Qu’est-ce que la drépanocytose ?
Quelles sont ses symptômes et complications ? Quelle est le traitement appliqué ? Comment se fait le diagnostic et la prévention ? Ces questions trouvent des réponses grâce à Dr Abdoul Sawadogo, médecin épidémiologiste, biostatisticien, spécialiste de la médecine transfusionnelle et des maladies transmissibles par la transfusion sanguine, spécialiste de la drépanocytose. Nous l’avons rencontré le 13 janvier 2021 au Centre national de transfusion sanguine (CNTS). Lisez plutôt !
Qu’est-ce que la drépanocytose ?
La drépanocytose est une maladie génétique. Contrairement à certaines assertions populaires, elle n’est pas dûe à des sorts. Ce sont les parents qui transmettent la maladie à leurs descendances. Pour que la drépanocytose apparait, il faut que les deux parents qui portent les gènes de la maladie puissent transmettre à l’enfant. Si c’est un seul parent qui le transmet, l’enfant sera appelé porteur du trait drépanocytaire mais il ne sera pas drépanocytaire.
Quelles sont les gènes responsables de la drépanocytose ?
Le gène responsable de la drépanocytose est le gène « S ». L’hémoglobine normale est appelée « hémoglobine A ». Mais dans le cadre de la drépanocytose, ce gène « A » est transformé au niveau de la position 6 du chromosome. Au lieu d’être appelé « gène A », il va prendre la forme d’une faucille et est appelé « hémoglobine S ».
Quels sont les différents types de drépanocytoses ?
Il y a plusieurs types d’anomalie des hémoglobines. Il y a celle de l’hémoglobine « S ». Dans notre contexte, la plus fréquente, c’est l’hémoglobine « C ». En plus, il y a l’hémoglobine « D », etc. Mais ici, les plus fréquentes sont les anomalies des hémoglobines « S » et « C ». On a aussi les béta-thalassémies. Chez ces malades, la chaîne béta de l’hémoglobine est manquante ou incomplète. Dans notre contexte, les individus sont « SS » (forme homozygote, la plus grave) ou « SC » ou « S Béta-thalassémiques ».
Quels sont les facteurs déclenchants de la crise ?
Nous avons les infections. Les patients drépanocytaires sont très sensibles aux infections, donc faut travailler à les éviter ou à les prendre en charge rapidement.
Il y a aussi la déshydratation. L’hémoglobine « S », quand elle est en déshydratation, elle prend facilement sa forme en « S ». Malheureusement, les vaisseaux sont sous forme de tuyaux et les hémoglobines « S » ne passent pas facilement comme les formes normales. Le froid et la poussière sont aussi des facteurs déclenchants donc il faut se protéger de ces éléments.
Le quatrième facteur, c’est l’effort physique non maîtrisé. Les drépanocytaires doivent faire du sport comme tout le monde, mais à cause de la particularité de leurs hémoglobines, ils doivent maîtriser leurs efforts pour ne pas déclencher la crise.
Il y a un autre facteur, qui n’est pas courant. Il s’agit des voyages en avion. Les malades, malgré la pressurisation des avions, doivent prendre leurs dispositions. En tant que spécialiste de la maladie, avant un voyage en avion, on les prépare.
Enfin, il ne faut pas oublier le stress. Certains spécialistes désignent l’hémoglobine « S » comme celui du stress. Il faut éviter au maximum d’être stressé, même si c’est très difficile. Il faut privilégier des milieux où on se sent bien. Il y a une multitude de facteurs déclenchants et chaque drépanocytaires doit connaître sa maladie et ce qui le déclenche afin de se protéger.
Quels sont les symptômes de la drépanocytose ?
Chez les moins de 5 ans, les symptômes qui attirent souvent notre attention sont les syndromes « mains-pieds ». Il s’agit d’un syndrome où l’enfant a des œdèmes inflammatoires au niveau du dos des mains et des pieds. Si les médecins et les parents ne font pas attention, la maladie passe inaperçue. C’est l’occasion d’alerter les professionnels de santé et les parents. Il faut faire plus attention à ces signes. Si les dos des mains et des pieds des enfants de moins de 5 ans enflent régulièrement, il faut consulter un spécialiste. Ce n’est pas forcement le seul symptôme chez ces enfants, mais c’est alarmant.
