Conformément à la Déclaration d’Alma-Ata (ville du Kazakhstan), entérinée lors de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires (Alma-Ata, du 06 au 12 septembre 1978), « soulignant la nécessité d’une action urgente de tous les gouvernements, de tous les personnels des secteurs de la santé et du développement ainsi que la communauté internationale pour protéger et promouvoir la santé de tous les peuples du monde », l’Etat burkinabè a adopté la loi n°23/94/ADP du 19 mai 1994 portant Code de la santé publique. Cette loi (dans son Livre III, Titre I, Chapitre 4) promeut l’exercice et l’organisation de la médecine traditionnelle pour élargir l’offre et la couverture de santé au Burkina Faso. Mais 24 ans après l’adoption de ce texte, quelles sont les réalités de l’exercice de la médecine traditionnelle au Pays des hommes intègres ? Du 09 au 12 janvier 2018 donc, nous avons initié une série de rencontres avec les tradipraticiens et les herboristes de la ville de Ouagadougou. Au cours de ces visites, nous avons côtoyé le quotidien d’une science qui sauve : les difficiles conditions de travail, les relations parfois compliquées entre les tradipraticiens et les médecins, le témoignage de personnes guéries, etc. Reportage.
Avant d’entreprendre ce reportage, nous nous familiarisons avec les notions clés : la médecine traditionnelle, le tradipraticien. Pour cela nous nous référons à la loi n°23/94/ADP du 19 mai 1994 portant Code de la santé publique. Cette loi, dans article 141, stipule que « la médecine traditionnelle est l’ensemble de toutes les connaissances et pratiques matérielles ou immatérielles, explicables ou non, utilisées pour diagnostiquer, prévenir, ou éliminer un déséquilibre physique, mental, psychique et social en s’appuyant exclusivement sur des expériences vécues et des connaissances transmises de génération en génération, oralement ou par écrit. L’exercice de la médecine traditionnelle est assuré par un tradipraticien de santé. ». L’article 142, quant à lui, stipule que « le tradipraticien de santé est une personne reconnue par la collectivité dans laquelle elle vit comme compétente pour dispenser des soins de santé grâce à l’emploi de substances végétales, animales, minérales et de métaux ainsi que d’autres méthodes basées sur le fondement socioculturel de cette société. ». Imprégné de ces mots clés, nous effectuons nos sorties de terrain.
A la rencontre des tradipraticiens de santé
Il est 08 heures. Nous sommes le mardi 09 janvier 2018. Nous sommes à Zongo dans le district sanitaire de Boulmiougou, où nous avons rendez-vous avec Robert Sawadogo, tradipraticien de santé, par ailleurs président de l’Union des associations des tradipraticiens de santé et herboristes (U.A.TSH). La rencontre a lieu à son domicile, abritant son lieu de travail. Nous arrivons dans une cour construite en terre battue dont les murs se sont effondrés par endroits. Après les salutations d’usage, nous déclinons les raisons de notre présence en ces lieux. Heureux de nous accueillir, le propriétaire du logis nous installe sous un néré et se prête à nos questions.
« Je suis un tradipraticien de santé reconnu par le ministère de la Santé. J’exerce ce métier parce qu’il s’agit d’un don existant dans la famille depuis des générations. Je soigne les gens atteints de maladies mentales dues à une possession par les génies. Aujourd’hui, l’urbanisation a détruit certains lieux sacrés, chassant les génies de leurs bosquets. Ces derniers, laissés à eux-mêmes, errent et se réfugient dans les maisons des gens. Lorsqu’ils arrivent, vous commencez à avoir des problèmes. Il y a plusieurs types de génies. Il y a celui qui vous rend malade, celui qui détruit tous vos projets, celui qui vous fait parler dans votre sommeil, celui qui rend fou », nous confie d’entrée de jeu Robert Sawadogo. Nous lui demandons la permission de visiter son cabinet de consultation. Il nous le permet à la condition que des images de ce lieu ne soient pas faites. Nous entrons donc dans une maison d’environ 10m2, construite également en terre battue. Dès l’entrée, nous remarquons un tapis en peau de mouton. Dans la pièce, des seaux et des bocaux remplis de décoctions de plantes, d’écorces et de poudres. Sur le toit, pend une queue de mouton. Nous constatons aussi que la salle est divisée en deux par un rideau.
