- Introduction
Le département de Batié et ses zones environnantes dans la province du Noumbiel, au sud-ouest du Burkina Faso, ont servi durant des périodes reculées comme zones d’accueil des éleveurs transhumants. Cette zone apparait comme réserve du pays au regard de ses potentialités agro-sylvo-pastorales. Les mouvements de pasteurs au sud du pays ont, par ailleurs, été intensifiés grâce à l’assainissement de la zone par la lutte contre les mouches tsé-tsé des années 1980 entreprise par le programme anti tsé-tsé. Aussi, le retour forcé des Burkinabè suite à la crise sociopolitique ivoirienne de 2002 a contribué à l’augmentation de la population de la zone. Ainsi, les phénomènes climatiques antérieurs conjugués à l’assainissement de la zone et aux conséquences des crises sociopolitiques ivoiriennes ont entrainé une pression sur le milieu naturel, voire sa dégradation. Malheureusement, le contexte actuel n’est guère reluisant car la zone est soumise à de récurrentes sécheresses. Tous ces phénomènes perturbent l’écosystème pâturé et nécessitent que soit analysée la dynamique des pâturages. Le présent travail qui s’inscrit dans ce sens, vise d’une part à fournir des informations relatives à la situation de la ressource fourragère aux éleveurs, et d’autre part à reposer l’urgence de l’action de la recherche pour le développement de moyens de résilience.
- Méthodologie
L’étude a été conduite dans la province du Noumbiel, dans la Région du Sud-Ouest du Burkina Faso. Cette région appartient au secteur phytogéographique sud soudanien et est caractérisée par des formations végétales très diversifiées reposant en majeure partie sur un vaste plateau.
La collecte des données a été réalisée par une enquête pastorale auprès de 166 éleveurs. Le questionnaire administré directement à chaque éleveur de l’échantillon, a permis d’apprécier de façon dynamique l’état des pâturages. Ainsi, les informations relatives aux espèces végétales appétées et celles menacées de disparition, aux facteurs de dégradation des pâturages ont été collectées. Pour apprécier l’appétibilité et les menaces de disparition des espèces fourragères selon la perception des éleveurs, des scores d’appétibilité allant de 4 à 0 ont été attribués aux espèces fourragères : 4 points pour la première espèce citée, 3 points pour la deuxième espèce, 2 points pour la troisième espèce, 1 point pour la quatrième espèce et 0 si l’éleveur ne cite pas une cinquième espèce. De même, pour l’appréciation de la menace de disparition des espèces fourragères, des scores allant de 4 à 0 ont été attribués aux espèces fourragères : 4 points pour la première espèce citée, 3 points pour la deuxième espèce, 2 points pour la troisième espèce, 1 point pour la quatrième espèce et 0 point si l’éleveur ne cite pas une cinquième espèce.
- Résultats
Diversité floristique des pâturages
Les pâturages de Batié regorgent d’une gamme variée d’espèces herbacées et ligneuses appétées par les bovins. Cette diversité d’espèces joue un rôle très important dans l’alimentation du bétail.
- Espèces herbacées fourragères pâturées
Les résultats de l’enquête indiquent 21 espèces herbacées réparties en 4 familles, largement dominées par les Poaceae. Les espèces appétées les plus citées sont : Andropogon gayanus Kunth, A. ascinodis C.B. Clarke, Pennisetum pedicellatum Trin., Rottboellia cochinchinensis (Lour.) Clayton et Panicum laetum Kunth, Diheteropogon amplectens (Nees) Clayton, Loudetia togoensis (Pilger) C.E. Hubbard, Hyparrhenia smithiana (Hook. f.) Stapf, Eleusine indica (L.) Gaertn., Alysicarpus ovalifolius (S. et Th.) Leon. Il ressort selon le classement qu’Andropogon gayanus (3,55 points), A. ascinodis (1,52 points), Pennisetum pedicellatum (1,34 points) et Rottboellia cochinchinensis (0,88 points) constituent les herbacées les plus unanimement reconnues comme espèces appétées par les bovins. Au demeurant, selon la population d’étude, la plupart des espèces fourragères sont soumises à des menaces de disparition (Tableau 1), et cette situation est observée depuis au moins une dizaine d’année. En effet, selon le classement des espèces menacées de disparition, Andropogon gayanus et Andropogon ascinodis sont très sérieusement menacées de disparition. A ces espèces, il faut associer Rottboelia cochinchinensis, Diheterepogon amplectens, Pennisetum pedicellatum, Brachiaria lata qui connaissent aussi une dégradation mais dans des proportions moindres.