Il faut rappeler que la drépanocytose est assimilée à une maladie de la douleur. Les malades ressentent des douleurs ostéoarticulaires fréquentes. Ils ont aussi des douleurs abdominales, des syndromes thoraciques aigus.
En outre, il y a l’anémie qui est une des caractéristiques principales de la maladie. La plupart des patients ont un taux d’hémoglobine anormalement très bas. Chez ces patients, on peut avoir un taux basal d’hémoglobine qui varie de 7 à 9 grammes d’hémoglobine, tandis que chez le sujet normal, le taux varie de 13 à 15 grammes. Si le patient connait son taux basal d’hémoglobine, cela permet d’améliorer sa prise en charge.
Comment fait-on le diagnostic ?
On ne peut pas se baser seulement sur les signes cliniques. Il faut faire un prélèvement de sang pour réaliser des examens de laboratoire comme l’électrophorèse, le test d’Emmel, le test d’Itano.
Il est important de se faire diagnostiquer afin de savoir choisir son conjoint. C’est difficile à accepter mais si on porte le trait drépanocytaire, on ne doit pas épouser quelqu’un qui a le même trait. Sinon on met au monde un enfant drépanocytaire.
Il faut informer les gens qui veulent se marier des risques qu’ils courent. Mais s’ils décident malgré tout de se marier, il y a le diagnostic prénatal pour le dépistage précoce. Si cela n’a pas été fait, après la naissance de l’enfant, on peut faire le diagnostic pour mettre en œuvre la prise en charge le plutôt possible.
Quel est le nombre de patients qui vous prenez en charge ?
La drépanocytose est la première maladie génétique connue dans le monde. On estime qu’environ 150 000 000 personnes ont la drépanocytose ou porteur du trait drépanocytaire. 50 000 000 d’entre elles ont la forme grave. L’Organisation mondiale de la Santé a estimé que, à travers le monde, par an, 300 000 enfants naissent avec la maladie. Une étude plus parcellaire menée au Burkina Faso en 2005 a estimé qu’il y avait 15 704 enfants qui naissent par an. Environ 2 enfants naissent drépanocytaires chaque heure au Burkina Faso. Malheureusement, 50% de ces enfants ne fête pas leur cinquième anniversaire. Mais si on diagnostique tôt la maladie et qu’on enclenche le processus de prise en charge assez rapidement, on peut éviter 70% de ces décès. Face à ces chiffres alarmants, il est nécessaire de travailler à améliorer la prise en charge de cette maladie.
Concrètement, dans notre pays, il n’y a pas de structure spécialisée dans la prise en charge de la drépanocytose. En termes de spécialistes de la prise en charge de la maladie, nous n’excédons pas la vingtaine au Burkina Faso. Pourtant nous sommes l’un des pays qui comporte le fort taux de personnes malades. Personnellement, nous traitons environ une cinquantaine de patients. Certains ne sont pas réguliers. D’autres font l’effort de se faire suivre régulièrement.
Quel est l’espérance de vie d’un drépanocytaire ?
L’espérance de vie d’un drépanocytaire est fonction de plusieurs paramètres. D’abord, il faut qu’il soit dépisté tôt et pris en charge rapidement par des spécialistes. Si ces paramètres sont respectés, il y a des patients qui atteignent 70 ans sans problème.
Les considérations qui tendent à faire croire que les patients drépanocytaires ne dépassent pas trente ans ne sont plus d’actualité. Elles sont erronées à cause des progrès de la médecine. On arrive aujourd’hui à améliorer la qualité de vie des patients et à améliorer leur espérance de vie.
Selon certaines croyances les drépanocytaires ne peuvent pas avoir d’enfant, surtout les femmes. Que répondez-vous face à cette assertion ?
C’est une aberration. C’est faux. On a des femmes drépanocytaires qui ont des enfants en parfaite santé. Mais tout dépend du suivi de la femme enceinte. Pendant la grossesse, il y a tout un protocole de suivi de ces patientes qui leur permet d’accoucher normalement même par voie basse. On n’a pas obligatoirement besoin d’une césarienne. La drépanocytose ne provoque pas la stérilité.
