Spatialiser les parcours de soins pour aider à améliorer la prise en charge des enfants souffrant de cancer au Burkina Faso

Submitted by RedacteurenChef on Thu 23/01/2025 - 11:50
Spatialiser les parcours de soins pour aider à améliorer la prise en charge des enfants souffrant de cancer au Burkina Faso

Introduction

Depuis plusieurs années, les travaux de recherche en santé publique convergent vers un constat : « la cancérologie est perçue comme un problème de santé secondaire dans les pays émergents » (Ly et al., 201 0, p.965). Les systèmes de santé sont mis à l’épreuve pour des pathologies, comme le cancer qui connait une forte progression et pour laquelle il n’existe pas encore de mesures de prévention adéquates (Jacquemot, 2020). Au Burkina Faso, les politiques de santé ont commencé à prendre en compte les maladies non transmissibles à partir des années 2010, en adoptant, notamment en 2013, un Programme National de lutte contre les Maladies Non Transmissibles (PNMNT). Le plan stratégique de lutte contre le cancer est élaboré pour la période 2013-2017 et renouvelé pour 2021-2025. Mais financer la lutte est compliqué. En 2023, un décret portant modalité de prise en charge des traitements par radiothérapie est publié. Il retient dans la prise en charge du traitement des malades cancéreux, en catégorie 2 que l’Etat assume 100% des frais par le biais de la politique de gratuité des soins pour les enfants de moins de 15 ans, pour toute forme de cancer. Cependant, l’application n’est pas encore effective, pourtant l’enjeu financier est important pour les familles. 

De nombreux auteurs décrivent le système de soins inadapté à la prise en charge des maladies non transmissibles et des tumeurs cancéreuses chez l’enfant, notamment dans les centres de soins de première ligne (Hien et al., 2014 ; Collins et al., 2009). Les statistiques produites par le Ministère de la santé permettent de connaître les cas pris en charge, mais combien échappent au dénombrement ? Car le recueil statistique sur les cancers est imparfait. Dans le plan stratégique de 2013-2017, les connaissances sur les cancers pédiatriques s’appuient sur des résultats de thèses (Ministère de la santé, 2013). Dans le plan stratégique de 2021-2025, les estimations statistiques de l’observatoire international GLOBOCAN sont utilisées. Ce plan avance le cancer comme la troisième cause de mortalité à l’échelle du pays (Ministère de la santé, 2020). Selon le dernier annuaire statistique 2022 du Ministère de la santé burkinabè, les moins de 15 ans représentaient 10,6% des patients touchés et 13,4% parmi les hospitalisés. 

La question est ici de comprendre comment se fait la prise en charge des enfants souffrant du cancer, observée à partir de leurs parcours de soins. Cet article de vulgarisation est tiré d’une publication parue dans la revue Echogéo (n°70, 2024) sous le titre « Explorer les parcours thérapeutiques des enfants atteints de cancer au Burkina Faso ».

Méthodologie

La méthodologie retenue pour mettre en œuvre la recherche repose sur une approche qualitative. Des entretiens ont été menés auprès de 13 patients et leur famille au CHU pédiatrique Charles de Gaulle, au CHU Yalgado Ouedraogo, à la maison Yeelba/soleterre et avec des soignants. La maison Yeelba/Soleterre est une structure d’accueil des patients en soins ambulatoire. Elle a été créée en 2019, à Ouagadougou, et gérée par l’ONG Italienne Soleterre pour héberger les enfants malades et leurs accompagnants. Ils sont pris en charge pour leur alimentation ainsi que pour les actes médicaux et chirurgicaux, quand cela est possible.

Les enfants de la population d’étude étaient âgés de 7 mois à 13 ans. Seuls 4 d’entre eux étaient scolarisés dans leur village. Parmi les adultes accompagnants les enfants, 14 femmes et 6 hommes ont participé à un entretien dans les CHU ou à la maison Yeelba. Ils venaient des zones rurales de toutes les régions du Burkina Faso et 3 résidaient dans la capitale. L’activité principale des parents était liée à l’agriculture, ou en ville au secteur informel. Les enfants étaient soignés pour des cancers de type : rétinoblastome, lymphome de Burkitt. 

