Document de vlgarisation : Perceptions paysannes sur l’agroforesterie en zone nord soudanienne du Burkina Faso

Soumis par RedacteurenChef le jeu 18/01/2024 - 10:48

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1. Introduction

Dans les pays sahéliens, les perturbations climatiques importantes survenues dans les années 70 ont fortement impacté les systèmes de production. Ce changement a conduit à des sécheresses récurrentes qui ont entrainé une réduction du potentiel de production des systèmes agrosylvopastoraux (SANOU et al., 2017). Au Burkina Faso, les pluies sont passées d’abondantes dans les années 1950 à très insuffisantes dans la décennie 1970-1980  Ainsi, les agriculteurs ont développé sur leur terres agricoles des techniques agroforestières (gestion des plantes d’espèces et plantation des espèces désireuses selon leurs propriétés diverses) pour mieux s’adapter et exploiter les terres marginales afin de réduire le déficit croissant au niveau des rendements (SANOU et al., 2022).  Cette présence de plus en plus marquée des ligneux dans les systèmes de production végétale a favorisé la naissance de parc agroforestier dans les villages. Cela  contribue substantiellement à la satisfaction des besoins des populations en produits ligneux et non ligneux (SANOU et al., 2017). En effet, ces arbres remplissent diverses fonctions sur le plan socio-économique, écologique et dans la stabilisation et la fertilisation des sols (SANOU et al., 2017). De nos jours, le rôle joué par ces parcs agroforestiers intègre d’autres aspects en lien avec la séquestration du carbone et la lutte contre le changement climatique à travers des mécanismes tels que la Réduction des Emissions de gaz dues à la Dégradation et à la Déforestation (REDD+)  Comprendre certains aspects ou contours de l’agroforesterie  (identification des espèces ligneuses épargnées et/ou conservées dans les champs, identification des espèces ligneuses plantées dans les champs, identification des espèces ligneuses ayant disparues des champs, avantages perçus par les petits producteurs dans l’adoption de l’agroforesterie, contraintes à l’adoption de l’agroforesterie, facteurs socioéconomiques économiques et démographiques des ménages qui affectent l’adoption de l’agroforesterie) aidera à fournir des indications pour le développement d’un système agroforestier qui réponde aux préférences et aux exigences des agriculteurs. Ce document de vulgarisation a été conçu afin de disposer d’informations au profit des décideurs, des planificateurs agricoles, des techniciens, Agences et projets de développement dans la promotion de l’agroforesterie en zone nord soudanienne et même au-delà. Cela contribuera à la préservation et au renforcement de la biodiversité végétale et du même coup à assurer une amélioration des productions agrosylvopastorales dans un environnement résilient.

2. Matériels et méthodes

Enquêtes préliminaires

L’étude s’est déroulée dans quatre villages à savoir Saria (région du centre-ouest), Kalzi, Pissi et Taoghin (région du centre-sud). Ces villages ont été choisis sur la base d’existence d’interventions de projets dans la vulgarisation des techniques agroforestières. Au départ, un sondage préliminaire a été organisé auprès de trois focus groupes regroupant au moins une cinquantaine de personnes. Différents thèmes en lien avec la pratique de l’agroforesterie ont fait l’objet d’échanges avec les agriculteurs. Ces séances d’entretien avaient pour but d’avoir une idée globale sur les opinions concernant les technologies agroforestières. A l’issue de ces entretiens, une fiche d’enquête préliminaire a été conçue et comportait une série de questions ouvertes et fermées essentiellement focalisées sur leur entendement de la pratique de l’agroforesterie, ses avantages et les difficultés rencontrées dans sa pratique. Des modifications ont été apportées à la fiche d’enquête qui a permis de développer un autre questionnaire pour l’enquête proprement dite. Le questionnaire fût testé par des enquêtes individuelles à Tiogo, une localité de la région du centre-ouest (ne faisant pas partie des villages à enquêter) avant de passer à l’enquête proprement dite.

Enquêtes proprement dites

Au total, 128 producteurs et productrices d’âge variant entre 30-70 ans et engagés dans la pratique d’au moins une technique agroforestière ont été enquêtés. La conduite de l’activité a nécessité l’accompagnement d’interprètes ayant une notion sur les noms scientifiques des arbres et parlant la langue du milieu (mooré) afin de faciliter les échanges avec les enquêtés. Le questionnaire comportait cinq sections regroupant une série de questions. Certains éléments étaient en lien avec les caractéristiques socio-économiques et démographiques des ménages (âge, niveau d’étude, sexe, statut matrimonial, etc.) et d’autres avaient trait à leurs perceptions sur les parcs agroforestiers de leur localité.