« C’est dans cette pièce que se déroulent les différentes consultations » nous explique Robert, « Ici, je diagnostique le mal du patient par la divination (il nous montre, cachés par un tissu, des cauris et des cailloux disposés sur la peau). Ensuite, lorsque le mal est détecté, je prescris les sacrifices à réaliser. Quand le patient s’exécute, je fais des offrandes aux mânes des ancêtres pour qu’ils m’aident à guérir le mal du patient. Cela se fait ici (il écarte le rideau pour nous laisser voir un autel couvert de plumes et de sang de poulets). ». Avant de quitter la pièce, le tradipraticien précise : « Il faut distinguer les charlatans ou les féticheurs et les tradipraticiens. Nous sommes reconnus par l’Etat et nous œuvrons à la guérison compète de nos patients. Par contre, nous nous éloignons de tout mal. Nous ne faisons pas d’avortement, nous ne fructifions pas l’argent par des pratiques mystiques, nous ne supprimons pas de vie sur commande, etc.). Sur ces mots, il nous conduit à l’extérieur où il nous présente son autorisation d’exercer délivrée par le ministère de la Santé à travers l’arrêté n°2015-871/MS/CAB portant autorisation d’exercice de la médecine traditionnelle.
Ensuite, nous quittons Zongo pour Somgandé, dans le district sanitaire de Nongremassom. Il est 14 heures. Là nous rencontrons Sibiri Seydou Ouédraogo, membre de l’U.A.TSH. A notre arrivée, il était déjà à l’œuvre dans son cabinet, une pièce dans laquelle les étagères et les armoires sont pleines de médicaments à base de feuilles, de racines, d’écorces. Le plafond est dans un mauvais état. Sur la grande table, qui lui sert de bureau, des piles de papiers. Il nous installe, puis nous lui exposons les motifs de notre visite. Le sourire aux lèvres, il nous répond : « Je suis tradipraticien de santé. Ici, je soigne diverses maladies comme les ulcères, l’hypertension et l’hypotension, le diabète, les hémorroïdes, la paralysie, les sinusites, la filariose lymphatique (éléphantiasis), etc.). En lisant ses notes écrites en arabe, il nous cite, en langue nationale mooré, des noms de plantes qu’il utilise : « Je soigne par les plantes. J’utilise les racines, les feuilles, les écorces. Il s’agit des plantes comme le Putrupugu (Calotropis procera), le Kuka (Khaya senegalensis) ou caïlcédrat, le Doaanga (Parkia biglobosa) ou néré, le Bagende (Piliostigma reticulatum), etc. il y en a une panoplie). Ensuite, il nous fait visiter son dépôt, sa salle de consultation. A la fin de la visite, nous prenons congé de lui.
Et nous voilà de nouveau dans les artères de la capitale, le soleil brillant au dessus de la tête. Direction Zogona, le quartier qui abrite l’Université Ouaga I Pr. Joseph Ki-Zerbo. Non loin du marché, nous avons rendez-vous avec Assèta Soré, déléguée des femmes de l’U.A.TSH. Nous la trouvons au domicile de sa mère, Mariam Bikienga. Les deux femmes sont des tradipraticiennes de santé.
« J’ai appris à soigner auprès de ma mère. Je suis curieuse de nature et je l’accompagnais dans la pratique du métier. Je soigne les maladies des enfants, mais aussi celles des adultes », nous confie dame Soré. « Je guéris les kystes, les fibromes, les démangeaisons génitales, je permets aux femmes d’être fécondes, etc. », ajoute-t-elle. Quant à sa mère, elle ne manque pas d’éloges pour sa fille : « Sa curiosité m’a encouragée à lui enseigner la pratique de la médecine traditionnelle. Depuis sa tendre enfance, elle était toujours à côté pour voir comment je fais. Maintenant, c’est elle qui sauve ». Elle utilise des plantes comme le néré ou le karité, mais il en existe toute une panoplie. Nous terminons notre premier jour de visite aux environs de 18 heures.
