Le nombre de personnes atteintes par le diabète est passé de 108 millions en 1980 à 422 millions en 2014, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Sa prévalence mondiale chez les adultes de plus de 18 ans est passée de 4,7% (1980) à 8,5% (2014). Entre 2000 et 2016, la mortalité imputable au diabète a augmenté de 5%. Selon les estimations, 1,6 millions de personnes sont mortes à cause du diabète (2016). Au Burkina Faso, les annuaires statistiques des centres médicaux et des hôpitaux rapportent qu’il y a 13 780 cas (2018), contre 3 849 cas en 2013. Mais, au-delà de ces chiffres alarmants, comment les malades vivent-ils avec cette pathologie chronique ? A travers le quotidien et le ressenti de quelques diabétiques, découvrons la complexité de la maladie invisible et pénible. Immersion dans leurs habitudes, entre calculs savants et contrôles réguliers de la glycémie, de l’alimentation, du stress…
26 novembre 2020. Nous braquons notre objectif sur des patients bien singuliers de la ville de Ouagadougou. Ils souffrent du diabète, une maladie chronique qui apparaît lorsque le pancréas ne produit pas suffisamment d’insuline ou que l’organisme n’utilise pas correctement l’insuline qu’il produit. L’insuline est une hormone qui régule la concentration de sucre dans le sang. L’hyperglycémie, ou concentration sanguine élevée de sucre, est un effet fréquent du diabète non contrôlé qui conduit avec le temps à des atteintes graves de nombreux systèmes organiques, particulièrement des nerfs et des vaisseaux sanguins.
16h. Nous rencontrons Marina Wessama Hema à Pissy (Commune de Boulmiougou). Cette élégante jeune femme, âgée de 19 ans, vit avec un diabète de type 1, depuis trois ans. En 2017, alors qu’elle a 16 ans, un bilan de santé établit que son pancréas ne fabrique pas suffisamment d’insuline. Conséquence, elle a développé une hyperglycémie. Le résultat est sans appel. Elle doit s’injecter des doses d’insuline, plusieurs fois par jour, pour le restant de sa vie. Pour l’étudiante en Administration des Affaires et sa famille, c’est le choc.
Premiers instants : surprise et questionnements
C’est l’incompréhension et le refus d’admettre les résultats. « Au début, c’était difficile d’accepter cela. C’est toute ma vie qui a changé. Subitement, je ne pouvais plus manger ce que je voulais. Je ne pouvais plus prendre du sucre ou des aliments qui en contiennent. Même l’heure des repas a été bouleversée. J’apprenais aussi que je dois, en plus des comprimés à avaler, me faire des injections plusieurs fois par jour, pour le reste de ma vie. Je devais apprendre à contrôler ma glycémie avant de manger. Ma manière de vivre a changé. Je ne comprenais pas vraiment ce qui m’arrivait », explique-t-elle.
Pour sa mère, Clarisse Kambou/Hema, les questions se bousculent. « En tant que mère, ce n’est pas facile. Au début, je me suis demandé si c’est vrai. Je croyais que le médecin s’était trompé. Je me suis demandé comment est-ce que cela a pu arriver à ma fille et pourquoi ? Je ne connaissais pas le diabète. J’en entendais parler sans savoir ce que c’était en réalité. Et ce que j’entendais sur la maladie me faisait peur. Pour moi, c’était fini », confie-t-elle.
Le diabète de type 1 (autrefois appelé diabète insulino-dépendant ou juvénile) se caractérise par une production insuffisante d’insuline, laquelle doit être administrée quotidiennement. Il concerne généralement les enfants et les adolescents et ses causes ne sont pas bien connues. Il représente 10 à 15% des cas de diabète dans le monde. Le diabète de type 1 est incurable et le traitement associe régime alimentaire adapté et insuline. Dans la famille Hema, la solution est donc l’adaptation.
