Les défis liés à l’opérationnalisation de la participation communautaire à la santé

Résumé

Cette recherche visait à répondre à cette principale question : pourquoi, la stratégie de la participation communautaire promue dans le cadre de la mise en œuvre de l’IB ne marche pas comme prévu au Burkina Faso ? De nombreux défis entachent la dynamique de l’implication des communautés dans la gestion des services de santé. Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique : V. Ridde,  S. Carilla , A. Desgrées du Loû , I. Sombié(2023) « Analyse de la mise en œuvre des interventions de sante publique : besoin de rigueur et défis de la participation des parties prenantes » In Revue d'Epidémiologie et de Santé Publique, 2023, 71 (2), pp 1-9, ISSN : 0398-7620.

1. Introduction

Engagé comme d’autres pays africains dans les réformes de son système de santé à partir des années 1990, le Burkina Faso a initié une série d’importantes réformes dans la gestion de l’institution de santé. Le basculement vers le district sanitaire comme élément central de l’organisation du système de santé, a profondément modifié les rapports entre les différents acteurs engagés dans les efforts d’amélioration des conditions de santé des populations. L’élément capital qui a retenu l’attention du sociologue reste sans nul doute la modification des rapports entre les professionnels de santé et les populations locales, ou disons les communautés. Autrefois patients et utilisateurs passifs des services, en marge des décisions, elles doivent désormais cogérer les services de santé avec les professionnels. Cette nouvelle collaboration basée sur le partenariat constitue un objet d’étude, somme toute intéressante,  en ce sens qu’elle met en scène la question du pouvoir des acteurs dans les interactions sociales et à l’intérieur d’une organisation(Skogan 1995; Sombié  et al.,  2015). C’est d’ailleurs ce qui justifie notre intérêt pour ce sujet.

D’abondants et riches corpus de données empiriques ont été collectés et analysés dans les précédents chapitres. Cependant, comme dans les travaux de recherche de cette ampleur, le processus d’analyse et d’interprétation des données, n’est rarement voire jamais épuisé. C’est dire qu’il est toujours possible de tirer des matériaux utilisés, des conclusions différentes de celles auxquelles nous sommes parvenues.  En guise de conclusion, nous discutons les principaux résultats, présentons les enseignements méthodologiques, tout en traçant les pistes de nouvelles perspectives de recherche autour de cette problématique dans un contexte de renouveau démocratique au Burkina Faso(Song et al. 2022).

2. Méthodologie

Les données ont été collectées auprès de plusieurs catégories d’acteurs impliqués dans la mise en œuvre de la stratégie de participation communautaire dans le district de Léo. Des membres de CoGes(n=30), des chefs de familles(n=60), des agents de santé communautaire(n=25) des agents de santé(n=20), ont été interviewés à l’aide de guide d’entretien sur plusieurs thèmes en lien avec le sujet de recherche. Tous les entretiens ont été enregistrés avant d’être transcrits et traités à l’aide du logiciel NVIVO. Des extraits des discours des personnes interrogées sont utilisés sous forme de verbatim dans le texte pour appuyer les analyses.

3. Résultats

3.1 la participation par la représentation est-elle pertinente ?