Nous sommes le 10 décembre 2018. Nous allons cette fois à la rencontre de Michel Ouédraogo, Secrétaire général de l’U.A.TSH. Nous le retrouvons au domicile de sa mère, Céline Dipaama (également tradipraticienne de santé) à Tanghin, où est situé son lieu de consultation. Il nous fait faire le tour du propriétaire et se prête à nos questions.
« Avant de pratiquer la médecine traditionnelle, j’avais créé mon entreprise de BTP (Etablissement Ouédraogo Daniel-Construction de bâtiments). J’ai construit plusieurs édifices dont le siège de la LONAB, la Cour Suprême, la résidence du gouverneur de la BCEAO, etc. Mais j’ai dû abandonner ce métier et déclarer la faillite de l’entreprise pour me consacrer à la médecine traditionnelle. Je suis tombé gravement malade et c’est alors que l’on m’a dit que j’ai été désigné pour exercer ce métier. J’ai hérité des génies de ma mère. Je soigne à partir des plantes : neemier, raisinier, goyavier, caïlcédrat, etc. ». A la question de savoir s’il vit bien de ce nouveau métier, Michel répond par l’affirmative : « Je vis bien. Je gagne ma vie en aidant les autres, en les soignant ».
Le troisième jour, soit le 11 janvier 2018, nous rencontrons deux tradipraticiens de santé : Mamadou Sawadogo, président du Réseau des Tradipracticiens et Herboristes du Centre (R.T.C.H.) et Ousmane Ouédraogo, président de la Fédération nationale des tradipracticiens de santé du Burkina (FENATRAB). Nous trouvons le premier à son domicile à Pissy, là où se situe aussi son cabinet de santé. Il est 10 heures à notre arrivée. Il nous reçoit dans la salle de consultation où sont également entreposés, dans des seaux ou dans des bouteilles, des médicaments à base de feuilles, d’herbes, etc. D’entrée de jeu, il nous dit, sur un ton badin : « Je ne vous dévoilerai pas tout. Vous, les journalistes, vous volez le savoir des gens ». Nous en rîmes, puis l’entretien commença. « J’ai hérité des connaissances de mes parents. Je soigne plusieurs maladies par les plantes : le zona, la syphilis, la malnutrition, les maladies dermatologiques. J’en soigne plusieurs, mais je ne soigne ni les yeux ni les oreilles.
Pour ces deux parties du corps, il faut faire des examens approfondis et cela est du ressort de la médecine moderne », explique notre interlocuteur. Notre entretien est interrompu, une quinzaine de minutes plus tard, par l’arrivée de plusieurs patients. L’entretien se poursuit à l’extérieur du cabinet. « Il existe de faux tradipraticiens. Ils n’ont souvent aucune formation ni aucune expérience, ni aucune autorisation, mais ils exercent. Ils ne connaissent pas les plantes, mais ils les utilisent. Il y a des plantes dont l’usage médical est purement externe à cause de leur toxicité. J’ai mon autorisation d’exercer délivrée par le ministère de la Santé », relate M. Sawadogo. Puis il est sollicité pour des consultations. Nous profitons de cette pause pour feuilleter deux albums photos que le tradipraticien a pris soin de mettre à notre disposition. Nous y retrouvons des photos de patients atteints de diverses pathologies (syphilis, dermatoses, filarioses lymphatiques) qu’il a guéris. A son retour, nous prîmes congé de lui. Mais il nous lance cette dernière phrase : « Ici la consultation est gratuite et le traitement est administré à prix social. Les prix vont de 500 F CFA à 600 F CFA ».
