L’insécurité les a obligés à partir de chez elles, abandonnant matériel et bétail. Déplacées dans leurs propres pays pour certaines et réfugiées pour d’autres, ces femmes membres de l’association Tin Hinan subviennent à leurs besoins grâce à leur savoir-faire artisanal. Rencontre avec les femmes déplacées et réfugiées pour qui l’art est devenu le moyen de survie !
Il est 9h ce lundi 28 mars 2021 lorsque nous arrivons devant une cour familiale du quartier Tanghin de Ouagadougou. A l’intérieur de la cour, nous trouvons une dizaine de femmes et leurs enfants. Nous y avons rendez-vous avec des femmes déplacées et réfugiées qui vivent grâce à leur art. Assises sur des nattes sous un hangar, elles bavardent en travaillant et en sirotant du thé. Elles sont du groupe ethnique kel tamajeq communément appelé touareg ; leur langue est le tamasheq et elles portent toutes le tissu léger « leppi ».
L’art touareg rime avec maroquinerie et bijoux
Grâce à leur savoir-faire artisanal, transmis de mère en fille, les femmes touarègues créent divers articles à la fois décoratifs et utilitaires. Ce matin, Amkoulou Wallet Ahmad, une quinquagénaire fabrique des porte-clés en cuir. « J’achète la peau de chèvre et les perles au marché. Ensuite, je la racle et la découpe dans la forme que je veux avant de la teindre. Après ça, j’assemble le tout pour faire des porte-clés », explique Amkoulou. Il arrive qu’au sein de la communauté, un animal soit abattu. Les femmes prennent alors la peau de l’animal et la transforme pour pouvoir l’utiliser. En ce moment, elles n’ont pas besoin d’aller l’acheter au marché.
Malgré qu’elle discute avec nous, Amkoulou garde les yeux rivés sur son ouvrage. Le seul moment où elle lève la tête, c’est quand elle veut arranger le pan de son « leppi » qui couvre partiellement son visage. En plus des porte-clés, Amkoulou Wallet Ahmad fait aussi des sacs, des pochettes, des trousses, des poufs, des coussins, des tentes traditionnelles, des nattes, des jouets pour enfants et même des pièces de jeu d’échecs, le tout à base de cuir.
Un bout de cuir et une aiguille dans les mains, Fadimata Wellet Elhassane âgée de 59 ans, termine une natte débutée plusieurs semaines plus tôt. Faite avec des brindilles d’une herbe nommée « Afasu » en tamacheq, la natte est combinée à de la laine, des fils et du cuir. « Sa particularité, c’est qu’elle préserve de la chaleur du sol et tant qu’elle est protégée de l’eau, elle ne se détériore pas », affirme Fadimata en souriant. Au vu des détails et des motifs sur la natte, l’on devine que Fadimata, bien qu’elle ait presque 60 ans a encore une vision très claire. A l’aide d’un caillou noir, elle lisse le cuir sur la natte. « Je suis la 6ème génération de ma famille à utiliser ce caillou. Quand je n’aurais plus la force de l’utiliser, je le passerais à l’une de mes filles », nous relate Fadimata.
La maroquinerie n’a plus secret pour elles car dans la société touarègue, le cuir est réservé aux femmes tandis que le métal est l’apanage des hommes. Les filles baignent donc dans l’univers de la maroquinerie dès l’enfance.
A côté d’Amkoulou et de Fadimata, Aminata Alkanafi, une jeune dame, assise les jambes croisées, aligne des perles pour faire un bracelet. Devant elle, des colliers, des bagues, et des coquillages sont posées sur un éventail. Un objet en forme de « W » trône au milieu de l’éventail. « C’est le Homeissa », nous dit Aminata.
Selon elle, cet objet fait en argent symbolise la féminité donc de nombreuses femmes touarègues le portent. Pour les différents bijoux qu’elle confectionne, Aminata utilise des pièces qu’on trouve difficilement sur le marché. Il s’agit entre autres d’or, d’argent, de perles et de morceaux de coquillages : « La plupart des perles proviennent de sites archéologiques », précise Aminata Alkanafi. Dans la vie nomade, les femmes ont un temps spécial durant lequel elles vont faire elles-mêmes la collecte des pierres archéologiques. « En creusant, on peut trouver des canaris plein de perles », continue Aminata.
