- Introduction
Le manque de fourrage, à la fois aggravé par des conditions de sécheresse et le manque de terre (réduction des aires de pâture par l’avancée du front agricole) et d’autres raisons non négligeables (évoquées plus haut) contribuent aux faibles performances du cheptel et par ricochet impactent négativement sur les conditions de vie des ménages d’éleveurs et à l’économie locale et nationale. Cependant, la façon la moins onéreuse d’alimenter les herbivores domestiques consiste à les amener dans la végétation naturelle avec ses dommages sur l’environnement (sol, végétation). Désormais, l’alimentation du bétail doit être repensée avec le développement des méthodes d’intensification de la production fourragère. Heureusement, la recherche et les partenaires techniques et financiers ont développé des techniques efficaces pour booster la production fourragère. Mais force est de constater que le manque de diffusion et de formation au profit des agropasteurs constitue une contrainte à leur adoption. Les banques fourragères présentent des avantages économiques et environnementaux (DONDEYIRE, 2022). Elles peuvent trouver une place dans le système fourrager pour améliorer l’alimentation du cheptel en toute période de l’année. Les banques fourragères pourraient compléter les ressources disponibles. Cependant, leur adoption est confrontée à des contraintes d’ordre technique, économique, sociale et de disponibilité des terres (SANOU et al., 2017). Ces contraintes sont entre autres le manque de connaissances des éleveurs sur les itinéraires techniques de production de fourrage, le stockage et l’utilisation des fourrages, le manque de disponibilité en semences fourragères, le manque de main-d’œuvre et de terre, etc. Pour prendre en compte ces multiples contraintes techniques et socio-économiques inhérentes à l’introduction des banques fourragères dans le système fourrager, et pour accompagner les éleveurs dans l’apprentissage de cette innovation, il est initié la présente étude. Ce document de vulgarisation, élaboré à l’endroit des Agences et ONG du développement rural, les vulgarisateurs de l’agriculture et des ressources animales, a pour but de contribuer à l’amélioration de la résilience des écosystèmes et des populations à la variabilité climatique par la promotion de culture de fourrage dans les agrosystèmes de la région du Centre-Ouest du Burkina Faso. Il a permis d’examiner les facteurs influençant les décisions des agropasteurs à incorporer la production fourragère dans leurs champs.
2.1. Description des sites d’étude
Cette étude a été menée à Somé (province du Boulkiemdé) située dans la région Centre-Ouest du Burkina Faso. Le choix des deux villages s'est basé sur la présence d'exploitations agricoles avec une surexploitation des espaces. Cette surexploitation des terres a amenuisé considérablement les parcours naturels. Ainsi, les pâturages sont réduits et les éleveurs sont obligés d'amener leur bétail dans la forêt communautaire de Saria. Le climat à Somé est une saisonnalité marquée avec la majorité des précipitations se produisant pendant la saison des pluies qui dure 6 mois de mai à octobre. Sur la base des données recueillies à partir de la mini-station météorologique in situ à Saria (localité située à 7 km de Somé), pour la période 2006-2021, la pluviométrie annuelle moyenne était de 845 ± 92 mm avec une grande variabilité interannuelle; et le nombre de jours de pluie par an était de 61 ± 7 jours. La température moyenne journalière variait de 30 °C pendant la saison des pluies à 45 °C en avril et en mai. Le principal type de sol est Lixisol ferrique qui a généralement une faible fertilité. La végétation du site de Somé est caractérisée par des graminées de savane, des arbres et des arbustes et un paysage agricole. Les principales cultures cultivées sont Sorghum bicolor (sorgho), Panicum miliaceum (mil), Zea mays (maïs), Arachis hypogaea (arachide), Vigna unguiculata (niébé) et Gossypium hirsutum (coton). Les gens pratiquent principalement une agriculture de subsistance entièrement alimentée par les précipitations. Les espèces ligneuses fourragères dominantes sont Faidherbia albida, Acacia albida, Acacia seyal, Acacia macrostachya et Piliostigma reticulatum. Les principales espèces herbacées sont Pennisetum pedicellatum, Loudetia togoensis, Walteria indica, Dactyloctenium aegyptium et Andropogon gayanus.
