Les mots marginaux en mooré, fonction primaire et secondaire

Soumis par RedacteurenChef le Ven 22/12/2023 - 09:42

Les mots marginaux en mooré, fonction primaire et secondaire

Introduction

Cet article de vulgarisation est le fruit de l’article scientifique intitulé « La valeur sémantique des mots et des expressions dans la terminologie de la chefferie traditionnelle moaaga » publié dans la revue Science et technique, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou ISSN 1011-6028. pp. 303 à 314.

L’objet du présent article est de présenter ls mots marginaux en moore et d’apporter des informations sur leur fonction primaire et secondaire. La réalisation de cet article a nécessité des recherches bibliographiques, des collectes de terrain, et des entretiens avec les locuteurs du moore. Cela nous permit d’avoir non seulement des connaissances sur les méthodes d’analyse concernant les mots marginaux, mais aussi d’avoir un lexique bien fourni de ces mots.   Dans notre article relatif aux mots marginaux, il ressort que certains auteurs comme DUBOIS (1973), définissent les onomatopées comme imitant un bruit. Mais toutes les onomatopées n’imitent pas de bruit. Quand en français je dis : et paff, il se trompe encore, le bruit est produit et non imité. Coucou désigne le bruit de l’oiseau qui le produit. Le nom de l’oiseau dérive de l’onomatopée. Ping-pong est devenu un nominal. Tout cela confirme l’arbitraire dans la marginalisation.  L’approche sémantique a beaucoup d’insuffisance, on parle des idéophones sonores et des idéophones non sonores. Dans le domaine de la fonction on parle souvent d’imitation, c’est dire qu’on tombe encore dans l’arbitraire.

Il y a beaucoup de contradiction entre les auteurs. Certains posent le problème de la catégorisation en disant que ce n’est pas normal et d’autres disent que c’est bien normal. D’autres soutiennent que s’il y a catégorisation, il faut qu’il y est caractérisation. Il faut le caractériser par rapport aux autres unités et c’est ce que nous allons faire. On a affaire à une catégorie qui est invariable.

Nous allons poursuivre cette analyse à travers quelques questions : pourquoi des mots marginaux ? Sont-ils marginaux parce qu’ils sont rares ? Ou sont-ils marginaux parce qu’ils n’ont pas de classe ? Est-ce que l’invariabilité suffit à dire qu’un mot est marginal ?

Les mots marginaux sont des représentations arbitraires, des décisions personnelles. C’est un ensemble de mots qui cherchent à être classé. Chaque langue à sa manière de représenter les objets. Mais est-ce que certains idéophones peuvent dériver d’un nom ou d’un verbe ? Ou est-ce que les mots marginaux sont dérivés d’un nom ou d’un verbe ?

Les mots marginaux ne viennent pas de la langue, mais à partir des mots marginaux on peut créer des mots de la langue.

 Exemple :

alain-ouedraogo

 

Pour répondre à ces questions, nous allons nous baser sur les différentes définitions et la morphologie des mots marginaux en mooré.

Le mooré est une langue gur, parlé au Burkina Faso en Afrique de l’ouest. Cette langue, selon NIKIEMA (2012), mais aussi NIKIEMA ET KINDA (1997), « a une grande capacité d’accueil des idéophones, qui en mentionne toutes les deux pages en moyenne, ce qui peut être estimé à environ 5% des entrées du dictionnaire orthographique du moore. Il y a eu des études consacrées aux idéophones du moore.  Notamment SORGHO C (1991) et Sorgho (sd), puis NIKIEMA et KINDA (1997).

Du point de vue morphosyntaxique, les idéophones en moore présentent les caractéristiques suivantes :

  1. Productivité dérivative et restrictions combinatoire

Le radical des idéophones non onomatopéiques sert souvent de base à la formation de verbes, des noms ou des adjectifs.