La description du parcours thérapeutique décrit par les répondants a fait l’objet d’une cartographie.

La recherche a bénéficié d’un financement par l’« International Research Laboratory, Environnement, Santé, Sociétés – IRL  ESS 3189 ». Elle a été menée en 2023, au Burkina Faso sous la direction de MT Arcens Somé en collaboration avec des médecins oncologues dans les deux CHU. 

Résultats

Des parcours de soins longs

Le parcours de soins compte en moyenne deux étapes avant d’arriver aux CHU situés dans la capitale et seules structures habilitées à délivrer des soins adaptés. La carte 1 présente ces parcours depuis le village de résidence jusqu’à la destination finale : le CHU. Les enfants résidant à plusieurs centaines de kilomètres de Ouagadougou consultent dans un nombre de structures de soins bien plus important que la moyenne. La taille de la population d’étude ne permet pas de tirer de conclusions sur ce nombre et les distances parcourues mais elle témoigne d’un pluralisme thérapeutique. S’il n’est pas nouveau, il contribue à allonger le temps avant une prise en charge adaptée. Les médecins le disent : les enfants arrivent souvent tardivement alors que des soins précoces pourraient aboutir à une guérison plus systématique que celle qui est constatée.

Carte 1 : Les parcours de soins des enfants enquêtés au Burkina Faso

La méconnaissance de la maladie, facteur de la multiplication des étapes thérapeutiques

Les entretiens montrent que la première étape de soins est un recours de proximité. Dans un cas sur deux, il est fait appel au médecin traditionnel, puis, en l’absence de guérison, l’enfant s’inscrit alors dans le système de soins conventionnel. Il consulte au Centre de soins et de promotion social (CSPS), établissement de soins de base, puis le système de référencement aidant il va ensuite consulter dans les Centres médicaux avec antenne chirurgicale (CMA) puis le Centre hospitalier régional (CHR), selon leur disponibilité, avant d’être référé au CHU. 

L’indisponibilité des équipements nécessaires au diagnostic contribuent à multiplier ces étapes. Certains enfants peuvent consulter dans plusieurs CMA et CHR avant d’atteindre la capitale. La méconnaissance des symptômes, tant par les populations que par les soignants, explique aussi sans doute que même les malades résidant dans la capitale, donc près des structures de soins équipées, s’inscrivent dans un pluralisme thérapeutique avec plusieurs étapes avant de consulter au CHU. Le parcours de soins peut ainsi se dérouler sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois, d’autant que les coûts engendrés par les soins peuvent constituer un obstacle à la prise en charge adaptée.

Les difficultés de prise en charge, conséquences et contraintes

L’incidence financière des soins liés au cancer pédiatrique est liée à de multiples frais de soins et annexes. Un fait important observé dans les parcours de soins, il s’agit de la multiplication des dépenses en achat de médicaments, de coûts d’examens et radios divers, d’interventions chirurgicales qui au terme de l’itinéraire viennent alourdir les dépenses.

Mais les dépenses sont également engendrées par les déplacements dont certains se font avec le transport individuel et d’autres nécessitent l’utilisation des transports en commun. Or, les multiples étapes, et l’indisponibilité de l’offre à proximité, contribuent à accroitre le nombre de ces déplacements ; des frais auxquels s’ajoutent ceux des soins. Il n’est donc pas surprenant que certains parents recourent alors à la médecine traditionnelle, à mi-parcours, pour soulager l’enfant, le temps de reprendre le parcours conventionnel. Cela contribue également à retarder la prise en charge adaptée du malade et peut contraindre sa guérison. 

Enfin, la progression dans le parcours thérapeutique éloigne peu à peu du lieu de résidence et des ressources économiques potentielles, puisque l’accompagnement de l’enfant impose l’arrêt des activités quotidiennes et des sources potentielles de revenus. Ceci constitue alors une contrainte supplémentaire. Si les enfants de moins de 5 ans bénéficient de la gratuité de la prise en charge mise en place par l’Etat, elle n’est pas toujours effective, et elle place une grande partie des malades hors de ce cadre.

