Des alternatives au déficit d’infrastructures scolaires pour la continuité éducative des EDI

Submitted by RedacteurenChef on Tue 24/09/2024 - 15:34
Des alternatives au déficit d’infrastructures scolaires pour la continuité éducative des EDI

Introduction

La crise sécuritaire débutée au Burkina Faso en 2015 affecte particulièrement son système éducatif depuis 2016. Elle a entraîné la fermeture de 6.253 établissements, ce qui affectait 1.076.155 élèves et 31.594 enseignants (ST-ESU[1], décembre 2022). L’arrivée massive de ces élèves dans les zones d’accueil et la reprise des études par ces derniers sont confrontées à l’insuffisance des infrastructures scolaires disponibles. Pour assurer la continuité éducative de ces élèves,  les autorités burkinabè ont instruit les services responsables de l’éducation d’inscrire tous les EDI dans les établissements scolaires lorsqu’ils manifestent la demande. Soutenus par des Partenaires techniques et financiers (PTF), ils ont également réalisé des investissements pour résoudre les problèmes d’infrastructures. Cependant, la demande scolaire est énorme, car elle au dessus de l’offre. 

Pour permettre à la majorité de ces élèves de reprendre leurs études, plusieurs stratégies sont mises en œuvre au sein des structures éducatives. Elles sont accompagnées et parfois suscitées par les instances de gouvernance locale, notamment les services déconcentrés de l’éducation et les structures administratives. Elles permettent aux élèves d’être scolarisés, mais présentent des insuffisances  pouvant affecter leurs bien-être et la qualité des acquis scolaires. Cependant, ces alternatives ne sont pas suffisamment documentées. L’ampleur de la crise et sa durée invitent à mieux les connaître, car de cela dépendent les actions pour leurs améliorations. Le présent article est consacré à ce sujet. Son objectif est de montrer comment les problèmes d’infrastructures se posent et les solutions adoptées. La démarche méthodologique présente les conditions de collecte des informations traitées. 

Approche méthodologique 

Le présent article de vulgarisation est élaboré à partir de l’article scientifique précédemment publié et intitulé : « l’insuffisance des infrastructures scolaires affecte négativement les conditions d’étude des Élèves Déplacés Internes (EDI) » (I. Ouédraogo et al, 2024). Les informations qui ont servi à ces publications ont été collectées dans le cadre de la mise en œuvre du projet « mécanismes de scolarisation des enfants déplacés internes pour la lutte contre le décrochage et l’abandon scolaires ». Il est financé par le Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID) pour une durée de 3 ans et mis en œuvre dans les villes de Kaya et de Fada N’Gourma (Figure 1)La localisation de ces villes dans les régions à forts défis sécuritaires et leurs statuts de chefs-lieux de régions favorisent de grands flux de personnes déplacées dans ces villes, notamment les EDI.

Figure 1: Situation géographique des communes de Kaya et Fada N’Gourma

La recherche conduite concerne aussi bien l’enseignement primaire que le post-primaire et secondaire. La collecte des informations a été donc réalisée dans ces cycles. « La démarche méthodologique utilisée est à la fois qualitative et quantitative » (I. Ouédraogo et al, 2024, p.299). Ainsi, des enquêtes par questionnaires ont été réalisées auprès de 263 EDI en plus  des entretiens semi-directifs et focus-groupes réalisés auprès d’une diversité d’acteurs concernés par le sujet. 

Résultats

Des établissements scolaires débordés par l’afflux des EDI

L’afflux des EDI dans les villes de Kaya et Fada N’Gourma depuis au moins sept (07) ans a fortement éprouvé l’offre scolaire dans ces villes. Un directeur d’établissement post-primaire et secondaire à Fada N’Gourma situe l’arrivée des premiers EDI dans son établissement en 2015 avec la crise de Yirgou. Il confie, « depuis lors, nous accueillons des EDI ou des élèves venus des zones à forts défis sécuritaires ». En effet, ces villes reçoivent des EDI en provenance des villages rattachés à leurs régions d’appartenance, mais aussi d'autres régions confrontées à la crise sécuritaire. 