Lorsqu’ils sont utilisés comme modificateurs, les idéophones ne peuvent modifier qu’un mot bien précis, tout au plus deux de sens très voisin, souvent de la même famille. Exemple :

  1. pog-paala                  yelga                     fu      paal zamm

        femme-nouvelle          porter                    habit neuf  idéo

        ‘‘la nouvelle mariée porte une robe toute neuve’’

  1. tomadga      yaa      miuug    mass

   tomate    être rouge  idéo

   ‘‘la tomate est toute rouge’’

Zámm peut modifier seulement páallé « neuf/neuve »,

máss peut modifier seulement miuugu « rouge » ou zẽega « clair de teint »,

Il s’établit ainsi comme une relation de présupposition entre modificateur et modifié qui donne à l’idéophone la possibilité de remplacer tout le syntagme, sans être lui-même tête de syntagme :

Exemple :

zámm           páalg zámm « flambant neuf »,

yómm          kẽeg yómm « tout bleu »,

 

  1. Processus dérivationnel des idéophones en moore

On rencontre des processus mis en œuvre par les idéophones dans leur formation. Nous avons notamment le redoublement et la réduplication.

  1. laaga    yaa  pɛɛlg        farrr/fara

   plat         être blanc        idéo

   ‘‘ le plat est tout blanc’’

  1. muyã   yaa  vimm/vima

   riz           être idéo

   ‘‘le riz est tout chaud’’

  • Fárrr… fára                                 idée de tout blanc
  • Vĩmm…vĩma                       idée de tout chaud, douillet

On note quelques formations où les éléments répétés sont reliés par un élément tampon, notamment (tɩ) :

  1. a       biiga sɩnga          taba-tɩ-taba

Il      enfant        commencer         idéo

‘‘son enfant commence à marcher’’

  1. a       wata  ne     pakɩ-tɩ-lakɩ

Il      venir avec  onoma

‘‘ il vient en tapette’’

Tába-tɩ-tába        caricature de la démarche d’un enfant

pákkɩ-tɩ-lákkɩ     évocation du claquement des tapettes contre les talons pendant la marche.

Il n’y a pas de combinaison du redoublement vers la droite et de la réduplication dans les idéophones, ce qui semble bien indiquer que les deux processus assument la même fonction morphologique.

Les idéophones peuvent être formés par suffixation. Les suffixes typiques sont (ɩ, ʋ, a). Ils s’adjoignent à une structure CVC et sont suivis d’un coup de glotte.

 

  1. baaga   yɩka               tʋpɩ            n                   gãd             soaabã

chien    sauter             idéo         morphème     attraper      lièvre

‘‘ le chien a sauté brusquement pour attraper le lièvre’’

  1. a           basame              tɩ     yi      fɩlʋ

il          laisser lui           sortir        idéo

‘‘ il a laissé échapper un peu’’ 

tʋppɩ    idée de saut brusque

fɩlʋ     idée de laisser échapper un mot

 

  1. Le statut des mots marginaux en moore

En moore nous avons deux types de mots marginaux : ceux qui sont des mots-phrases et ceux qui ne le sont pas.

 

    1. Mots-phrases
  1. paga            zõone     n         kelma         killl…

         femme         courber  m.marq        pleurer       onoma

               ‘‘la femme a lancé un cri d’acclamation’’

  1. buula     koom    zota    habbb

         marigot        eau         courir onoma

               ‘‘ l’eau du marigot coule en abondance’’

killl ‘‘cri d’acclamation’’

habb ‘‘ évoque le bruit d’une grande quantité d’eau’’

 

    1. Les mots qui ne sont pas des mots phrases
  1. nikẽema              zii               bii

         personne-ainée   assoir                  idéo

‘‘ le vieux a l’air préoccupé’’

  1. biiga           yɩka           tʋpɩ            n                 gãda           ma

         enfant                  sauter                  idéo            morph.rel. attraper      mère

‘‘l’enfant a sauté brusquement pour rejoindre sa mère’’

bii     idée de préoccupé, impression d’avoir oublié quelque chose

tʋppɩ              idée de se lever brusquement

 Des mots qui imitent quelque chose et des mots qui expriment quelque chose. Nous allons essayer de voir plus clair.

Dans une première approche, ces définitions montrent qu’il n’y a pas de différence entre l’idéophone et l’onomatopée, ils communiquent tous une perception, ce sont des mots mimétiques.

Pour la seconde approche, l’idéophone a un sens général et l’onomatopée est une sous-classe de l’idéophone.