Dans le domaine de la santé, tout comme dans l’éducation, la gestion de l’hydraulique, la forme de démocratie participative prônée par les pouvoirs publics se focalise sur la représentation. Ainsi, l’implication des populations dans le processus de gouvernance se matérialise à travers l’élection de représentants censés défendre les intérêts de tous. Seulement, on constate que quel que soit le domaine d’activité, cette pratique a du mal à bien fonctionner. Dans notre zone d’étude, aussi bien les CoGes, les APE, les AUE présentent les mêmes limites à savoir ne pas être capable de mobiliser les populations autour d’un intérêt commun. Ce qui amène naturellement à s’interroger sur la pertinence de cette stratégie. Partant de l’exemple des CoGes étudiés, on note un déficit de légitimité des instances communautaires qui tire ses origines dans leur incapacité à adresser les problèmes des populations et aussi du profil des personnes qui les animent. Les missions que le gouvernement qui est à la base de leur création, leur confit est en déphasage total avec la préoccupation de la communauté.  Aussi, les compétences pour gérer efficacement ces structures sont très faibles dans les zones rurales, à tel point qu’il devient impossible de trouver des personnes à même de les animer convenablement et donner un sens à la participation. On se retrouve dans une situation où ces organes communautaires ne deviennent que l’affaire de ceux qui peuvent les utiliser pour en tirer des bénéfices individuels. La démocratie représentative peut-elle fonctionner dans un contexte où les populations n’ont pas l’habitude de définir leurs problèmes et les solutions qui permettent les résoudre ? L’implication dans la gouvernance du système de santé peut-elle être l’objet d’une mobilisation collective dans une situation où la majorité de la population rencontre d’énormes difficultés à accéder à des services de santé de qualité et à des coûts abordables ? Les sujets à même d’intéresser et de mobiliser les populations sont, directement liés aux solutions à leurs problèmes individuels tels que l’achat de médicaments, le paiement des frais d’hospitalisation et d’évacuation, les comportements répugnants de certains agents de santé, etc. Le CoGes ne saura bénéficier de l’adhésion des populations que si ces préoccupations constituent sa raison d’être.

3.2. De l’influence des caractéristiques sociodémographiques

Certaines caractéristiques prédisposent-elles plus les individus à s’impliquer dans les activités collectives ? Plusieurs études ont déjà documenté le fait que l’âge, le sexe, le revenu et le type d’emploi avaient une corrélation avec certaines formes de participation comme les votes(Skidmore, Bound, et Lownsbrough 2006; Stone 1992). D’autres études portant sur l’implication des citoyens dans les comités de santé étaient parvenues à la conclusion que ce sont les personnes disposant d’un niveau d’éducation élevé qui étaient prompts à y prendre part(Talò, Mannarini, et Rochira 2014). Nos résultats ne confirment pas une corrélation directe entre la participation aux activités de santé et les profils des individus. Que ce soit au niveau dans les aires de santé en milieu urbain ou rural, il a été difficile de dégager une constante à partir des caractéristiques sociodémographiques. Les différences dans les résultats pourraient s’expliquer aussi par l’effet du contexte socio-politique global du pays.

3.3 Le contexte institutionnel comme obstacle

Les professionnels de santé sont-ils prêts à partager leurs pouvoirs avec les communautés ? Plusieurs responsables du ministère de la santé tant du niveau central que périphérique, rencontrés dans le cadre de cette étude, ont répondu par l’affirmative. Toutefois, à observer le cadre institutionnel de l’implication des communautés dans la gouvernance de la santé, on reste très dubitatif et pour cause. Premièrement, il ressort que l’implication des communautés se situe uniquement au niveau opérationnel. Or, les districts sanitaires, en dépit du fait qu’ils jouissent d’une autonomie de gestion ne peuvent pas concevoir des plans d’actions en dehors des grandes priorités et des directives fixées par le ministère de la santé. Les choix politiques qui se matérialisent dans l’élaboration de la politique nationale de la santé et du programme national du développement sanitaire ne connaissent pas la participation des représentants de la communauté. Les textes qui régissent l’organisation et le fonctionnement du système de santé n’ont pas prévu de cadres de concertation entre les responsables et les représentants des usagers en dehors des districts. C’est une situation très handicapante pour les populations qui sont totalement tenues à l’écart des lieux de pouvoir les plus importants. Deuxièmement, les textes qui créent les CoGes et les conseils de santé de district concentrent l’essentiel des pouvoirs entre les mains des agents de santé, de qui les représentants des communautés restent dépendants. On pourrait avancer, se fondant sur les données empiriques collectées, qu’en dépit de la mise en œuvre de la stratégie de la participation communautaire, les rapports n’ont véritablement pas changé entre les professionnels de la santé et les populations. Le contrôle citoyen tant prôné tarde à se concrétiser.