Un classement initial de la richesse des agropasteurs a été effectué afin d'inclure un nombre représentatif d'agropasteurs de différentes catégories de richesse dans l'échantillon. La méthode d'analyse participative de la pauvreté et de la dynamique des moyens d'existence a été utilisée pour classer chaque ménage agricole selon son niveau de richesse en utilisant une approche d'échantillonnage stratifié. Pour ce faire, la situation de richesse des ménages a été classée selon des critères déterminés par des informateurs clés. L'ordre des classements qui a émergé est pauvre, modéré (peu aisé) et riche. Ainsi, 240 ménages à enquêter ont été sélectionnés de façon aléatoire suivant leur état de richesse dans le village de Somé et Tiogo. Les enquêtes ont été réalisées à l’aide d’un questionnaire avec l’assistance des guides comprenant bien les langues locales. Les données ont été collectées à cinq sections. La première section a permis de recueillir des informations sur les caractéristiques socio-économiques et démographiques du ménage. La deuxième section a recueilli les informations sur l’alimentation du bétail et les contraintes liées à l’activité d’élévage. La troisième section a traité de l’identification des facteurs pour la production et la conservation de fourrage par les agropasteurs; La quatrième section a abordé les aspects liés à la production et conservation de fourrage à travers l’installation des banques fourragères. La cinquième section du questionnaire a traité des suggestions et/ou recommandations permettant d’accroître la production et la conservation de fourrage. Pour les questions de l’alimentation du bétail et des contraintes qui y sont liées, les personnes interrogées ont été invitées à les évaluer sur une échelle de 4 points, échelle de type Likert : 1=non important, 2=modérément important, 3=important et 4=très important (Clason et Dormody, 1994).
2.3. Analyse des données collectées
Les analyses descriptives ont consisté à des calculs de pourcentage, de nombre de citation, de moyenne et de l’écart type. La régression logistique binaire a permis d’apprécier l’influence des facteurs socio-économiques et démographiques sur l’adoption des technologies banques fourragères par les agropasteurs. Lors de l’analyse, le modèle contenait, 19 variables explicatives qui ont été introduites simultanément, et la régression linéaire ascendante choisit la meilleure combinaison de variables en fonction du modèle le plus approprié pour les données (Tableau 1). L’ordination non métrique de la matrice d’occurrence (NMDS) a été utilisée pour évaluer les relations entre les variables socioéconomiques et démographiques et les espèces fourragères désireuses/souhaitées par les agropasteurs à planter dans les banques fourragères. L’ordination a été basée sur la citation (1) ou pas (0) des espèces fourragères préférées.
Tableau 1: Variables utilisées dans les modèles de régression logistique binaire
3.1. Profil socio-économique et démographique des agropasteurs enquêtés
Les répondants sont composés de 50% d’hommes et de 50% de femmes. Leur tranche d’âge est comprise entre 20 à 69 ans avec une prédominance de groupe ethnique Mossi qui représente plus de 59% des enquêtés. Plus de 66% des personnes enquêtées étaient analphabètes. Les enquêtées étaient composés de 75% d’autochtones et de 25% de migrants. Les ménages ayant entre 5 et 10 individus représentent 40% des personnes enquêtées. La plupart des ménages (65%) tirent leurs revenus de l’agriculture et l’élevage. Ces activités sont généralement pratiquées sur des terres acquises soit par heritage (63%) et par don (35%). Plus de 69% des répondants travaillent sur des faibles superficies de 1-4 ha. Les labours sur ces terres agricoles se font à 53% à la daba et 47% par la charrue et à la traction animale. La majorité des répondants (65%) pratiquent l’élevage de type extensif contre 35% qui pratiquent l’évelage intensif et semi-intensif. Ces dernières années, les repondants constatent une augmentation de l’effectif de leur cheptel (83%), 16% estiment une dimunition de la taille du cheptel et seulement 4% trouvent une stabilité quand à la taille de leur troupeau.
3.2. Alimentation du bétail et contraintes
Sur la base de l’échelle catégorielle de type Likert, les résidus de récolte (=2,67) et les parcours naturels (2,58) sont les plus utilisés par les agropasteurs. Par contre, les sous-produits agro-industriels (=1,53), le foin et fourrage amélioré (=1,46) sont des sources d’alimentation faiblement utilisées pour nourrir les animaux. Les enquêtés sont conscients de l’amenuisement des ressources fourragères. Ils en connaissent les contraintes liées à l’alimentation du bétail (tableau 3). Les moyens financiers et l’accès au crédit (=3,57), la pénurie d'eau (=3,07), la mauvaise qualité du fourrage (2,62), la sècheresse (=2,51) sont les contraintes majeures auxquelles les répondants rencontrent dans l’alimentation du bétail. L’insuffisance de terre pour la pâture (=2,78), le manque de main d'œuvre (=2,63) et la pénurie d'aliments (=2,50) sont des contraintes qui influencent l’alimentation du bétail.