Tableau 1 : Principales espèces herbacées appétées et leur état de menace
+++ : Très menacé ; ++ : Moyennement menacé ; + : Peu menacé ; - : Pas menacé
- Espèces ligneuses fourragères pâturées
19 espèces ligneuses appétées par les bovins ont été recensées par la population de l’échantillon. Ces espèces sont regroupées autour de 11 familles, les Fabaceae et Combretaceae étant les plus représentatives avec respectivement 8 et 2 espèces. Sur une échelle de 4 points, les espèces les plus appétées par les bovins sont dans l’ordre, Afzelia africana Pers. ex Sm. (3,32 points), Pterocarpus erinaceus Poir. (3,11 points), Khaya senegalensis (Desv.) A. Juss. (2,09 points) et Stereospermum kunthianum Cham. (0,70 points) et Ficus sycomorus L. (0,51 points). A côté de ces espèces, on peut citer d’autres espèces comme Acacia sieberiana DC, Acacia albida Delile A. Chev., Piliostigma thonningii (Schum.) Milne-Redh. et Cordia myxa L. (Tableau 2). Malheureusement, certaines espèces appétées sont menacées de disparition. Parmi les plus menacées, il y a principalement Afzelia africana, Khaya senegalensis, Pterocarpus erinaceus.
Tableau 2 : Principales espèces ligneuses appétées et leur état de menace
Légende : NDM : Niveau de menace ; +++ : Très menacé ; ++ : Moyennement menacé ; + : Peu menacé ; - : Pas menacé
Facteurs de dégradation des pâturages
- Les facteurs anthropiques et climatiques
Plusieurs facteurs menacent le développement des espèces végétales appétées (Figure 1). Ces facteurs sont naturels (déficit pluviométrique) et anthropiques (feux de brousse, défrichement, application de pesticides et surpâturage). Les principaux facteurs mis en cause sont d’ordre anthropique. En effet, le défrichement pour des fins agricoles (65,2%) et les feux de brousse (48,4%) constituent les deux principales causes de destruction des espèces fourragères. Le surpâturage constitue le troisième facteur impactant négativement la diversité des espèces fourragères appétées. Ces facteurs entrainent une dégradation des pâturages.
Figure 1 : Facteurs à l’origine des menaces de disparition des espèces fourragères
- Espèces envahissantes non fourragères sur les pâturages
Les résultats de l’étude mettent en évidence l’apparition d’espèces herbacées adventices colonisant les pâturages. Les herbacées colonisatrices identifiées par les éleveurs sont Hyptis suavoelens Poit. et H. spicigera Lamarck. Selon les éleveurs, ces mauvaises herbes ont fait leur apparition dans les pâturages il y a une dizaine d’années. Majoritairement, la baisse des précipitations annuelles (89,5%) et la hausse de températures (6,3%) constituent les principaux facteurs relevés qui influencent l’apparition de ces espèces végétales (Figure 2). De l’observation générale selon les personnes enquêtées, ces espèces herbacées sont redoutables et ont un niveau très rapide de colonisation des pâturages. Malheureusement, très peu d’éleveurs (4,3%) entreprennent des actions pour contrer la colonisation des pâturages par les mauvaises herbes. Les méthodes de lutte entreprises sont notamment l’arrachage manuel ou mécanique des adventices (64,2%) et le brûlage (35,8%). Les causes principales de l’absence d’actions de lutte contre les mauvaises herbes des pâturages pour la plupart des acteurs, sont la méconnaissance des techniques de lutte et le manque d’accompagnement technique et financier.