Du fait de ces arrivées massives et soutenues des EDI dans le temps, les infrastructures scolaires qui existaient dans ces villes avant la crise, ainsi que les nouvelles classes construites ne permettent pas de satisfaire la demande. Cette difficulté est décrite par un responsable du secteur de l’éducation à Kaya en ces termes : « la capacité d’accueil des EDI est très faible. Cette année, nous avons fait des efforts, afin d’accroître l’offre. Actuellement, nous avons délocalisé 23 établissements et 1800 élèves ». De ce fait, un autre soutient que  « les problématiques de la scolarisation des EDI concernent les infrastructures d’accueil ; c’est-à-dire les salles de classe et le mobilier ». Ce constat est établi à Fada N’Gourma également, limitant ainsi les possibilités de reprise des cours pour des EDI. « Sur 3.000 élèves déplacés internes recensés, seulement 2.400 ont pu être réintégrés dans les classes par défaut de places » confie un responsable du secteur de l’éducation dans la ville.

Ce manque d’infrastructures d’accueil entraîne également des problèmes d’équipements comme le témoigne un enseignant dans une école primaire de Kaya. De même, une enseignante soutient: « nous avons besoin des ardoises géantes utilisées dans les travaux de groupes pour travailler. Ce matériel est important pour notre nouvelle pédagogie ». Ces difficultés complexifient la tâche aux acteurs de l’éducation, car  « une circulaire du Secrétaire général du MENAPLN oblige à l’accueil obligatoire pour tous les EDI » (directeur dans le secteur de l’éducation à Kaya). Ainsi, un enquêté à Kaya interroge : « le mot d’ordre du gouvernement est d’accueillir tous les élèves, mais dans quelles conditions d’apprentissage ? ».

Des conditions d’études précaires pour accueillir le maximum d’EDI

En réponse aux questions que pose le manque d’infrastructures, les gouvernants ont autorisé les acteurs des services déconcentrés à procéder à la location de bâtiments pour accueillir les EDI, mais cette solution présente également des limites. Un directeur en charge de l’éducation à Fada N’Gourma explique ; « il y a des enfants pour lesquels nous n’avons pas pu avoir la place. Ces derniers trouvent la solution en suivant des cours du soir ou en faisant un petit métier en attendant ». Pour éviter ce type de solutions, d’autres solutions sont mises en œuvre au sein des établissements scolaires. Il s’agit par exemple de l’accueil des effectifs pléthoriques dans les établissements publics. Un responsable de l’éducation à Kaya témoigne : « les établissements publics sont surchargés avec des effectifs de 200 élèves dans certaines classes».  Ces situations sont décrites par un instituteur certifié à Fada N’Gourma : « au CM1, nous avons 150 élèves, au CE2 on a plus de 160. Et ce, parce que tous les élèves n’ont pas eu la place. On est à plus de 1300 ». 

Dans ces classes à effectifs pléthoriques, les élèves sont à l’étroit comme le témoigne une autorité communale à Kaya. Il témoigne : « il y a des situations où les élèves sont assis à 4 –5 ou 6 par table-banc ». Une enseignante à Fada N’Gourma confie : « nous avons environ 155 élèves. Le cadre est insuffisant, donc les élèves sont assis à 5 par tables-bancs. Cela ne leur permet pas de travailler ». Cette promiscuité est observée au sein des établissements avec la présence de plusieurs classes dans le domaine scolaire (Figure 2). 

