viens au marché. Vraiment je n’ai jamais entendu parler de ça. Notre objectif, à nous autres, c’est de manger à notre faim et à subvenir aux besoins de nos familles », explique-t-elle. Elle ajoute que le haricot (niébé) ne produit plus très bien et les prix augmentent de jour en jour. « L’année dernière, nous vendions le haricot à 800 F CFA le yoruba1. Mais cette année, nous vendons ce haricot à 1 300 F CFA. Les choses vont de mal en pis. Nos fournisseurs disent que des insectes nuisibles détruisent les plants dans les champs. Il faut trouver une solution », rajoute-t-elle, pensive. Comme elle, de nombreuses personnes ne connaissent pas les OGM, ni l’expérimentation du niébé Bt en milieu confiné, essentiellement à cause de l’éloignement avec la sphère médiatique. Sur une dizaine de personnes interrogées sur la question, aucune n’a réussi à en parler. D’où la nécessité pour les acteurs de la recherche sur le niébé Bt de trouver des mécanismes de sensibilisation afin de prendre en compte cette partie de la population qui est en grande partie le destinataire de ce produit. Mais quel est l’avis de la Ligue des consommateurs du Burkina sur l’expérimentation de cette technologie ?
La LCB : oui mais….
Après quelques coups de fil et quelques jours d’attente, nous obtenons enfin un entretien avec un responsable de la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB). Dasmané Traoré est ingénieur agroalimentaire, chef du département du développement durable de l’apiculture, commissaire aux comptes du bureau exécutif national de la Ligue des consommateurs. C’est lui qui nous reçoit finalement le mardi 10 juillet 2018. Que pense-t-il des OGM et de l’expérimentation du niébé Bt au Burkina Faso ? Dans ses propos, il y a de la réserve. « Si les acteurs de la recherche parviennent à nous démontrer qu’il n’y a pas de danger, nous sommes partant. Mais il faut que nous ayons toutes les informations sur la métamorphose qui est apportée au génome du niébé. Si le consommateur n’a rien à craindre en consommant ce niébé et qu’il n’y a pas de risque qu’un problème sanitaire survienne à long terme, il n’y a pas de problème. C’est en faisant des croisements d’informations que nous parvenons à dire si nous sommes pour ou contre, bien sûr dans l’intérêt du consommateur. Dans ce sens, il est peut-être opportun que nous approchions les acteurs pour davantage comprendre ce qui se passe afin de relayer l’information. Et il est également de leur devoir de se tourner vers les associations des consommateurs pour donner l’information car, à terme, le produit de leurs travaux est destiné à la population », explique notre interlocuteur. Les inquiétudes de la LCB sont essentiellement liées à la santé humaine et animale, à l’environnement et à la souveraineté alimentaire. Sur ce dernier point, l’ingénieur agroalimentaire estime qu’il faut faire attention à ce que le consommateur ne soit pas dépendant d’une structure sur le plan alimentaire, faisant sans doute référence aux grandes firmes internationales comme Mosanto. « Il ne faut pas qu’un OGM nous amène à être dépendant d’une structure car celle-ci plus tard pourrait manipuler le consommateur. Aujourd’hui, nous avons le devoir de faire en sorte que, sur le plan alimentaire, nous ne dépendions pas de l’extérieur au-delà d’un certain seuil » conclut-il. Concrètement, qu’est-ce que le niébé Bt ? Quelle est la modification apportée ? Quels sont les tests qui ont été réalisés à ce jour ?