Tableau 2 : Sources d’alimentation et contraintes majeurs liées à l’alimentation du bétail
Note : Les moyennes suivies du signe « * » indiquent qu’elles sont significatives selon l’échelle catégorielle de Likert type.
3.3. Facteurs influençant l’adoption des banques fourragères dans la zone nord-soudanienne du Burkina Faso
La régression logistique binaire présente de bonnes propriétés prédictives et estimatives en référence aux résultats du modèle logit binomial sur les caractéristiques des ménages influençant l’adoption de la production fourragère et sa conservation (Tableau 3). En effet, 25% des variations de décision d'adopter la technologie banques fourragères sont expliquées par les variations des variables indépendantes introduites dans le modèle. Pour ce modèle, 94.60% des prédictions sont correctes. Par conséquent, le modèle a disposé d’une forte capacité de prédiction. Les résultats du modèle indiquent que les coefficients de régression de la variable, «richesse des ménages» (RDM) est significatif au seuil de 5% et ceux des variables «genre» (SEX), «ethnie» (ETH), «âge»(AGE), «niveau d’étude» (EDU) «durée d’habitation» (HAB), «source de revenu» (SDR), «régime foncier» (RFON), «taille des terre agricoles» (SUP), «système d’élevage» (SDE), «tendance du cheptel» (TDC), «nombre de tête du cheptel» (NTC) et «assistance technique» (ASST) sont significatifs au seuil de 1 %. Ainsi, ces variables soulignent l’influence positive de la volonté des enquêtés à adopter l’innovation/technologie.
Tableau 3: modèle de régression logistique binaire des caractéristiques des ménages influençant l’adoption de la production fourragère et sa conservation
Note: les estimations statistiquement significatives sont indiquées par les astérisques (**Significatif à 5%, ***Significatif à 1%) **P˂0.05; ***P˂0.005; Test Hosmer & Lemeshow: χ2=26,38; df=8: P=0.0001; valeur de probabilité -2Log=;75.95; Cox & Snell R2=;0.25; Nagelkerke R2= 0.48; Pourcentage de prédiction du modèle =94.60%.
3.4. Influence des attributs socioéconomiques et démographiques des ménages sur le choix des espèces fourragères
Un total de 31 espèces ligneuses et herbacées appartenant à 13 familles a été cité par les répondants comme pouvant être des espèces fourragères à produire dans les banques fourragères (Tableau 4). La famille des Fabaceae-Mimosoideae (25,81%) est la plus représentative avec huit espèces, suivie de celle des Anacardiaceae (12,9%), des Fabaceae-Caesalpinioideae (12,9%) et des Poaceae (12,9%) avec quatre espèces chacune, ensuite celles des Fabaceae-Faboideae (6,45%) et des Malvaceae (6,45%) avec deux espèces chacune, enfin le restant des familles (3,23%) représentées par une seule espèce chacune. Les espèces les plus fréquemment citées sont Pterocarpus erinaceus (54,17%), Andropogon gayanus (45,83%), Pennisetum pedicellatum (40,42%), Khaya senegalensis (39,58%) et Afzelia africana (20,83%). Par ailleurs, l’ordination non métrique de la matrice d’occurrence (NMDS) a montré que les attributs socioéconomiques et démographiques des ménages influencent sur la volonté et/ou le choix des agropasteurs sur les espèces à inclure dans les banques fourragères. Sur l’axe 1 de la figure 1, ces déterminants socioéconomiques sont le genre (femme), le groupe ethnique (mossi), l’âge, la religion, le statut de résidence (autochtone), le temps d’occupation ([30-39]), la source de revenus (agriculture), la taille du champ (˃1 ha), le statut de richesse (riche), la taille du ménage ([1-5]) (P˂0,05) (Tableau 5).
Tableau 4 : Liste des espèces fourragères herbacées et ligneuses à produire dans la banque fourragère
Note : les noms des espèces en gras sont des espèces herbacées.
Tableau 5 : Attributs socioéconomiques et démographiques affectant le choix des espèces fourragères à planter dans les banques fourragères
Note: Les valeurs de probabilité significatives en gras sont indiquées par des astérisques *** P˂0,001; **P˂0,005; *P˂0,01.