Discussion

Au Burkina Faso, les ambitions du système de santé national sont prioritairement axées sur la prise en charge des maladies transmissibles. En effet les établissements de soins de base sont essentiellement mis en place au sein des communautés pour traiter les maladies les plus fréquentes parmi les jeunes enfants qui sont : le paludisme, la pneumonie, la rhinopharyngite, la broncho-pneumonie, les diarrhées (MSHP, 2022). Par ailleurs, l’offre de soins conventionnelle au Burkina Faso est dominée par le secteur public, sauf en ville où il existe un secteur privé très développé, et par des services de santé de base qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour le diagnostic du cancer.

A l’image d’autres pays africains, « l’accès au traitement anticancéreux est, même dans le meilleur des cas, inégal et aléatoire » (Ngaw et Addai, 2022, p.1). Les patients ont des difficultés à accéder aux soins et ceci contribue à multiplier les étapes de leur parcours de soins. Cette pluralité thérapeutique n’est pas spécifique au continent africain, elle est également observée dans les pays du nord. Elle s’ajoute également aux longues distances à parcourir imposées par la gravité de la maladie et la capacité des soins concentrée en certains lieux (Chasles et al., 2018). Ceci implique une adaptation des patients et de leur famille, mais peut constituer un obstacle difficilement surmontable et génère alors des inégalités sociales et spatiales de santé (ibidem).

L’OMS consciente de ce risque de santé publique croissant recommande, notamment, le renforcement de capacité et la mise en place de la prévention secondaire, qui comprend le dépistage et le diagnostic précoce du cancer (Dangou, 2009). La spatialisation des parcours de soins peut aider à améliorer les connaissances sur les zones de dysfonctionnement et à cibler les territoires sur lesquels prioriser les actions. 

Conclusion

Soigner les cancers pédiatriques au Burkina Faso impose un parcours thérapeutique long, en termes de temps et de distances, et une pluralité thérapeutique avant d’identifier le mal ou de référer vers un centre disposant des équipements capables de poser le bon diagnostic. Ceci contribue à allonger le temps de prise en charge adaptée. Certains enfants arrivent dans un état grave alors que certains cancers pris très tôt pourraient être guéris. Il est donc primordial de repenser le fonctionnement du système de soins afin de permettre un diagnostic plus rapide des cancers pédiatriques.

ARCENS-SOME Marie-Thérèse, INSS/CNRST, IRL ESS 3189 CNRS-UCAD-CNRST

NIKIEMA Aude, INSS/CNRST, IRL ESS 3189 CNRS-UCAD-CNRST

 

Références bibliographiques 

Arcens-Somé MT., Nikiema A., 2024, Explorer les parcours thérapeutiques des enfants atteints de cancer au Burkina Faso, Echogéo, n°70, en ligne https://journals.openedition.org/echogeo/28182 

Chasles V., Fayet Y., Juvanon A., 2018. Distance et recours à l’expertise en cancérologie. Expérience des contraintes géographiques chez des patients du Centre Léon Bérard (Lyon). Espace populations sociétés, n°1-2, p. 1-18. URL: https://journals.openedition.org/eps/7767 

Dangou JM., Sambo BH., Moeti M., Diarra-Nama AJ., 2009, Prévention et lutte contre le cancer dans la région africaine de l’OMS : un appel à l’action, Journal africain du cancer, n°1, p. 56-60

Jacquemot P., 2020, Les systèmes de santé en Afrique mis à l’épreuve, en ligne : https://www.policycenter.ma/sites/default/files/PB_20_32_Jacquemot.pdf 

Ly M., Ly A., Rodrigues M., Loriot Y., Deberne M., Boudou-Rouquette P., Bathily T., Diallo D., 2010, Le cancer en Afrique, un nouveau défi sanitaire. Exemples du Mali et de l'association OncoMali, Bulletin du cancer, vol. 97, n°8, p. 965-968

Ministère de la santé et de l’hygiène publique (MSHP), Annuaire statistique 2022, http://cns.bf/IMG/pdf/annuaire_2022_mshp_signe.pdf 

Ngwa W., Addai B.W., 2022, Le cancer dans l’Afrique subsaharienne : une Commission du Lancet Oncology, https://www.thelancet.com/pb-assets/Lancet/stories/commissions/sub-Saharan/TLO_2022_Exec_Summary_Cancer_in_sub-Saharan_Africa_French-1674571705900.pdf