Notre dernière visite se déroule à 16 heures. Nous nous rendons à Larlé pour rencontrer Ousmane Ouédraogo, président de la FENATRAB. Il nous reçoit au siège de l’Action pour la Promotion de la médecine Traditionnelle (APMT), une ONG dont il est aussi le président. Nous entrons dans un cabinet de santé différent de ceux que nous avons visités auparavant de par le confort du mobilier et du matériel (fauteuils, table, lit de consultation, stéthoscope, etc.). « Ici, c’est le siège de l’ONG. Nous menons des actions de renforcement de capacités au profit des tradipraticiens, nous promouvons la médecine traditionnelle, nous faisons des recherches sur les plantes médicinales. Nous disposons d’une pharmacie phyto-thérapeutique, où nous vendons des remèdes homologués par le ministère de la Santé », nous dit-il en présentant l’ONG. « Nous travaillons en collaboration avec le ministère de la Santé et la médecine moderne. Nous recommandons des examens dans certains cas avant l’administration des médecines », ajoute-t-il. Au cours de l’entretien, nous évoquons les actions du gouvernement en faveur de la médecine traditionnelle, la vie de l’ONG et de la FENATRAB, la collaboration entre les tradipraticiens et les médecins, qu’Ousmane Ouédraogo qualifie de bonne. Nous visitons ensuite la pharmacie phyto-thérapeutique, où sont exposés des remèdes parmi lesquels des produits homologués : Anutonic (contre les hémorroïdes), Athiphy (contre la fièvre thyphoïde), Apalucide (contre le paludisme), Vigor++ (remontant sexuel), Stomacal (contre les ulcères d’estomac), Prodys (contre la dysentérie), Virustite (contre le zona), Glicemyl (contre le diabète), Hepathos (contre les hépatites B). Nous n’avons pas oublié les difficultés du métier. Sur ce dernier point, nous en avons discuté avec tous les interlocuteurs rencontrés.
Les problèmes rencontrés par les tradipraticiens
Au cours de nos visites et des discussions que nous avons eues, nous avons constaté quelques difficultés qui entravent le bon exercice de la médecine traditionnelle. Le premier obstacle est le manque de moyens financiers. La plupart des installations visitées sont exigües et le mobilier rudimentaire. « Nous avons besoin de moyens pour construire de grands cabinets, où nous pouvons recevoir nos patients dans le confort et l’hygiène. Nous avons besoin d’équipements adéquats pour les diverses consultations. J’ai déjà entrepris la construction d’un nouveau cabinet à Sandogo afin de déménager. Il faut un domicile pour dormir et un autre lieu pour travailler. Mais les moyens font parfois défaut », nous dit Robert Sawadogo.
Le second problème découle du premier. Il s’agit de la conservation et de l’hygiène des médicaments, de la préservation des plantes. « Le ministère recommande que nos produits soient propres et bien conditionnés. Nous devons veiller su l’hygiène de nos installations pour protéger nos patients d’autres maladies. Nous avons eu des formations en la matière », explique Sibiri Seydou Ouédraogo.
Une autre difficulté constatée est la guéguerre existant entre les différents regroupements des tradipraticiens. Il existe plusieurs associations et regroupements, donc un manque d’unité. Par exemple, l’U.A.TSH a été créée à la suite d’une scission avec le R.T.H.C.
En plus, les tradipraticiens déplorent tous les lourdeurs administratives qui rendent difficile et coûteuse l’obtention des homologations et des autorisations d’exercer. Selon Ousmane Ouédraogo, il existe près de trente trois mille (33 000) tradipraticiens et herboristes, mais environ six-cent (600) seulement disposent d’une autorisation d’exercice.
En outre, ils pointent du doigt un autre problème grave : la disparition de certaines espèces médicinales. « Nos fournisseurs font parfois des centaines de kilomètres pour nous approvisionner en matières premières », affirme Mamadou Sawadogo. « Nous avons chacun un jardin botanique. L’U.A.TSH dispose de son propre jardin botanique. Mais certaines espèces ont disparu », conclut Michel Ouédraogo. Ils évoquent aussi la disparition de l’expertise de la récolte, car, disent-il, « peu de gens connaissent les plantes, leur utilité et les périodes propices de récolte » ; en additif, il y a la collaboration parfois difficile avec les médecins et la concurrence déloyale exercée par des pseudo-tradipraticiens. Ils indexent les règlements qui interdisent la publicité sur leur métier.
