Les mots marginaux en mooré, fonction primaire et secondaire
Introduction
Cet article de vulgarisation est le fruit de l’article scientifique intitulé « La valeur sémantique des mots et des expressions dans la terminologie de la chefferie traditionnelle moaaga » publié dans la revue Science et technique, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou ISSN 1011-6028. pp. 303 à 314.
L’objet du présent article est de présenter ls mots marginaux en moore et d’apporter des informations sur leur fonction primaire et secondaire. La réalisation de cet article a nécessité des recherches bibliographiques, des collectes de terrain, et des entretiens avec les locuteurs du moore. Cela nous permit d’avoir non seulement des connaissances sur les méthodes d’analyse concernant les mots marginaux, mais aussi d’avoir un lexique bien fourni de ces mots. Dans notre article relatif aux mots marginaux, il ressort que certains auteurs comme DUBOIS (1973), définissent les onomatopées comme imitant un bruit. Mais toutes les onomatopées n’imitent pas de bruit. Quand en français je dis : et paff, il se trompe encore, le bruit est produit et non imité. Coucou désigne le bruit de l’oiseau qui le produit. Le nom de l’oiseau dérive de l’onomatopée. Ping-pong est devenu un nominal. Tout cela confirme l’arbitraire dans la marginalisation. L’approche sémantique a beaucoup d’insuffisance, on parle des idéophones sonores et des idéophones non sonores. Dans le domaine de la fonction on parle souvent d’imitation, c’est dire qu’on tombe encore dans l’arbitraire.
Il y a beaucoup de contradiction entre les auteurs. Certains posent le problème de la catégorisation en disant que ce n’est pas normal et d’autres disent que c’est bien normal. D’autres soutiennent que s’il y a catégorisation, il faut qu’il y est caractérisation. Il faut le caractériser par rapport aux autres unités et c’est ce que nous allons faire. On a affaire à une catégorie qui est invariable.
Nous allons poursuivre cette analyse à travers quelques questions : pourquoi des mots marginaux ? Sont-ils marginaux parce qu’ils sont rares ? Ou sont-ils marginaux parce qu’ils n’ont pas de classe ? Est-ce que l’invariabilité suffit à dire qu’un mot est marginal ?
Les mots marginaux sont des représentations arbitraires, des décisions personnelles. C’est un ensemble de mots qui cherchent à être classé. Chaque langue à sa manière de représenter les objets. Mais est-ce que certains idéophones peuvent dériver d’un nom ou d’un verbe ? Ou est-ce que les mots marginaux sont dérivés d’un nom ou d’un verbe ?
Les mots marginaux ne viennent pas de la langue, mais à partir des mots marginaux on peut créer des mots de la langue.
Exemple :
Pour répondre à ces questions, nous allons nous baser sur les différentes définitions et la morphologie des mots marginaux en mooré.
Le mooré est une langue gur, parlé au Burkina Faso en Afrique de l’ouest. Cette langue, selon NIKIEMA (2012), mais aussi NIKIEMA ET KINDA (1997), « a une grande capacité d’accueil des idéophones, qui en mentionne toutes les deux pages en moyenne, ce qui peut être estimé à environ 5% des entrées du dictionnaire orthographique du moore. Il y a eu des études consacrées aux idéophones du moore. Notamment SORGHO C (1991) et Sorgho (sd), puis NIKIEMA et KINDA (1997).
Du point de vue morphosyntaxique, les idéophones en moore présentent les caractéristiques suivantes :
- Productivité dérivative et restrictions combinatoire
Le radical des idéophones non onomatopéiques sert souvent de base à la formation de verbes, des noms ou des adjectifs.