« Je suis obligée de faire plus attention à moi »
A quelques détails près, le diabétique peut s’alimenter normalement, à condition que cette alimentation soit équilibrée. Ce régime alimentaire est associé à l’injection quotidienne d’insuline. « Je dois chaque fois mesurer ma glycémie et éviter les aliments sucrés. J’ai réduit mes sorties au restaurant avec mes amis. Je ne vais plus au glacier ou dans des endroits où je serai tentée par les aliments sucrés. En plus, je dois faire du sport, même si je ne le fais pas régulièrement. Je me garde de dire aux gens que je suis diabétique, seuls mes amis proches le savent. C’est pénible mais il faut vivre avec cela. Il m’est arrivé de tricher un peu, de me cacher pour manger quelque chose de sucré, mais cela m’a toujours rattrapée. Quand le taux de glycémie monte, je me sens très mal. C’est indescriptible cette souffrance », lâche-t-elle avec un sourire résigné.
Toutefois, Marina Wessama Hema n’est pas seule dans ce combat. Elle peut compter sur l’appui de sa famille, pour qui « le diabète est passé du statut d’intrus inacceptable à celui de colocataire difficile avec lequel on finit par trouver un terrain d’entente »1. « Il fallait qu’on s’y fasse. Cela nous fait de la peine mais on doit avancer et l’accompagner. Au début, elle refusait d’accepter les résultats et voulait manger tout ce qu’on lui interdisait. Je devais la surveiller pour qu’elle ne mange pas d’aliments sucrés. Honnêtement, c’était compliqué. Elle ne comprenait pas. Nous avons appris à connaitre la maladie. Ce n’est pas une fatalité. On peut vivre avec la maladie à condition de suivre scrupuleusement les règles. Elle vit normalement avec cela et si elle ne s’injecte pas l’insuline devant quelqu’un personne ne peut savoir qu’elle est malade », affirme sa mère. Puis, elle ajoute : « Notre régime alimentaire n’a pas totalement changé, sinon on va pénaliser les autres membres de la famille. On a le menu habituel, sauf qu’on ne mange plus trop de sucre, de sel, d’huile. Toute la famille fait attention maintenant ».
Le poids économique du diabète
Sur la bourse, le diabète pèse lourdement. Le coût des examens, de l’insuline et des comprimés à avaler est énorme. Dans le cas de notre jeune interlocutrice, les dépenses sont en partie prises en charge. « C’est vrai que cela a un coût, mais on arrive à tenir. Sinon, avec les hospitalisations, les comprimés, les examens, l’insuline, ce n’était pas facile au départ. Actuellement, on ne paye que les comprimés. Avec le programme à l’hôpital Yalgado (Ndlr : Programme d’Appui de Lutte contre le Diabète), on a maintenant les seringues et l’insuline gratuitement. Le coût des comprimés (Glucophage) est de 7 000 F CFA. Le kit d’injection par exemple coûte 39 000 F CFA. Donc il y a charge énorme », dit-elle. Mais nous allons le constater : ces dépenses peuvent constituer une énorme charge dans un pays où le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est fixé à 32 218/mois.
Plutôt dans la journée, sous le coup de 9 heures, nous nous sommes rendus au District sanitaire de Boulmiougou (ex CMA de Pissy). Comme tous les jeudis, les diabétiques de ce district ont rendez-vous avec leur diabétologue. Nous rencontrons des personnes souffrantes du diabète de type 2 (autrefois appelé diabète non insulino-dépendant ou diabète de la maturité). Le diabète de type 2 résulte d’une mauvaise utilisation de l’insuline par l’organisme. Il représente 90% des cas. Il est chronique. Dans le cas du diabète de type 2, soit l’organisme ne produit pas suffisamment d’insuline, soit il résiste à l’insuline. Il est dû généralement à une habitude alimentaire déséquilibrée (riche en sucre, sel, graisse) et l’absence d’exercice physique. Pour sa prise en charge, les patients doivent dépenser beaucoup d’argent et d’énergie pour réguler leur glycémie.
Antoinette Compaoré est une ménagère de 65 ans. Elle a du mal à se déplacer, marquée par l’âge et dix ans d’ennuis de santé. En 2010, elle contracte un paludisme qui l’emmène à l’hôpital. En plus, elle perd presque l’usage de son côté droit. Après des examens, elle est diagnostiquée diabétique de type 2. « Depuis cette date, je suis obligée de faire des examens et d’acheter des médicaments qui coûtent chers. Par mois, je dépense entre 30 000 et 40 000 F CFA. C’est beaucoup. En 2017, j’ai fait deux interventions pour mes nerfs qui me faisaient mal. Je viens de faire un examen pour le glaucome à 11 000 F CFA. Tout cela est causé par le diabète », expose-t-elle.