Au regard de toutes ces définitions, nous constatons que beaucoup d’études ont été faites sur les mots marginaux. Ce qui montre leur importance dans les différentes langues. Nous observons cependant un flou total dans la définition de ces mots marginaux, et les définitions qu’on donne ne sont pas fiables. Cela nous amène à proposer une démarche théorique pour le classement des mots marginaux.

  1. Proposition d’un classement des mots marginaux

Au regard des différentes analyses, il est impératif de mettre de l’ordre dans le classement des mots marginaux. La présente approche va permettre de tirer un trait et de proposer un classement pour les mots marginaux. Mais avant, il faut reconnaitre que chaque langue a des mots appartenant à des classes faciles à définir comme les noms et les verbes. Le classement peut aller des flexions spécifiques aux fonctions syntaxiques, c’est-à-dire primaire et secondaire.

 

    1. Classement par flexions spécifiques

Nous commençons par cet exemple :

  1. biiga       bʋt              a                    ki

         enfant              semer         déterminant. mil   

               ‘‘l’enfant est en train de semer du mil’’ 

biiga ‘’enfant’’ est un nom

bʋt ‘‘ semer’’ est un verbe.

ki ‘‘mil’’ est un nom

 

C’est dire que ces noms et ce verbe ont des catégories bien définies et acceptées. Ces mots sont bien clairs et ne souffrent d’aucune ambiguïté.

 

Mais quand je dis :

  1. fuuga         yaa kẽeg  yoom

         habit est       bleu idéo

           ‘‘L’habit est très bleu’’

  1. sɩlga                   sĩga            laa

         épervier       descendu idéo

           ‘‘l’épervier est descendu en planant’’

 

En (14), habit est un nom ; yaa est le verbe être conjugué ; kẽega est un adjectif. Mais yomm que nous avons traduit par ‘‘idéophone’’ marque en fait le degré de la couleur bleu. Mais quelle est sa catégorie ?

L’idéophone ne peut pas être un prédicat, ni désigner un objet concret, il ne peut pas être syntaxiquement autonome.

 

    1. Classement par fonction

En partant des différentes définitions et des mots marginaux en moore, il faut préciser qu’un mot marginal n'est pas un nom, ni un adverbe, encore moins un verbe ou un adjectif. La présente approche se propose de classer les mots marginaux à partir de leur fonction. Nous parlerons de fonction primaire et de fonction secondaire.

 

      1. Fonction primaire

En mooré un mot marginal ne peut pas occuper la fonction sujet.

En fonction expansion du prédicat, il peut être employé pour modifier les adjectifs.

Il occupe largement les fonctions de quantité verbal par expansion du verbe.

 

        1. Prédicat

En mooré, les mots marginaux modifient les termes adjectivaux en fonction prédicative. Exemples :

 

16.yaa          sablg            limlim

être           noir    idéo          

‘‘c’est profondément noir’’

17.yaa                      sablg valvale

être                      noir  idéo

        ‘‘c’est légèrement noir’’

 

        1. Quantité verbal et quantité adjectivale

Sur le plan morphologique, les mots marginaux ne sont pas marqués par un morphème qui les caractérise ou qui les range dans une classe bien précise. Dans la plupart des cas, ils sont invariables et occupe toujours la dernière position dans le syntagme. Exemple :

 

18. a             siga         laa

        Il            descendre        idéo

        ‘‘il est descendu en planant’’

 

19.  saaga      niida       soaa

        pluie      pleuvoir onoma

        ‘‘il pleut à torrent’’

 

En mooré, tous les mots marginaux sont postposés aux adjectifs. Exemple :

20. tiiga        puug       yaa         kẽeg       yomm

        arbre      fleur       être         vert        idéo

        ‘‘la fleur de l’arbre est tout vert’’

21. raoua      fuug       yaa         pɛɛlg      faddd

        Homme  habit       être         blanc      idéo

        ‘‘ l’habit de l’homme est tout blanc’’

22-  kɔaasa   kõsa       nemda    boro

        boucher poignarder            viande    onoma

        ‘‘le boucher à transpercer la viande d’un coup’’

23- paga       wẽe         biiga       mu

        Femme   frapper   enfant     onoma

        ‘‘ la femme a frappé sèchement l’enfant’’

 

      1. Fonctions secondaires                

En mooré, le mot marginal peut jouer la fonction de verbe ou d’adjectif.