3.4. carte sanitaire et réalités sociopolitiques

Le découpage du territoire en districts sanitaires, en aire de santé, est un exercice de planification, réservé aux planificateurs de la santé. Ils se servent généralement des données biomédicales, des profils épidémiologiques et des données démographiques pour tracer la carte sanitaire. Rarement les considérations sociologiques et historiques sont prises en compte dans nombre de cas (Marston, Renedo, et Miles 2020; Stewart Ibarra et al. 2014). Ce qui naturellement ne va pas sans créer des difficultés d’organisation et de coopération entre les différentes entités sociales. De nombreux districts sanitaires restent confrontés à cette réalité. Dans le district d’étude, pour diverses raisons, les populations de nombreux villages refusent de se reconnaitre dans l’entité sanitaire d’attachement. On invoque des conflits ancestraux, des questions de chefferie, des épisodes antérieurs de trahison pour justifier l’impossibilité de collaboration.  Or, la viabilité d’une aire de santé repose sur la solidarité et l’engagement des populations de l’ensemble des villages. Comment peut-on mettre en place un CoGes qui soit représentatif de toutes les composantes de la communauté dans ces conditions ? Comment est-il possible d’actionner l’action collective dans un climat de suspicion et de déficit de collaboration ? Aussi, l’implantation des CSPS constitue généralement un point de discorde entre les villages dans un contexte où le centre de santé est moins perçu comme un espace d’offre de soins qu’un témoin de développement, un objet de différenciation et de valorisation. Les rivalités qui rythment le quotidien des villages avec leur cortège de conséquences néfastes, ne facilitent pas la mobilisation des populations autour des problèmes communs de santé. Les rapports entre nombre de villages sont complexes et difficiles pour qu’ils puissent s’organiser ensemble et défendre des intérêts. A cette allure, est-il possible que la participation communautaire telle que conçue, se matérialise concrètement ?

3.5. Difficile changement de perception des rôles de l’Etat

Comme le relevait un responsable du ministère de la santé : « il faut que les populations reconnaissent et acceptent que l’Etat ne peut pas tout faire. Il n’en a pas les moyens. Chacun doit essayer de faire un effort. Ce que les gens demandent, c’est impossible. L’Etat ne peut pas construire un centre de santé dans tous les villages et rendre la santé gratuite ». Et pourtant c’est la plus grande attente des communautés. En effet, dans la plupart des villages, les populations ont du mal à accepter qu’elles doivent se mobiliser pour construire un logement pour un fonctionnaire de l’Etat, réfectionner la toiture des salles de soins ou de classe, réparer les forages du village et bien d’autres choses. Que fait l’Etat alors ? S’interrogent-elles, à l’image de cette femme de 39 ans, mariée et mère de 7 ans : « Chaque fois, on vient nous dire de voter, et on le fait. Quand ils gagent, c’est fini. Après ils viennent nous dire de cotiser pour construire un logement. Mais pourquoi, nous les avons votés. Si c’est comme ça, on va arrêter de voter ». Ces propos représentatifs de la perception de l’Etat auprès des personnes incluses dans l’étude, montrent à quel point que les transformations des rôles de l’Etat, induites avec les politiques néolibérales ont du mal à être acceptées. L’incompréhension qui en résulte se transforme en une forme de résistance qui se manifeste par le refus de participation aux activités initiées en faveur des services publics. Ainsi, la non-participation à certaines activités collectives telle que la réalisation des travaux sous forme de bénévolat, les cotisations, l’élection des membres CoGes constituent des formes d’expression des rapports conflictuels entre l’Etat et certaines communautés. Quand on sait le lien étroit qui existe entre les perceptions et les pratiques, on reste sceptique sur la volonté et la capacité des communautés à jouer pleinement les rôles que l’Etat postmoderne tente de leur confier.