Dans le même cas, Ida Kafando/Bouda, accoucheuse auxiliaire âgée de 41 ans, découvre, en novembre 2018, qu’elle a le diabète de type 2. Après un état de fatigue récurrent et un malaise, elle réalise un bilan de santé, elle se rend compte de sa maladie et des difficultés qui l’accompagnent. « J’ai découvert les dépenses que la maladie peut occasionner, avec les médicaments. Ma famille était déçue au départ et j’avais perdu espoir. Avec le diabète, il y a des maladies qui profitent de la faiblesse pour sévir (cardiopathies, insuffisance rénale, accident vasculaire cérébrale). Le régime alimentaire est aussi contraignant. Quand je prends 5 litres d’huile, je fais tout le mois avec. Il n’y a plus beaucoup de sucre et de sel pour la famille. Pour moi, il n’y a plus de sucre et je ne peux plus manger de nombreux repas à cause du sucre. Mais mon mari et mes enfants me soutiennent et me remontent le moral », indique-t-elle, la voix faible, se sentant coupable de la situation.
Quant à Ouséini Zerbo, informaticien âgé de 55 ans, il assure tenir le coup, mais il regrette le coût élevé du traitement. « Ce n’est pas facile de dépenser 22 000 F CFA par mois pour les médicaments. Il ne faut pas oublier les examens qui coûtent 11 000 F CFA. Et il faut en faire régulièrement. Il y a en plus le régime alimentaire pénible à supporter », déplore-t-il. Malheureusement, il perd sa femme il y a deux ans. L’homme, plongé dans une profonde tristesse, ne prenait plus soin de lui. Mais, petit à petit, avec le soutien des autres membres de la famille et des amis, il fait son deuil et reprend sa santé en main. Cet évènement, couplé à la maladie, l’a physiquement et moralement fragilisé.
Le diabète : une tueuse méconnue
La Fédération internationale du diabète (FID) estime que 41 millions de personnes souffriront du diabète en 2045. Avec une augmentation de 156% des cas en moins de trente ans, l’Afrique sera la région du monde avec la plus forte progression de la maladie. Une véritable bombe à retardement qu’il faut commencer à désamorcer dès à présent.
Comme Ouséini Zerbo, Ida Kafando/Bouda, Antoinette Compaoré et Marina Wessama Hema, les patients découvrent leur maladie lors d’une complication. Cela signifie que la maladie est silencieuse jusqu’au jour où elle se déclenche sous le couvert d’une autre pathologie. Selon Dr Seidou Zida, médecin interniste, chef de service de la médecine interne au district de Boulmiougou, il y a plus de 1 200 à 1 300 diabétiques qui sont suivis par son service. Avec Dr Raogo Pierre Kaboré, ils sont les deux diabétologues de l’hôpital. « Ce nombre est très important et chaque jour il y de nouveaux cas. La charge de travail est importante. C’est fatigant mais on n’est que deux », regrette-t-il.
Mais pourquoi le nombre de malades ne cesse-t-il pas de croître ? Le médecin a une explication. « Les gens ne font pas de bilan général de santé. Tant qu’ils ne sont pas malades ou n’ont aucun symptôme de maladie, ils ne vont pas à l’hôpital. Quand ils viennent dans nos services, le diabète a alors atteint un stade chronique », énonce-t-il. Il fait également un constat sans appel sur le changement des habitudes alimentaires des populations. « A tous les coins de rue, on est submergé de sucreries, d’aliments sucrés, salés, gras. En plus, c’est moins cher et les gens ne se retiennent pas. On mange jusqu’à se créer du surpoids ou l’obésité », déplore-t-il. Par ailleurs, il note aussi : « On est devenu sédentaire et on ne fait plus vraiment d’exercice physique pour bruler le glucose qui s’accumule et provoque le diabète. Pourtant une marche de 40 minutes par jour, répétée trois fois par semaine, peut nous éviter cela ».
En attendant, le dépistage du diabète, comme celui des autres pathologies, est importante pour prévenir son déclenchement ou ses complications. Toutes ces personnes courageuses fondent l’espoir que la recherche scientifique puisse trouver un remède curatif. Du reste, il faut augmenter les ressources allouées à la santé. Il est aussi nécessaire d’adapter le système de santé, en accordant une attention particulière aux maladies comme le diabète.
Jean-Yves Nébié