Lorsqu’ils sont utilisés comme modificateurs, les idéophones ne peuvent modifier qu’un mot bien précis, tout au plus deux de sens très voisin, souvent de la même famille. Exemple :
- pog-paala yelga fu paal zamm
femme-nouvelle porter habit neuf idéo
‘‘la nouvelle mariée porte une robe toute neuve’’
- tomadga yaa miuug mass
tomate être rouge idéo
‘‘la tomate est toute rouge’’
Zámm peut modifier seulement páallé « neuf/neuve »,
máss peut modifier seulement miuugu « rouge » ou zẽega « clair de teint »,
Il s’établit ainsi comme une relation de présupposition entre modificateur et modifié qui donne à l’idéophone la possibilité de remplacer tout le syntagme, sans être lui-même tête de syntagme :
Exemple :
zámm páalg zámm « flambant neuf »,
yómm kẽeg yómm « tout bleu »,
- Processus dérivationnel des idéophones en moore
On rencontre des processus mis en œuvre par les idéophones dans leur formation. Nous avons notamment le redoublement et la réduplication.
- laaga yaa pɛɛlg farrr/fara
plat être blanc idéo
‘‘ le plat est tout blanc’’
- muyã yaa vimm/vima
riz être idéo
‘‘le riz est tout chaud’’
- Fárrr… fára idée de tout blanc
- Vĩmm…vĩma idée de tout chaud, douillet
On note quelques formations où les éléments répétés sont reliés par un élément tampon, notamment (tɩ) :
- a biiga sɩnga taba-tɩ-taba
Il enfant commencer idéo
‘‘son enfant commence à marcher’’
- a wata ne pakɩ-tɩ-lakɩ
Il venir avec onoma
‘‘ il vient en tapette’’
Tába-tɩ-tába caricature de la démarche d’un enfant
pákkɩ-tɩ-lákkɩ évocation du claquement des tapettes contre les talons pendant la marche.
Il n’y a pas de combinaison du redoublement vers la droite et de la réduplication dans les idéophones, ce qui semble bien indiquer que les deux processus assument la même fonction morphologique.
Les idéophones peuvent être formés par suffixation. Les suffixes typiques sont (ɩ, ʋ, a). Ils s’adjoignent à une structure CVC et sont suivis d’un coup de glotte.
- baaga yɩka tʋpɩ n gãd soaabã
chien sauter idéo morphème attraper lièvre
‘‘ le chien a sauté brusquement pour attraper le lièvre’’
- a basame tɩ yi fɩlʋ
il laisser lui sortir idéo
‘‘ il a laissé échapper un peu’’
tʋppɩ idée de saut brusque
fɩlʋ idée de laisser échapper un mot
- Le statut des mots marginaux en moore
En moore nous avons deux types de mots marginaux : ceux qui sont des mots-phrases et ceux qui ne le sont pas.
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- Mots-phrases
- paga zõone n kelma killl…
femme courber m.marq pleurer onoma
‘‘la femme a lancé un cri d’acclamation’’
- buula koom zota habbb
marigot eau courir onoma
‘‘ l’eau du marigot coule en abondance’’
killl ‘‘cri d’acclamation’’
habb ‘‘ évoque le bruit d’une grande quantité d’eau’’
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- Les mots qui ne sont pas des mots phrases
- nikẽema zii bii
personne-ainée assoir idéo
‘‘ le vieux a l’air préoccupé’’
- biiga yɩka tʋpɩ n gãda ma
enfant sauter idéo morph.rel. attraper mère
‘‘l’enfant a sauté brusquement pour rejoindre sa mère’’
bii idée de préoccupé, impression d’avoir oublié quelque chose
tʋppɩ idée de se lever brusquement
Des mots qui imitent quelque chose et des mots qui expriment quelque chose. Nous allons essayer de voir plus clair.
Dans une première approche, ces définitions montrent qu’il n’y a pas de différence entre l’idéophone et l’onomatopée, ils communiquent tous une perception, ce sont des mots mimétiques.
Pour la seconde approche, l’idéophone a un sens général et l’onomatopée est une sous-classe de l’idéophone.
Au regard de toutes ces définitions, nous constatons que beaucoup d’études ont été faites sur les mots marginaux. Ce qui montre leur importance dans les différentes langues. Nous observons cependant un flou total dans la définition de ces mots marginaux, et les définitions qu’on donne ne sont pas fiables. Cela nous amène à proposer une démarche théorique pour le classement des mots marginaux.