3.6. Enseignements méthodologiques

L’une des limites de cette recherche réside dans la faiblesse de la description des pratiques de participation des communautés. La recherche s’est plutôt contentée de comprendre et d’expliquer que de proposer aux lecteurs, une description fine des comportements des communautés. Cela aurait l’avantage de faciliter une meilleure compréhension de nos analyses. Pour y parvenir, il aurait été plus bénéfique d’utiliser des méthodes mixtes que beaucoup d’auteurs préconisent d’ailleurs depuis quelques temps en sciences sociales (Burnard 12; Strauss et Corbin 1990). En plus des méthodes qualitatives, l’utilisation d’un questionnaire dans un échantillon représentatif allait donner les moyens de procéder à des analyses quantitatives à même de confirmer ou d’infirmer des corrélations faites par certaines études entre des types de variables utilisées dans cette étude. L’analyse faite sur l’influence des caractéristiques sociodémographiques sur la participation n’est pas soutenue par des démonstrations solides. Comme le notait(Steinke 2004), un des avantages de l’utilisation des méthodes mixtes était qu’elles donnent souvent l’opportunité au chercheur de découvrir des contradictions entre les résultats selon différentes méthodes. Ce qui va l’amener à s’interroger profondément sur la nature et la formulation des questions de recherche, le processus de la collecte et bien d’autres aspects méthodologiques.

4. Conclusion

Cette recherche fut pour nous l’opportunité de constater que les communautés disposent d’opinions diverses et surtout négatives sur le système de santé. Les attentes sont en contradiction avec les réformes et les propositions faites par les responsables sanitaires. Cette situation ne favorise pas une meilleure opérationnalisation des nouvelles orientations dont le succès repose sur une adhésion des acteurs dont les communautés. Ces opinions populaires, souvent infondées, parce que nourries par des fausses informations, ne sont pas sans conséquences sur les comportements des populations. C’est pourquoi, il semble nécessaire d’initier une recherche sur le processus de construction sociale des opinions sur le système de santé afin d’analyser la dynamique des interactions sociales qui favorisent la circulation des informations sur la santé. Bien que nous ayons utilisé la théorie du capital social pour explorer l’engagement communautaire, nous estimons que cette analyse mérite d’être approfondie par une autre recherche qui va élargir la perspective d’analyse à d’autres secteurs comme l’éducation, la politique, l’environnement et l’eau. Aussi, une comparaison pour être faite entre la zone urbaine et le rural.

Issa SOMBIE, Ph D, INSS/CNRST

Email : sombiss@gmail.com

Tel 70 18 03 80 

Bibliographie

V. Ridde,  S. Carilla , A. Desgrées du Loû , I. Sombié(2023) « Analyse de la mise en œuvre des interventions de sante publique : besoin de rigueur et défis de la participation des parties prenantes » In Revue d'Epidémiologie et de Santé Publique, 2023, 71 (2), pp 1-9, ISSN : 0398-7620.

Burnard, Philip. 12. « A method of analysing interview transcripts in qualitative research ». Nurse Education Today 11(6):461‑66. doi: 10.1016/0260-6917(91)90009-Y.

Marston, Cicely, Alicia Renedo, et Sam Miles. 2020. « Community Participation Is Crucial in a Pandemic ». The Lancet 395(10238):1676‑78. doi: 10.1016/S0140-6736(20)31054-0.

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Song, Wei, Lindsay Shea, Stacy L. Nonnemacher, Eugene Brusilovskiy, Greg Townley, et Mark S. Salzer. 2022. « Community participation comparison between adults on the autism spectrum and adults in the general population ». Journal of Autism and Developmental Disorders 52(4):1610‑21.

Steinke, Ines. 2004. « Quality criteria in qualitative research ». A companion to qualitative research 184‑90.

Stewart Ibarra, Anna M., Valerie A. Luzadis, Mercy J. Borbor Cordova, Mercy Silva, Tania Ordoñez, Efraín Beltrán Ayala, et Sadie J. Ryan. 2014. « A social-ecological analysis of community perceptions of dengue fever and Aedes aegypti in Machala, Ecuador ». BMC Public Health 14(1):1135. doi: 10.1186/1471-2458-14-1135.

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Strauss, Anselm, et Juliet M. Corbin. 1990. Basics of qualitative research: Grounded theory procedures and techniques. Sage Publications, Inc.

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