P=Baisse des précipitations ; HT=Hausse des températures ; DS=Dégradation des sols ; AM=Arrachage manuel ; B=Brulage
Figure 2 : Causes de l’envahissement des mauvaises herbes et actions entreprises
Pratiques des éleveurs face à la menace de dégradation des espèces fourragères
Si 94,5% de la population reconnaissent la menace de disparition des espèces fourragères, seulement 1,2% des exploitants des pâturages évoque l’existence de pratiques de protection des espèces végétales appétées (Figure 3). Il s’agit notamment des pratiques coutumières d’interdiction de coupes de bois, les bonnes pratiques d’utilisation des pesticides et la lutte contre les feux de brousse. Plusieurs raisons expliquent le manque d’engouement à protéger la diversité des espèces végétales mais, l’on note principalement la méconnaissance de pratiques de protection des pâturages (53,7%), le manque de moyens et d’espace (32,3%), et la négligence de la préoccupation de dégradation des pâturages (9,6%).
Figure 3 : Appréciation du comportement face aux menaces de disparition d’espèces fourragères
Légende : RAEF= Recours à d'autres espèces fourragères ; MME=Manque de moyen et d'espace ; AS=Absence de semence ; MP=Méconnaissance de pratiques ; Négli=Négligence
4. Conclusion
L’étude montre que les pâturages de Batié regorgent d’une diversité d’espèces herbacées et ligneuses appétées. Ces espèces sont dominées par des Poaceae et des Fabaceae. Les espèces les plus appétées sont Andropogon gayanus, Andropogon ascinodis, Pennisetum pedicellatum, Afzelia africana, Pterocarpus erinaceus et Khaya senegalensis. Malheureusement les espèces appétées sont les plus menacées de disparition du fait de divers facteurs tels les déficits pluviométriques, les feux de brousse, les défriches, l’usage incontrôlé des pesticides et le surpâturage. Les herbacées font aussi face à l’action colonisatrice de Hyptis spicigera et H. suavoelens. Ces facteurs affectent la qualité et le disponible fourrager des pâturages. En dépit du constat de menace, la grande majorité de la population n’entreprend aucune action pour préserver ces ressources menacées. Des actions de sensibilisation et de restauration des pâturages doivent être envisagées pour une amélioration du potentiel alimentaire et une utilisation durable des ressources fourragères.
KIEMA André1, NOUGTARA Somnoma2, TENSABA Raogo Sylvain1
1Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles /Laboratoire de Recherche en Production et Santé Animale / Ouagadougou, Burkina Faso.
2Ministère de l’Agriculture, des Ressources Animales et Halieutiques
Auteur correspondant : KIEMA André, email: andre_kiema@yahoo.fr
5. Références bibliographiques
NOUGTARA S., KIEMA A., SOUDRE A., SOUGOTI/GUISSOU L. ET BERTHE TH., 2021. Adaptation de l’élevage bovin de l’Ouest du Burkina Faso aux sécheresses récurrentes. Int. J. Biol. Che m. Sci. 15(2021) : 1648-1666.
NOUGTARA S., TENSABA R.S., KIEMA A., SOUDRE A., TRAORE K. ET ZONOU S.T., 2023. Ressources fourragères des pâturages en région sud-ouest du Burkina Faso : perception par les éleveurs de l’état de la biodiversité végétale appétée par les bovins. International Journal of Innovation Scientific Research and Review, 05 (05): 4573-4578
SANON H.O., SAVADOGO M., TAMBOURA H.H. ET KANWE B.A., 2014. Caractérisation des systèmes de production et des ressources fourragères dans un terroir test de la zone soudanienne du Burkina Faso. VertigO-la revue électronique en sciences de l'environnement 14 (2) | URL: http://journals.openedition.org/ vertigo/15171.DOI: 10.4000/vertigo.15171.