- Proposition d’un classement des mots marginaux
Au regard des différentes analyses, il est impératif de mettre de l’ordre dans le classement des mots marginaux. La présente approche va permettre de tirer un trait et de proposer un classement pour les mots marginaux. Mais avant, il faut reconnaitre que chaque langue a des mots appartenant à des classes faciles à définir comme les noms et les verbes. Le classement peut aller des flexions spécifiques aux fonctions syntaxiques, c’est-à-dire primaire et secondaire.
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- Classement par flexions spécifiques
Nous commençons par cet exemple :
- biiga bʋt a ki
enfant semer déterminant. mil
‘‘l’enfant est en train de semer du mil’’
biiga ‘’enfant’’ est un nom
bʋt ‘‘ semer’’ est un verbe.
ki ‘‘mil’’ est un nom
C’est dire que ces noms et ce verbe ont des catégories bien définies et acceptées. Ces mots sont bien clairs et ne souffrent d’aucune ambiguïté.
Mais quand je dis :
- fuuga yaa kẽeg yoom
habit est bleu idéo
‘‘L’habit est très bleu’’
- sɩlga sĩga laa
épervier descendu idéo
‘‘l’épervier est descendu en planant’’
En (14), habit est un nom ; yaa est le verbe être conjugué ; kẽega est un adjectif. Mais yomm que nous avons traduit par ‘‘idéophone’’ marque en fait le degré de la couleur bleu. Mais quelle est sa catégorie ?
L’idéophone ne peut pas être un prédicat, ni désigner un objet concret, il ne peut pas être syntaxiquement autonome.
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- Classement par fonction
En partant des différentes définitions et des mots marginaux en moore, il faut préciser qu’un mot marginal n'est pas un nom, ni un adverbe, encore moins un verbe ou un adjectif. La présente approche se propose de classer les mots marginaux à partir de leur fonction. Nous parlerons de fonction primaire et de fonction secondaire.
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- Fonction primaire
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En mooré un mot marginal ne peut pas occuper la fonction sujet.
En fonction expansion du prédicat, il peut être employé pour modifier les adjectifs.
Il occupe largement les fonctions de quantité verbal par expansion du verbe.
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- Prédicat
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En mooré, les mots marginaux modifient les termes adjectivaux en fonction prédicative. Exemples :
16.yaa sablg limlim
être noir idéo
‘‘c’est profondément noir’’
17.yaa sablg valvale
être noir idéo
‘‘c’est légèrement noir’’
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- Quantité verbal et quantité adjectivale
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Sur le plan morphologique, les mots marginaux ne sont pas marqués par un morphème qui les caractérise ou qui les range dans une classe bien précise. Dans la plupart des cas, ils sont invariables et occupe toujours la dernière position dans le syntagme. Exemple :
18. a siga laa
Il descendre idéo
‘‘il est descendu en planant’’
19. saaga niida soaa
pluie pleuvoir onoma
‘‘il pleut à torrent’’
En mooré, tous les mots marginaux sont postposés aux adjectifs. Exemple :
20. tiiga puug yaa kẽeg yomm
arbre fleur être vert idéo
‘‘la fleur de l’arbre est tout vert’’
21. raoua fuug yaa pɛɛlg faddd
Homme habit être blanc idéo
‘‘ l’habit de l’homme est tout blanc’’
22- kɔaasa kõsa nemda boro
boucher poignarder viande onoma
‘‘le boucher à transpercer la viande d’un coup’’
23- paga wẽe biiga mu
Femme frapper enfant onoma
‘‘ la femme a frappé sèchement l’enfant’’
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- Fonctions secondaires
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En mooré, le mot marginal peut jouer la fonction de verbe ou d’adjectif.