3. Résultats 

Identification des espèces ligneuses épargnées et/ou conservées dans les champs

Vitellaria Paradoxa ou le karité (94,53%), Parkia biglobosa ou le néré (83,59%), Lannea microcarpa ou le raisinier sauvage (54,31%) et Detarium microcarpum (52,90%) sont les top quatre des espèces d’arbres citées par les producteurs comme faisant partie d’espèces ligneuses qui bénéficient d’une conservation privilégiée sur les terres agricoles dans la zone soudanienne du Burkina Faso (Figure 1). Ces espèces ont un pourcentage de citation au-delà de 50%. Cette préférence des populations pour ces espèces se justifie par leur importance socio-économique. En effet, elles fournissent des produits de base tels que les fruits et amandes du karité, les graines et la poudre du néré dont la transformation et la commercialisation génèrent des revenus monétaires non négligeables pour soutenir les ménages en milieu rural. A cela, on peut ajouter leur contribution à l’alimentation des populations à certaines périodes de l’année (périodes de soudures alimentaires par exemple) et leur utilisation dans les menus locaux. Malgré l’effort de conservation de ces espèces agroforestières à fort potentiel économique, les producteurs ne cessent pas d’attirer l’attention sur le vieillissement des peuplements dans les champs et dans les forêts. Ils interpellent toutes les bonnes volontés (décideurs politiques, chercheurs, ONGs, Agences et projets de développement) à leur venir en aide pour le rajeunissement des peuplements de ces espèces agroforestières fars. Les espèces avec les faibles pourcentages de citation étaient Moringa oleifera (33%), Acacia macrostachya (31,56%), Prosopis Africana (25,33%), Saba senegalensis (25%), Adansonia digitata (20,22%), Tamarindus indica (18,46%), Entada africana (21,50%), Eucalyptus camaldulensis (12,48%), Zizyphus mauritiana (19,78%), Sclerocarya birrea (10,98%), Acacia nilotica (5%), Burkea africana (2%), Anacardium occidentale (2%),

figure 1

Figure 1 : Top 4 des espèces conservées de préférence dans les champs

Identification des espèces ligneuses plantées dans les champs

Les populations locales, en fonction de leur besoins et des conditions spécifiques de leurs champs procèdent à des plantations d’espèces ligneuses. Mangifera indica (manguier), Eucalyptus camaldulensis (eucalyptus) et Azadirachta indica (neem) sont les plus concernées. Ce choix est essentiellement guidé par le milieu biophysique des champs, les capacités des ménages à gérer ces espèces d’arbres pendant leur période de développement et de leurs préférences (fruits, graines, bois d’énergie, bois d’œuvre pour les constructions d’habitats, d’enclos, d’hangar, etc.). De l’analyse des opinions des producteurs, il apparait que ces espèces d’arbres s’adaptent bien aux conditions climato-édaphiques de la zone nord soudanienne et les producteurs n’éprouvent pas de difficultés majeures pour s’en procurer grâce à une disponibilité importante des sauvageons et des plants chez les pépiniéristes du village.

Espèces menacées de disparition

De nombreuses espèces ont été citées comme menacées de disparition dans les villages enquêtés. Il s’agit de Pterocarpus erinaceus, Parkia biglobosa, Securidaca longipedunculata, Boswellia dalzielii, Detarium microcarpum, Acacia macrostachya, Terminalia macroptera, Ceiba pentendra, Faidherbia albida, Khaya senegalensis. Ces espèces sont menacées selon les propos des producteurs à cause des pressions humaines croissantes exercées sur elles par la démographie galopante, l’expansion des terres agricoles, les feux de brousse, la divagation des animaux et les variabilités climatiques et la non maîtrise de la sylviculture et/ou de la biologie de ces espèces. Cette situation interpelle à la modération de ces facteurs perturbateurs et au renforcement des capacités des producteurs sur l’écologie et la gestion de ces espèces.

Perceptions des enquêtés sur les avantages de l’agroforesterie

Les producteurs reconnaissent les avantages et/ou retombées agroécologiques et économiques de la pratique des techniques agroforestières. Ces avantages majoritairement perçus étaient la fertilisation des sols à travers la formation d’une couche de litière riche en éléments minéraux par la décomposition des feuilles et autres débris végétaux, l’augmentation des rendements grâce à une terre agricole fertile, la protection des sols contre l’érosion hydrique et éolienne par les arbres conservés dans les champs,  la fourniture de fourrage surtout en saison sèche grâce à l’émondage des feuilles des espèces fourragères, la disponibilité d’une diversité de produits forestiers ligneux et non ligneux pour l’alimentation humaine et le bétail, l’approvisionnement en plantes médicinales pour les soins des maladies humaines et les épizooties, l’artisanat, la disponibilité de bois de chauffe, l’ombrage pour les humains pendant les travaux champêtres, la conservation de la biodiversité végétale, la disponibilité de matériaux végétaux pour la construction et l’artisanat, la génération de revenus par la ventre des produits de l’arbre. De ces résultats, il ressort clairement que l’agroforesterie se présente de nos jours comme un rempart incontournable tant dans la dynamique d’une production satisfaisante et durable que pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique.