Le niébé Bt expliqué par la recherche
Pour en parler, rien de plus normal que de rencontrer les initiateurs du projet. C’est Dr T. Benoit Joseph Batieno, améliorateur et sélectionneur de niébé à l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), Coordonnateur national du projet depuis juin 2014, qui nous en parle, heureux visiblement qu’un journaliste vienne à lui pour mieux comprendre la technologie. Le choix d’expérimenter le niébé Bt au Burkina répond à une nécessité selon lui. «Nous avons opté pour cette technologie pour répondre aux attaques des ravageurs dans les champs de niébé. Les principaux insectes pouvant causer des pertes de rendement dans la production du niébé au Burkina Faso sont les pucerons (Aphis craccivora Koch), Thrips (Megalurothrips sjostedti Trybom), les foreurs de gousses (Maruca vitrata Fabricius) et les punaises suceuses de gousses (Clavigralla tomentosicolis Stal.) et les bruches des stocks. Par exemple, il y a une forte pression de Maruca dans les zones humides du Burkina Faso, précisément à l’ouest et au sud du pays, où l’on enregistre des dégâts de l’ordre de 70% à 80% alors que les moyens de lutte chimique n’en viennent pas à bout. Il n’y a pas de source de résistance génétique efficace pour améliorer la résistance du niébé à Maruca vitrata. Par conséquent, la transformation du niébé grâce à Bacillus thuringiensis exprimant la toxine Cry1Ab est apparue comme une des solutions pour contrôler les attaques de ce ravageur », explique-t-il d’entrée de jeu. Ainsi, le 12 mars 2010, l’INERA a soumis à l’Agence Nationale de Biosécurité une demande d’autorisation relative à l’importation de semences et la mise en œuvre des essais de la variété de niébé transgénique (niébé Bt) résistant à Maruca vitrata Fab. L’ANB, après avoir apprécié l’avis technique du Comité scientifique national de biosécurité (CSNB), a autorisé, par arrêté n°2010-413/MESSRS/SG/ANB du 15 novembre 2010, l’importation de semences de la variété de niébé transgénique (niébé Bt) résistant à Maruca vitrata Fab et par arrêté n°2010-412/MESSRS/SG/ANB du 15 novembre 2010, la mise en œuvre des essais. En 2011, les semences sont donc importées d’Autriche sous le contrôle de l’African Agricultural Technology Foundation (AATF) et de l’Agence Nationale de Biosécurité (ANB). Puis les expérimentations ont commencé en milieu confiné conformément à la règlementation. « Nous avons effectué entre 2010 et 2012 des tests d’efficacité avec les semences transgéniques importées (évènements ou lignées) pour vérifier leur capacité à lutter contre Maruca. Nous avons donc infesté les plants issus de ces évènements dans un intervalle de cinq jours depuis le stade des boutons floraux à la formation des fleurs. Nos essais ont été concluants », affirme-t-il. Et d’ajouter : « Nous avons obtenu en juillet 2012 une autorisation de deux ans pour introgresser le gène de résistance à Maruca chez des cultivars adaptés de niébé au CREAF de Kamboinsé (Moussa, IT98K-205 8, Nafi, Gourgou et Komcalle). Deux lignées transgéniques résistantes de niébé ont été identifiées en 2011 et proposées comme parents donneurs pour des rétrocroisements. Le mode d’amélioration était le Backcross assisté de marqueurs de résistance à Maruca. Le temps requis pour l’introgression était de 2 ans avec un rythme de 3 à 4 générations par an ». Après cette introgression, les nouvelles variétés de niébé ont été testées et comparées à une variété non transgénique (IT86D-1010) semée dans le même temps. Les résultats qui en sont sortis sont éloquents. Les dégâts sur les plantes non transgéniques sont importants (85,2% en 2011 et 82,05% en 2012 sur les gousses et les plants). Par contre, les lignées transgéniques (709A, 252D et 212D par exemple) n’ont subi que moins de 2,05% de destruction de gousses. C’est dire donc que sur le plan agronomique les essais sont fiables et efficaces. « En faisant cette étude agronomique, nous avons vu que les plantes issus des lignées transgéniques ne subissent pas d’autres modifications que celles que nous avons apportées. Il n’y a pas de transformation de goût ni de couleur », clame le chercheur d’une voix posée. En plus de ces tests, d’autres ont été faits comme le test de biodiversité et de dose minimale. Ces examens ont aussi permis de constater qu’il n’y avait pas d’effets sur l’écosystème dans la serre. Et le chercheur de nous raconter une anecdote : « Lors d’une visite dans un périmètre d’expérimentation, nous avons constaté que les abeilles colonisaient plus la lignée transgénique que celles de nos variétés non transgéniques ». Toutefois, cette modification occasionnera-t-elle une augmentation des prix du niébé Bt si celui-ci venait à être autorisé en plein champ et dans la consommation humaine ? Là, le chercheur répond par la négative. « Il n’y aura pas de hausse de prix. Le niébé n’est pas une culture de rente, contrairement au coton. La lignée transgénique importée nous a été gracieusement offerte ; donc il n’y aura pas d’augmentation de prix. », fait-il savoir avant de conclure : « En tant que chercheur du pays, si je vulgarise une mauvaise variété de niébé, je serai aussi victime parce que je mangerai dans la même assiette que les populations ». A présent, intéressons nous à l’étiquetage de ce niébé s’il venait à être autorisé pour la consommation. Comment se fera-t-il ?