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- Verbe :
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En mooré, les mots marginaux sont postposés aux verbes qu’ils accompagnent. Chaque mot marginal peut seulement modifier un verbe ou les autres verbes de sens voisins. Exemples de mots marginaux qui modifient le verbe :
24.Wedra weka pao
Liane éclater onoma
‘‘la liane s’est éclater d’un coup’’
25.bʋʋga menma soyy
chèvre disparaître idéo
‘‘la chèvre à complètement disparu’’
Dans (24), l’onomatopée décrit la manière dont la liane à éclater. Cela peut se dire de tout objet qui éclate.
En (25), l’idéophone décrit la manière dont la chèvre a disparu. Cela peut également se dire de tout autre animal d’un objet, ou même d’une personne.
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- Adjectif
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En mooré, les mots marginaux sont postposés aux termes adjectivaux. Chaque mot marginal ne peut modifier qu’un terme adjectival spécifique. Exemples :
26. paga paama fu paal zamm
femme avoir habit neuf idéo
‘‘la femme a eu un habit tout neuf’’
27. tɩɩga vãad yaa kẽeg yomm
arbre feuille être vert idéo
‘‘les feuille de l’arbre sont toutes vertes’’
29. rawa zoda irrr
homme roter onoma
‘‘l’homme a roté fort’’
30. biiga rɛgla rʋka ku
enfant poser marmite onoma
‘‘l’enfant à poser la marmite avec un grand bruit’’
En (26), comme dans tous les autres exemples, les mots marginaux sont une expansion des adjectifs.
Ils montrent le degré de la couleur ou de l’action. En mooré, les mots marginaux peuvent servir à l’expansion de l’adjectif qualificatif
Le degré le plus élevé ou pour signifier ‘‘très’’ se fait également par réduplication du mot marginal. Exemple :
31. yaa zamzam
être idéo
‘‘ c’est vraiment neuf’’
32. yaa basbas
Etre idéo
‘‘ c’est très chaud’’
Conclusion
Les différentes définitions des mots marginaux rendent difficile leur classement. Les mots marginaux ne viennent pas de la langue, mais à partir des mots marginaux on peut créer des mots de la langue.
Au regard de la morphologie et du sémantisme qui varie d’une langue à une autre, les mots marginaux ne peuvent pas être classés par rapport à la catégorie.
Les mots marginaux modifient les verbes, les adverbes et les adjectifs et peuvent occuper les fonctions de verbe et d’adjectif.
En partant de l’exemple du moore, nous proposons que les mots marginaux soient classés par rapport à leurs fonctions.
Dr OUEDRAOGO Tiga Alain
INSS/CNRST
Tel :0022670125262
Mail : alainoued1@yahoo.fr
Référence Bibliographie
NIKIEMA (2012)
NIKIEMA ET KINDA (1997
SORGHO C (1991)
NIKIEMA et KINDA (1997).
DUBOIS et al. 1973, dictionnaire de linguistique, librairie larousse, Paris VIè.516p.
Tiga Alain OUEDRAOGO, 2024 « La valeur sémantique des mots et des expressions dans la terminologie de la chefferie traditionnelle moaaga » Science et technique, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou ISSN 1011-6028. pp. 303 à 314 ;
Tiga Alain OUEDRAOGO, 2016 « description sémantique des yel-buna « proverbes » dans la société traditionnelle moaaga » Science et technique, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Ouagadougou I S S 1011-6028. pp.157 à 174.
Sites :
dictionnaire.reverso.net, consulté le 15 octobre 2015
http://naturedesmots.free.fr/categori.htm, consulté le 15 octobre 2015
URI : http://id.erudit.org/iderudit/1008334ar, consulté le 12 octobre 2015
http://www.afes.fr, consulté le 12 octobre 2015
http://www.cnrtl.fr/definition/id%C3%A9ophone consulté le 14 octobre 2015
http://translate.academic.ru, consulté le 14 octobre 2015
https://jyx.jyu.fi/dspace/bitstream/handle/123456789/41228/URN%3ANBN%3Ajyu-
201304221475.pdf, consulté le 13 octobre 2015
http://www.lejapon.org, consulté le 13 octobre 2015
https://www.erudit.org/revue/meta/2011/v56/n3/1008334ar.pdf, consulté le 15 octobre 2015.