Du reste, ces problèmes n’empêchent pas ces hommes et ces femmes de réaliser des guérisons pour le bonheur de leurs patients.
Des patients satisfaits et reconnaissant le mérite des tradipraticiens
« Aucun patient ne vient ici sans être guéri », clame Seydou Ouédraogo. Et il ne plaisante pas. Nous avons en effet rencontré des personnes qui affirment avoir souffert le martyr, mais elles ont été guéries. Nous avons recueilli des témoignages d’hommes et de femmes visiblement satisfaits.
« Le début de ma maladie n’a pas été facile. J’étais devenue presque folle. Il y a eu des moments où personne ne comprenait ce que je disais. Mes paroles n’avaient plus de sens. Nous avons sillonné les hôpitaux de la ville. Mes proches m’ont fait faire des examens, des radiographies et des scanners pour savoir de quoi je souffrais. Mais les médecins avaient du mal à me soigner. Puis nous avons eu écho des actions d’un tradipraticien efficace. Lorsque Robert a examiné mon cas, il a révélé la présence d’un génie qui me tourmentait. Nous avons suivi ses prescriptions, nous avons fait les sacrifices et offrandes nécessaires. Aujourd’hui je lui dois ma guérison et mon salut. Croyez au pouvoir de la médecine traditionnelle », nous dit Fatimata Zi, patiente guérie par Robert Sawadogo. A Somgandé, nous rencontrons également des patients qui témoignent de l’efficacité de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle. « Mon grand frère est tombé malade en 2009. Je l’ai fait venir à Ouagadougou et nous avons fait le tour des centres médicaux, en vain. Tout le monde croyait que son heure était arrivée. Heureusement j’ai entendu parler de Seydou et je lui ai amené mon frère. Il l’a guéri et mon frère est en vie. En 2014, je suis tombé malade à mon tour. Le zona s’était développé sur mon appareil génital. J’avais perdu du poids et il m’a soigné. Aujourd’hui je peux porter un pantalon sans une ceinture », témoigne Soumaïla Garané, patient de Sibiri Seydou Ouédraogo. A lui s’ajoute Salifou Sawadogo qui nous raconte : « Quand j’ai contracté ma maladie, j’ai énormément maigri. J’ai été malade pendant plus d’un an. Mon entourage pensait que je ne survivrai pas. En vérité, je n’y croyais plus, moi non plus et je l’ai fait remarquer à Seydou lorsqu’il est venu me voir. Il m’a assuré que je vivrai. Aujourd’hui je vous dis ce qui m’est arrivé. Je suis encore vivant grâce à lui. Il faut les aider à nous soigner ».
A Zogona, nous faisons la connaissance de plusieurs patientes guéries par la tradipraticienne Assèta Soré. L’une d’elles, Angèle Ilboudo, nous livre son récit : « J’avais des problèmes pour avoir des enfants. Je suis allée à l’hôpital, j’ai fait des examens gynécologiques et on m’a annoncé que j’avais des kystes. Ils m’ont aussi dit que je ne pourrai pas avoir d’enfants après l’intervention chirurgicale. Un médecin m’a recommandé de consulter Assèta Soré. Elle m’a prise en charge et, depuis un an, j’ai une fille ». Comme Angèle Ilboudo, nous avons rencontré des patientes comme Assaratou Guira, Mamounata Tiendrebeogo et Fourmatoulaye Ouédraogo, qui ont eu recours au savoir de la tradipraticienne pour se soigner.
Après ces tournées, nous avons requis l’avis du Dr. Natéwindé Sawadogo, sociologue, enseignant à l’Université Ouaga 2. Avec lui, il a été question de la place de la médecine traditionnelle et de la collaboration entre la médecine moderne et celle traditionnelle.