L’étiquetage du niébé Bt : une grande équation à résoudre
La loi n°064-2012/AN du 20 décembre 2012 portant régime de sécurité en matière de biotechnologie, en son article 66, stipule que : «Tous les organismes génétiquement modifiés importés ou mis au point sur le territoire national sont emballés et étiquetés par le producteur ou l’expéditeur avec la mention « Produits à base d’organismes génétiquement modifiés » ou » Contient des organismes génétiquement modifiés » en se conformant aux normes complémentaires définies par l’Agence nationale de Biosécurité en concertation avec les autres administrations concernées ». En se référant à cette disposition, quels sont les mécanismes mis en place pour permettre l’application de cet article ?
Pour une réponse à cette interrogation, nous avons rencontré Dr Oumar Traoré, Directeur du Laboratoire national de biosécurité. Tout d’abord, pourquoi faut-il étiqueter les OGM en général, et le niébé Bt en particulier ? «L’étiquetage n’atteste pas la sûreté du produit. Ce n’est pas parce qu’on marque OGM que ce n’est pas un produit sûr pour la protection de la santé humaine et animale et la protection de l’environnement. L’étiquetage permet de donner le choix aux gens de consommer ou non les OGM. Mais il y a beaucoup de débats sur l’étiquetage. En réalité qu’est-ce qu’on étiquette ? Quand vous exigez une étiquette, c’est pour un produit que vous voulez acheter. Si vous achetez un pagne WAX, vous voulez que ce soit écrit dessus. Les producteurs d’OGM se plaignent car il y a coût supplémentaire pour la production. De l’autre côté, il y a aussi ceux qui ne veulent pas des OGM et qui veulent qu’on les étiquette. Il y a donc un débat autour de l’étiquetage », répond-t-il. Puis il enchaîne sur les mécanismes mis en place pour permettre cet étiquetage sur les OGM et le niébé Bt : « Dans notre cas ou celui de la plupart des marchés en Afrique, il est compliqué d’étiqueter de bout en bout. Dans les pays européens, il est plus facile d’étiqueter parce que tout le monde se ravitaille dans des supermarchés. Ici c’est plus difficile. Mais déjà, dans nos supermarchés, il est possible d’étiqueter les produits. Il y a d’ailleurs des normes du ministère du Commerce pour l’affichage des prix et des étiquettes. Quand on quitte le champ, on peut aussi étiqueter les sacs. Mais le problème est la configuration même de nos marchés. Quand on arrive au bout de la chaîne, il y a des difficultés. Nous devons donc réfléchir sur une règlementation qui soit applicable et respectée. On est dans la réflexion pour trouver un système d’étiquetage efficace afin de respecter la loi et qui soit applicable ». Enfin, il s’est penché sur la question de la biosécurité. Sur ce point, il assure que des rapports sur l’expérimentation du niébé Bt sont fournis régulièrement à l’Agence nationale de biosécurité qui, au regard des éléments scientifiques, apprécie et délivre ou non des autorisations d’essais.
Du reste, il faut encore attendre pour voir un jour une autorisation de mise sur le marché du niébé Bt, le temps que plusieurs autres tests soient réalisés.
Jean-Yves Nébié