Figure 1: Facteurs affectant le choix des Espèces fourragères à planter dans les banques fourragères
3.5. Suggestions locales pour accroître la production et la conservation du fourrage
Les agropasteurs enquêtés ont formulé des suggestions pour accroître la production de fourrage et faciliter sa conservation dans leur localité (Tableau 6). La majorité des enquêtés (87,92%) a suggéré la formation en techniques de production fourragère, 63,75% des enquêtés souhaitent avoir un appui financier, pendant que 45% ont exprimé les besoins en disponibilité de points d’eau permanant. Pour la production fourragère, 41,42% souhaitent avoir du matériel de culture adapté, la disponibilité en semences est le souhait de 22,5% des enquêtés, tandis que 21,25% demandent à avoir des sites sécurisés et 19,17% désirent un appui pour l’amendement de leurs sites. L’appui technique est le moins cité par les agropasteurs (3,33%). Afin d’assurer l’alimentation du bétail avec du fourrage de qualité, les agropasteurs enquêtés ont suggéré à priori la formation en technique de conservation du fourrage (84,58%). L’acquisition d’un espace de conservation (magasin) du fourrage est une doléance exprimée par 73,75% des enquêtés. Toutefois, 30,83% souhaitent avoir du matériel nécessaire à la conservation du fourragère, 13,75% en appui financier et seulement 4,58% en assistance technique.
Tableau 6: Suggestions locales pour accroître la production de fourrage
L'objectif global de notre étude était d’examiner les facteurs influençant les décisions des agropasteurs à incorporer la production fourragère dans leurs exploitations agricoles dans la région du Centre-Ouest du Burkina Faso. Les résultats obtenus indiquent que des facteurs socioéconomiques et démographiques ont une influence sur la décision d’adoption de la technologie banque fourragère. Il en est de même pour le choix des espèces à être plantées et/ou produites dans les banques fourragères par les agropasteurs. Des contraintes émaillent l’alimentation du bétail en saison sèche motivant ainsi le souhait des agropasteurs à produire eux-mêmes de l’aliment pour leur cheptel. Dans la perspective d’une promotion à grande échelle de la technologie des banques fourragères, il est indispensable de prendre en compte les déterminants socioéconomiques et démographiques influençant la décision des agropasteurs à inclure les cultures fourragères dans leur production. L’adoption des banques fourragères améliorera la disponibilité du fourrage en quantité et en qualité au bétail en tout temps et du même coup, contribuera à réduire à long terme les conflits entre les éleveurs et agriculteurs, la réduction de la pauvreté et à faire reculer la désertification. L’Etat et ses partenaires techniques et financiers (Agences de développement, ONG, projets et programmes) devraient appuyer les agropasteurs à la pratique de l’élevage intensif grâce à la culture des espèces fourragères en renforçant leurs capacités en techniques de production et de conservation du fourrage et en mettant en place un mécanisme de production et de distribution économique des semences fourragères de qualité aux producteurs.
SANOU Lassina1, DELMA Barkwemdé Jethro1, DIAWARA Sata1,2, BARRY Fanta1, DONDEYIRE Evelyne3, THIOMBIANO Daniabla Natacha Edwige1, YAMKOULGA Marcellin1, KOALA Jonas1
1Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), Ouagadougou, Burkina Faso
2Université Joseph Ki-Zerbo/Unité de Formation et de Recherche en Sciences de la Vie et de la Terre (UFR/SVT) /Laboratoire de Biologie et Ecologie Végétales
3Centre Régional AGRHYMET, Niamey, Niger
Auteur correspondant : SANOU Lassina; email: lassina.sanoulassina@gmail.com
5. Références bibliographiques
DONDEYIRE E., 2022. Adoption de la technologie banque fourragère par les agropasteurs dans la région du Centre-Ouest du Burkina Faso. Centre Régional AGRHYMET, Niamey (Niger), Mémoire de master en pastoralisme, 89 p.
SANOU L., DELMA J., BARRY F., DIAWARA S., THIOMBIANO D.N. E. YAMKOULGA M. KOALA J. 2022. Déterminants d’adoption des banques fourragères par les agropasteurs dans la zone nord-soudanienne du Burkina Faso : cas de la région du centre-Ouest. Tropicultura . Accepté non paru
SANOU L., SAVADOGO P., EZEBILO E.E., & THIOMBIANO A., 2017. Drivers of farmers’ decisions to adopt agroforestry: Evidence from the Sudanian savanna zone, Burkina Faso. Renewable Agriculture and Food Systems, 1-18. DOI: 10.1017/S1742170517000369