Contraintes dans l’adoption de l’agroforesterie

Les principales contraintes à l’adoption de l’agroforesterie peuvent être regroupées en en 3 catégories que sont:

-les facteurs institutionnels: les aspects tels que la politique gouvernementale, la tenure foncière, le manque de connaissances techniques et d’assistance technique (formation et/ou éducation environnementale, appui en matériels) et l’information sur le marché des produits forestiers par exemple sont des barrières à l’adoption de l’agroforesterie;

-les facteurs biophysiques: les caractéristiques du sol, les conditions climatiques, la localisation et la superficie des terres agricoles, l’état de la dégradation des sols, la disponibilité en eau sont des éléments déterminants à l’adoption à grande échelle de l’agroforesterie par les ménages;

-les facteurs socioéconomiques: les ressources des ménages (manque de main d'œuvre et de fonds pour l’achat des plants) leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs perceptions (compétition entre les arbres et les cultures annuelles, contraintes culturelles et traditionnelles) sont identifiées comme barrières au développement de l’agroforesterie.

Ainsi, prendre ces facteurs en compte dans la conception et la mise en œuvre des projets agroforestiers permettrait une meilleure adoption et une généralisation plus facile des technologies agroforestières.

Facteurs influençant l’adoption de l’agroforesterie

Les importants facteurs socioéconomiques et démographiques du ménage associés à la variation des niveaux de motivation des agriculteurs à conserver les arbres dans les champs incluent le genre, l’âge, le niveau d’éducation, le statut matrimonial, la superficie du champ, la taille du ménage. Le genre est important pour influencer l'adoption des pratiques agroforestières. En effet, dans la gestion locale des terres, les hommes ont plus accès aux terres agricoles que les femmes. Ces dernières interviennent plus dans la cueillette et la récolte des produits forestiers ligneux, le ramassage des bois morts et à l’éducation des enfants. Aussi, elles participent rarement aux rencontres ou aux programmes de gestion forestière de leur terroir. Ainsi, elles n’ont pas l’opportunité de tester les techniques agroforestières dans leurs superficies cultivées dont elles n’ont pas la propriété. Il est apparu que le faible niveau d’éducation est un frein à l’adoption de l’agroforesterie. Les individus ayant un niveau d’étude élevé (niveau secondaire par exemple) sont favorables à la pratique de l’agroforesterie. Les chefs de ménage dont la taille des individus à sa charge est élevée sont aussi favorables à participer aux programmes d’adoption de l’agroforesterie. Cela leur permet de diversifier les moyens de subsistance pour leur famille.

4. Conclusion

Cette étude avait pour but de comprendre les perceptions paysannes sur l’agroforesterie en zone nord soudanienne du Burkina Faso. Les résultats obtenus ont montré que la pratique de l’agroforesterie en zone soudanienne procure de nombreux avantages sur les plans écologique, socioculturel et socio-économique. L’agroforesterie permet d’améliorer la couverture alimentaire et végétale, la biodiversité, la fertilité et l’activité biologique du sol ; de réduire l’érosion des sols, de créer conditions favorables à l’installation d’un microclimat (régulation des températures, brise-vents), de mieux protéger les cultures, de lutter biologiquement contre les ravageurs et les maladies et aussi de participer à la lutte contre le réchauffement climatique. Elle permet de renforcer les connaissances des populations sur la conservation/l’érosion, de renforcer les services sociaux et environnementaux des espèces (production et services) et de réduire les pressions sur les forêts. L’agroforesterie permet de diversifier les productions, d’améliorer les rendements, de fournir des produits toute l’année et la génération de revenus additionnels. Ainsi, elle s’impose comme un vecteur important dans la préservation de la biodiversité végétale et dans le renforcement de la résilience des populations face aux effets du changement climatique. Cependant, de nombreuses contraintes surtout institutionnelles, socioéconomiques et biophysiques constituent des barrières importantes au développement à grande échelle des pratiques agroforestières. Aussi, une prise en compte conséquente de ces barrières dans la conception et la mise en œuvre des projets agroforestiers constituera un levier important dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la perte de la biodiversité végétale mais aussi de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.

SANOU Lassina1*, KOALA Jonas1, OUEDRAOGO Souleymane1

1Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), 04 BP 8645 Ouagadougou 04, Burkina Faso

*Auteur correspondant: SANOU Lassina; email: lassina.sanoulassina@gmail.com

5. Références bibliographiques

SANOU L., KONATE S.R., OUEDRAOGO S., KOALA J.2022. Perceptions des agricultures sur les pratiques agroforestières en zone agroécologique nord-soudanienne du Burkina Faso. Sciences et technique, Sciences Naturelles Appliquées, Spécial hors-série nº6:85-97

SANOU L., SAVADOGO P., EZEBILO E.E. et THIOMBIANO A., 2017. Drivers of farmer’s decisions to adopt agroforestry : Evidence from the Sudanian savanna zone, Burkina Faso. Renewable Agriculture and Food Systems, 34(2):116-133.