Le point de vue du sociologue sur la médecine traditionnelle
« Du point de vue sociologique, parler de la médecine traditionnelle, c’est aborder les modes de production de la connaissance. En sociologie, nous n’utilisons pas une approche normative de la connaissance. C’est en philosophie que l’on a une approche normative de la connaissance à travers l’épistémologie qui représente les modalités de validation de la connaissance scientifique. Sur le plan sociologique, la connaissance scientifique n’est qu’une modalité des connaissances qui existent dans une société. La médecine traditionnelle est une forme de connaissances dans une société donnée en plus des autres formes de connaissances. Ce sont des modes traditionnels de connaissance des faits de santé et des maladies qui coexistent avec d’autres modes dont la connaissance scientifique. Le mot tradition peut être équivoque. Il peut signifier l’ensemble du patrimoine culturel d’une société, y compris la science. Il peut aussi signifier, de façon très restreinte, les connaissances qui n’ont pas été prouvées par la science. Dans ce cas, on se situe dans une perspective temporelle. Sur le plan épistémologique, il y a ce que l’on appelle les connaissances à mode d’explication théologique. Ensuite, il y a des modalités de connaissances qui sont d’ordre métaphysique avec des explications d’ordre naturel. Puis vient la connaissance scientifique confirmée par l’expérimentation. Vous voyez donc, dans le premier cas, le mot tradition englobe tout ce processus jusqu’à la science. Dans le cadre institutionnel, le mot tradition renvoie à ce mode théologique d’explication de la réalité.
Le sociologue n’a pas de parti pris. Nous observons dans la société les types de connaissances qui existent, les institutions qui les hiérarchisent et pourquoi elles le font. Nous partons du principe qu’il y a plusieurs connaissances dans la société et nous observons comment elle hiérarchise ces connaissances. Nous ne nous prononçons pas sur le bien fondé ou non de la médecine traditionnelle, car il s’agit d’une autre étape de la réflexion sociologique », nous dit le Dr. Natéwindé Sawadogo. Nous lui demandons ensuite de nous parler de ses recherches sur la médecine traditionnelle. « Ma problématique part de ce que je viens de vous dire. Dans une société, il y a une hiérarchisation des connaissances. Dans le domaine de la santé, cette hiérarchie existe. Dans notre société, c’est la profession médicale issue de la science expérimentale qui est le garant de tout ce qui relève du domaine de la santé. Elle a le monopole d’organiser la santé. Dans le même temps, on demande aux médecins et aux pharmaciens d’aider le gouvernement à promouvoir la médecine traditionnelle ; c’est-à-dire d’user de toutes les stratégies et les techniques pour promouvoir la médecine traditionnelle dans notre pays. Il y a une règlementation qui organise tout cela. Ma question de recherche est de savoir quels sont les apports de la médecine, en tant que profession, depuis qu’on lui a délégué ce rôle, à la médecine traditionnelle. A-t-elle joué ce rôle ? Mon hypothèse est que le mode d’organisation professionnelle n’est pas suffisant pour prendre en compte l’intérêt public, les groupes professionnels ayant tendance à se lutter pour leurs propres intérêts. Les résultats montrent une part de validité dans mon hypothèse. L’initiative de promouvoir la médecine traditionnelle vient des médecins et des pharmaciens. Il y a une prise de conscience individuelle de l’importance de la médecine traditionnelle. Mais il y a des blocages.
Le médecin a à la fois le monopole de la connaissance et celui des outils et le pharmacien a le monopole du médicament. Le tradipraticien n’a donc rien. Si le médecin place des barrières, le tradipraticien ne peut pas exercer car le médecin a le monopole. La profession médicale et pharmaceutique a eu plus tendance à organiser sa propre juridiction que de véritablement incorporer les connaissances traditionnelles médicales et pharmaceutiques dans la promotion de la santé, en prenant en compte les tradipraticiens. Il y a deux aspects : le médecin peut vouloir connaître une technique médicale donnée qu’il juge efficace chez un tradipraticien, mais il refuse d’élever ce dernier à son niveau. Il voudra que le tradipraticien lui apprenne la technique que de référer le malade au tradipracticien. Il y a plus un engouement pour le contenu de la connaissance qu’une valorisation de la personne qui la détient ». Parlant de l’importance de la médecine traditionnelle, il nous donne ce chiffre : « selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en Afrique, environ 80% de la population a recours aux soins de santé primaires ».