        1. Verbe :

En mooré, les mots marginaux sont postposés aux verbes qu’ils accompagnent. Chaque mot marginal peut seulement modifier un verbe ou les autres verbes de sens voisins. Exemples de mots marginaux qui modifient le verbe :

24.Wedra         weka              pao

Liane           éclater            onoma

‘‘la liane s’est éclater d’un coup’’

25.bʋʋga          menma           soyy

chèvre         disparaître     idéo

‘‘la chèvre à complètement disparu’’

Dans (24), l’onomatopée décrit la manière dont la liane à éclater. Cela peut se dire de tout objet qui éclate.

En (25), l’idéophone décrit la manière dont la chèvre a disparu. Cela peut également se dire de tout autre animal d’un objet, ou même d’une personne.

        1. Adjectif 

En mooré, les mots marginaux sont postposés aux termes adjectivaux. Chaque mot marginal ne peut modifier qu’un terme adjectival spécifique. Exemples :

26.     paga       paama        fu           paal            zamm

      femme    avoir          habit      neuf           idéo

      ‘‘la femme a eu un habit tout neuf’’

     27.    tɩɩga        vãad           yaa         kẽeg           yomm

      arbre      feuille        être         vert            idéo

      ‘‘les feuille de l’arbre sont toutes vertes’’

    29.      rawa       zoda           irrr

      homme  roter           onoma

      ‘‘l’homme a roté fort’’

   30.       biiga       rɛgla          rʋka        ku

      enfant    poser          marmite onoma

      ‘‘l’enfant à poser la marmite avec un grand bruit’’

En (26), comme dans tous les autres exemples, les mots marginaux sont une expansion des adjectifs.

Ils montrent le degré de la couleur ou de l’action. En mooré, les mots marginaux peuvent servir à l’expansion de l’adjectif qualificatif

Le degré le plus élevé ou pour signifier ‘‘très’’ se fait également par réduplication du mot marginal. Exemple :

31.          yaa         zamzam

      être         idéo

‘‘ c’est vraiment neuf’’

32.          yaa         basbas

      Etre        idéo

‘‘ c’est très chaud’’

Conclusion

Les différentes définitions des mots marginaux rendent difficile leur classement. Les mots marginaux ne viennent pas de la langue, mais à partir des mots marginaux on peut créer des mots de la langue.

Au regard de la morphologie et du sémantisme qui varie d’une langue à une autre, les mots marginaux ne peuvent pas être classés par rapport à la catégorie.

Les mots marginaux modifient les verbes, les adverbes et les adjectifs et peuvent occuper les fonctions de verbe et d’adjectif.

En partant de l’exemple du moore, nous proposons que les mots marginaux soient classés par rapport à leurs fonctions.

Dr OUEDRAOGO Tiga Alain

INSS/CNRST

Tel :0022670125262

Mail : alainoued1@yahoo.fr

tiiga.a@gmail.com

Référence Bibliographie

NIKIEMA (2012)

NIKIEMA ET KINDA (1997

SORGHO C (1991)

NIKIEMA et KINDA (1997).

DUBOIS et al. 1973, dictionnaire de linguistique, librairie larousse, Paris VIè.516p.

Tiga Alain OUEDRAOGO, 2024 « La valeur sémantique des mots et des expressions dans la terminologie de la chefferie traditionnelle moaaga » Science et technique, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou ISSN 1011-6028. pp. 303 à 314 ;

Tiga Alain OUEDRAOGO, 2016 « description sémantique des yel-buna « proverbes » dans la société traditionnelle moaaga » Science et technique, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou I S S 1011-6028. pp.157 à 174.

 

Sites :

dictionnaire.reverso.net, consulté le 15 octobre 2015

http://naturedesmots.free.fr/categori.htm, consulté le 15 octobre 2015

URI : http://id.erudit.org/iderudit/1008334ar, consulté le 12 octobre 2015

http://www.afes.fr, consulté le 12 octobre 2015

http://www.cnrtl.fr/definition/id%C3%A9ophone consulté le 14 octobre 2015

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https://jyx.jyu.fi/dspace/bitstream/handle/123456789/41228/URN%3ANBN%3Ajyu-

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https://www.erudit.org/revue/meta/2011/v56/n3/1008334ar.pdf, consulté le 15 octobre 2015.