Figure 2: Plusieurs classes sous les arbres dans un domaine scolaire

L’incapacité des classes pléthoriques à résoudre le problème d’infrastructures conduit les acteurs au sein des établissements publics à recourir aux abris précaires, notamment l’ombre des arbres, les paillotes, les hangars, les bâches et les ETA. Selon un instituteur à Fada N’Gourma, il s’agit d’alternatives auxquelles ils sont obligés de faire recours en attendant de meilleures conditions d’études et de travail. Il indique : « nous continuons de recevoir les élèves, mais il n’y a pas d’infrastructures d’accueil. Même si c’est des ETA et hangars améliorés on peut se débrouiller avec en attendant ». Ces solutions sont également employées pour éviter des classes pléthoriques. En effet, un agent des services en charge de l’éducation à Fada N’Gourma confie : « nous avons des infrastructures temporaires pour décongestionner les classes». Il s’agit de solutions qui ne sont pas tant spécifiques aux contexte de crise car des travaux antérieurs montrent qu’au Burkina Faso, les classes sous paillotes sont utilisées pour étendre l’accès à l’éducation (I. Ouédraogo et al., 2024b). Ainsi, est-il indispensable d’avoir une lecture appropriée du recours aux solutions de bords. 

Lectures sur le recours aux solutions de bords pour la scolarisation les EDI 

Ces alternatives pour la scolarisation des EDI constituent des éléments d’appréciation de la capacité du système éducatif à faire face à la crise sécuritaire (MENAPLN, 2019). En effet, une évaluation par des structures humanitaires « (…) a montré que l’accueil scolaire des enfants déplacés reste un défi majeur »  (UNHCR et REACH, 2020 : 5). Pourtant, « l'un des premiers services demandés par les réfugiés et les déplacés internes une fois que leurs besoins fondamentaux ont été remplis est la possibilité pour les enfants et les jeunes de poursuivre leur scolarité» (UNHCR, 2021, p.1).  Sur ce sujet, J. C. Ndabananiye et al. (2021) reprochent au Ministère en charge de l’éducation la volonté de maintenir des modèles de construction des classes promus en situation de paix. Selon ces derniers, « ce choix d’un modèle de construction, coûteux en ressources et en temps de réalisation, réduit fortement la capacité du ministère à agir rapidement et à couvrir au mieux les besoins pour répondre à la demande supplémentaire née de la crise » (J. C. Ndabananiye et al., 2021 : 35). 

Au regard de ces différents enjeux, il apparaît que le recours à ces alternatives n’est mauvais, mais « c’est plutôt la qualité des réalisations qui est incriminée » (I. Ouédraogo et al., 2024b, p.311). Qui plus est, ces solutions sont fréquemment utilisées lors des situations d’urgence pour la rescolarisation des victimes de guerres (E. Lanoue, 2006). Des écoles préfabriquées sont effectivement utilisées pour la scolarisation des enfants au Mali (I.  Dembelé et A. Koné, 2021 : 83).  Il en est de même au Nigeria pour des « (…) salles de classe construites en matériaux provisoires (…) » (M. Alhadji, 2018, p.156). Toutefois, les insuffisances que présentent ces solutions commandent l’exploitation des possibilités existantes dans les établissements privés. Dans les villes de Kaya et de Fada N’Gourma, des possibilités d’accès à l’éducation existent au niveau du secteur privé, mais elles ne sont pas exploitées. Sur le sujet, un directeur de lycée privé à Kaya confie : « dans le privé par contre, le problème de places ne se pose pas, mais surtout le paiement des frais de scolarité. Les parents qui ont les moyens paient, mais les pauvres ne peuvent pas le faire ». Cette situation est relevée par PARITÉ[2](2021, p.6) qui montre que « (…) les établissements d’enseignement secondaire privés qui auraient pu être une alternative pour faciliter l’accès à l’éducation sont inaccessibles à la majorité des (PDI) du fait du coût élevé des frais de scolarité au regard de la situation économique des parents ». Au regard des coûts que peut engendrer cette option, des solutions négociées peuvent être envisagées, car depuis longtemps ces structures privées jouent des rôles déterminants dans l’éducation burkinabè. En effet, « les acteurs non étatiques comblent les lacunes du système d’éducation publique en matière de prestation de services » (UNESCO, 2022, p.ii). Il s’agit de solutions à envisager, car les contraintes financières limitent les capacités de l’État à réaliser suffisamment d’infrastructures scolaires pour couvrir les besoins des EDI dans l’urgence. De même, l’appui des PTF reste limité dans le domaine de la réalisation de ces infrastructures.