Malgré la difficulté évoquée par le Dr. Natéwindé Sawadogo, le gouvernement fournit des efforts, même s’il reste de nombreuses actions à accomplir.
Des efforts de l’Etat burkinabè pour promouvoir la médecine traditionnelle
Ces efforts sont constatés essentiellement sur le plan réglementaire et législatif, sur le plan infrastructurel, sur le plan institutionnel.
Sur le plan réglementaire et législatif, plusieurs textes ont été adoptés et promulgués. Tout d’abord, il y a la loi n°23/94/ADP du 19 mai 1994 portant Code de la santé publique. Puis il y a plusieurs décrets : le décret n°2004-567/PRES/PM/MS/MCPEA/MECV/MESSRS du 14 décembre 2004 portant conditions d’exercice de médecine traditionnelle au Burkina Faso, le décret n°2013-552/MS/CAB du 21 juin 2013portant modalités d’exercice de la médecine traditionnelle au Burkina Faso.
Sur le plan Infrastructurel, il y a plusieurs réalisations : la construction du centre intégré de la médecine traditionnelle à Tengandogo, la construction de deux interfaces médicales à Tenkodogo et à Ouahigouya.
Sur le plan institutionnel, il y a la mise en place de la Direction de la médecine et pharmacopée traditionnelle (DMPT), relevant de la Direction générale de la pharmacie, du médicament et des laboratoires (DGPML). Nous avons effectué une visite à cette direction le vendredi 12 janvier 2018. Nous y avions rendez-vous avec le Dr. Pascal Nadembega, spécialiste en pharmacognosie (science des substances biologiques à vertu ou potentiel médicamenteux), Directeur de la DMPT. Nous remarquons, dès l’entrée de son bureau, quelques détails troublants : il n’y a pas d’ordinateur, ni d’imprimantes, ni de photocopieuse, mais juste trois chaises, une armoire, une table sur laquelle sont posées des piles de documents. « Notre principale difficulté ici est liée au manque de moyens financiers. Nous n’avons pas les moyens pour travailler efficacement. L’équipement de base nous manque, comme vous le constatez vous-même », nous interpelle le directeur. Ensuite, nous parlons des missions de la direction. « Nos actions concernent essentiellement le renforcement des capacités et l’accompagnement des tradipraticiens. Nous les conseillons pour l’obtention des autorisations de mise sur le marché de leurs produits, nous les formons à travers des modules pour la gestion efficace de leurs associations. Nous prenons en compte aussi la médecine alternative ; c’est-à-dire des pratiques médicales traditionnelles d’autres pays », affirme-t-il.
Puis nous parlons de la collaboration entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne et le rôle de facilitation dévolu à la direction. Sur cette question, il nous apprend que la relation entre les deux médecines est réglementée. Il y a le mécanisme de recours et de contre-recours. Lorsque nous évoquons les querelles persistantes entre les deux corps professionnels, il nous dit : « Il s’agit d’un problème de formation. Les médecins ne sont pas formés à la médecine traditionnelle (récolte, préparation des plantes). Aujourd’hui, la médecine moderne a quelques limites. Donc ils doivent admettre la médecine traditionnelle ». Nous lui demandons quelles sont les difficultés du service. Evidemment, il évoque l’absence d’un fonds dédié à la médecine traditionnelle. Mais il propose des solutions pour promouvoir le secteur. Selon lui il faut adopter la stratégie basée sur l’innovation ; c’est-à-dire amener les tradipraticiens à être des petites et moyennes entreprises (PME), organiser un marché de matières premières végétales à vocation médicinale, la mise en place de grands jardins botaniques.
A la fin de l’entretien, nous allons à la rencontre des agents de la Direction. Il y a quatre pharmaciens spécialisés, un sociologue, un infirmier spécialisé. Mais il n’y a pas de médecin.
Nous quittons les lieux à 10 heures, empruntant les routes poussiéreuses de la capitale, tout en espérant éviter de contracter une infection.
Jean-Yves Nébié