Le savoir-faire artisanal touareg, c’est aussi le maquillage…
Les femmes font elles-mêmes les masques de visages ou de corps, les nettoyants ainsi que les colorants à lèvres. Au sein du groupe, Tinawelan Wallat Hibba, âgée d’une trentaine d’années est la spécialiste du make-up traditionnel. Sourire aux lèvres, la jeune dame prépare un masque à visage. « J’utilise uniquement des produits naturels » révèle-t-elle en montrant sa palette d’ingrédients composée d’un caillou, d’une datte dénoyautée, de lait, d’un œuf, de safran, du curcuma, etc. « Je m’en sers pour créer des masques et des maquillages. Les femmes adorent », assure-t-elle.
Quand le terrorisme s’en mêle !
Tous ces produits confectionnés par les femmes sont désormais leur unique source de revenus. Quelques années plus tôt, lorsque la paix régnait encore, elles vivaient de l’élevage, du commerce et de l’artisanat. Aujourd’hui, l’élevage, leur principale activité n’est plus possible. A cause du terrorisme et son corollaire de tracas, elles ont dû partir de chez elles avec leurs maris et leurs enfants pour sauver leurs vies. Impossible cependant d’emporter le bétail ou le matériel quotidien.
Déplacées et réfugiées se sont retrouvées dans les différents quartiers de Ouagadougou. Ayant la même culture, les femmes touarègues se sont regroupées en communauté pour pouvoir s’entraider. Soutenues par l’association Tin Hinan (une structure créée au Burkina Faso en 1994 par des femmes réfugiées venues du Mali et Niger), elles décident de faire ce qu’elles connaissent le mieux : l’art traditionnel. « C’est le moyen de subsistance qu’elles ont sous la main pour pouvoir avoir des revenus. Les autres métiers nécessitent un temps d’apprentissage et des moyens pour se former », confie Saoudata Walet Aboubacrine, la secrétaire générale de l’association Tin Hinan.
Dur dur d’écouler les créations
Après l’étape de confection, vient celle de l’écoulement. Celle-ci se fait au sein de la communauté d’abord. Par exemple, lorsqu’il y’a un mariage, ce sont les autres membres du groupe qui vont apporter le matériel dont le couple aura besoin au quotidien. « Là, il n’y a pas de transaction financière, c’est un soutien », explique Saoudata.
Au niveau urbain, cette pratique continue mais elle est rare. Du coup, les femmes vendent leurs créations et les produits de beauté pour avoir du revenu. A Ouagadougou, c’est dans une boutique sise au quartier Somgandé qu’elles exposent leurs créations. Un salon de beauté est également en train d’y être aménagé pour accueillir les femmes qui désirent se faire belles à la mode touarègue.
La difficulté principale à laquelle les femmes déplacées et réfugiées sont confrontées reste la méconnaissance de leur art par le public burkinabè. En plus de cela, les commandes extérieures de leurs objets d’art se raréfient en raison de la crise sanitaire de covid-19. Les femmes se rabattent donc sur les foires d’expositions de produits artisanaux ; mais là encore le prix est jugé cher car vendu à partir de 1000 FCFA. Les produits ne trouvent pas toujours preneur. Pourtant, les femmes déplacées et réfugiées comptent sur le fruit de leur labeur pour subvenir à leurs besoins. Conscientes que l’aide humanitaire ne pourra pas combler toutes leurs attentes, elles continuent de confectionner leurs produits artisanaux en espérant qu’un jour, les commandes afflueront.
Un savoir-faire artisanal menacé de disparition
Aujourd’hui, l’artisanat touareg se heurte à la modernité et malheureusement, dans ce bras de fer, il est peu probable qu’il ait le dessus. Les connaissances traditionnelles sont en train de disparaitre avec leurs détentrices car la chaine de transmission mère-fille a perdu de sa solidité. « Certains produits ne se font même plus parce que celles qui maitrisent leurs fabrications ne sont plus là », déplore Saoudata Walet Aboubacrine. Et de poursuivre : « notre amour pour notre culture, nos traditions et leurs utilités, nous oblige à faire des sacrifices pour les conserver. Mais à côté de ça, il y’a aussi la survie des communautés dans le milieu urbain qui est tout aussi importante ».
Le véritable défi à présent, c’est de trouver des moyens de préserver et de perpétuer cet art en milieu moderne car comme l’a dit l’écrivain Corrine Boissier : « sans l’art, il n’y a pas d’histoire. Sans histoire, il n’y a pas de culture ».
Faridah Dicko