Conclusion

À travers cette contribution, nous montrons que l’arrivée massive et soutenue des EDI dans les zones d’accueil affecte les capacités de l’offre scolaire à satisfaire la demande. Pour permettre à ces élèves de poursuivre leurs études, des solutions palliatives sont trouvées. Cependant, elles exposent les EDI à des conditions d’étude précaires.  Malgré les insuffisances que présentent ces solutions, leurs contributions à la scolarisation des EDI est incontestable.  Cependant, il se pose la question de la qualité des apprentissages et du bien-être des élèves dans ces conditions d’étude.

Issiaka OUEDRAOGO

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/

Institut des Sciences des Sociétés (CNRST-INSS)

ouedraka80@yahoo.fr

Goama NAKOULMA

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/

Institut des Sciences des Sociétés (CNRST-INSS)

Zouanso SOULAMA/COULIBALY

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/

Institut des Sciences des Sociétés (CNRST-INSS)

Pour aller plus loin

ALHADJI Mahamat (2018), « Mouvements armés, déplacements forcés et enseignement/apprentissage dans les établissements scolaires des pays aux abords du Lac Tchad », European Scientific Journal, Vol.14, N° 29, pp.152-169

DEMBELE Idrissa et Adama KONÉ (2021),  « Conditions de vie et intention de retours des personnes déplacées internes au Mali : Cas du camp de Faladié dans le district de Bamako », Revue Droit et Société, 48 p.

LANOUE Éric (2006), « Éducation, violences et conflits en Afrique subsaharienne », Défis du développement en Afrique subsaharienne : L’éducation en jeu, Paris, Marc PILON, Les collections du CEPED, pp. 223-242

OUEDRAOGO Issiaka, Goama NAKOULMA et Zouanso SOULAMA/COULIBALY, 2024a, L’insuffisance des infrastructures scolaires affecte négativement les conditions d’étude des Élèves Déplacés Internes (EDI), In : les cahiers de l’ACAREF, Vol 6, N°15, avril, pp.295-315

OUEDRAOGO Issiaka, Goama NAKOULMA et Aude NIKIEMA, 2024b, Pourquoi fait-on recours aux classes sous paillotes au Burkina faso, Infos-Sciences-Culture du 10 avril 2024

https://www.infosciencesculture.com/en/node/184

PARITÉ (2021), Impacts de la crise sécuritaire actuelle sur les filles, le genre et l’éducation : accès, maintien, réussite, Projet d’Appui aux Réformes institutionnelles et techniques pour l’Équité, Rapport de recherche, 92 p.

ST-ESU (2022), Rapport statistique mensuel de données d’Éducation en Situation d’Urgence du 31 décembre 2022, Rapport, MENAPLN, 17 p.

UNESCO (2022), Rapport mondial de suivi sur l’éducation – Rapport sur l'égalité des genres : Approfondir le débat sur les enfants et les jeunes encore laissés de côté, Rapport, UNESCO, 74 p.

UNHCR (2021), L’éducation dans les situations d’urgence – contexte urbain, emergency handbook, 7 p.

UNHCR et REACH (2020), Évaluation des besoins multisectoriels et cartographie des infrastructures : ville de Kaya, région Centre-Nord, Rapport, février 2020, 4 p.


Notes de bas de page

[1] Secretariat Technique de l’Éducation en Situation d’Urgence

[2] Projet d’Appui aux Réformes Institutionnelles et Techniques pour l’Équité