Mais il faut noter que, chez les enfants de moins de 5 ans, il faut faire très attention chez les garçons. La drépanocytose peut provoquer une impuissance sexuelle. C’est important à signaler pour les mères des petits enfants. Il faut souvent regarder dans sa culotte. Ils peuvent développer un priapisme.
Le priapisme est une érection douloureuse prolongée. Plus cela dure, plus le pronostique sexuel futur de l’enfant est en danger. Les mères qui vont souvent regarder dans les culottes de leurs garçons remarqueront plus tôt le problème et la prise en charge sera prompt pour sauver la vie sexuelle future de l’enfant. Mais il faut l’emmener voir un médecin spécialiste du priapisme.
Quelles sont les complications provoquées par la drépanocytose ?
Il y a d’abord les complications aigues. Il s’agit essentiellement des infections. Les malades sont très sensibles aux germes infectieux. Le moindre germe peut entrainer une crise qui peut se compliquer. Ensuite, il y a l’anémie. Dans notre contexte, la situation peut s’avérer très difficile à cause de la rareté des produits sanguins. Il faut donc éviter ces situations.
Par ailleurs, il y a les accidents ou complications vaso-occlusifs (priapisme, accidents vasculaires cérébraux, syndrome thoraciques aiguë). Les hématies des drépanocytaires étant en forme de faucille, elles obstruent les vaisseaux et ils ne circulent plus.
Le deuxième gros lot de complications est constitué de pathologies chroniques. On a les lithiases biliaires, les ostéonécroses épiphysaires (qui rongent les os et la tête fémorale), les ulcères de jambes, les rétinopathies, l’insuffisance rénale (nécessitant des dialyses). Ce sont là quelques complications qu’il faut donc diagnostiquer à temps pour permettre une prise charge efficace.
Peut-on guérir de la drépanocytose ?
Non. Malheureusement, il faut apprendre à vivre avec cette maladie. Mais les progrès scientifiques donnent de l’espoir. Il y a des expériences de thérapie génique qui ont donné de bons résultats et des gens ont été guéris. Toutefois, ce sont des traitements qui sont extrêmement coûteux pour nos pays. C’est de l’ordre d’environ 50 000 Euros, soit près de 30 000 000 F CFA. Il faut dire que les résultats sont mitigés, avec des conditions restrictives. Et c’est en effectuant la thérapie pendant le jeune âge qu’il est possible d’espérer la guérison. Les espoirs sont très minces quand on devient adulte.
Combien en moyenne un drépanocytaire peut-il dépenser pour se soulager de ses crises ?
Nous ne maîtrisons pas les aspects économiques car il n’y a pas de statistiques pour cela pour le moment. Ce qu’il faut savoir, c’est que la prise en charge est fonction de chaque patient. Un patient qui ne développe pas de complications n’aura pas forcément le même coût de prise en charge qu’un autre qui en développe.
Les coûts vont aussi dépendre de la maitrise de la maladie par le patient. S’il connait les facteurs déclenchants de ses crises, il travaille à les éviter. Mais on peut estimer le coût sur la base du suivi du bilan régulier. Nous suivons généralement nos patients tous les trois mois. Il y a un bilan de base qui comprend des examens sanguins, échographiques, radiographiques, angiographiques, scanners, etc. Il faut prendre en charge ces coûts. Ce n’est pas facile car on n’a pas de système d’assurance maladie.
En plus de ces examens, il faut prendre en compte les coûts des médicaments constitués essentiellement d’antalgiques, d’anti-douleurs, de vaccins (il faut les vacciner prioritairement pour être mis à l’abri de toute infection), d’antibiotiques (utilisés en prophylaxie pour éviter la survenue des infections) des antipaludéens, etc.
C’est une piste d’étude à explorer pour évaluer le coût de la prise en charge de la drépanocytose. Elle a un gros poids économique. Par exemple, un drépanocytaire, pour deux ou trois jours d’hospitalisation ou plus, qui ne part pas travailler, il y a des pertes d’argent qu’on n’évalue pas toujours. Les frais d’hospitalisations aussi doivent être évaluer.
Si tout se passe bien, le patient, qui suit régulièrement sa maladie et qui applique les consignes et traitements, peut dépenser tous les trois mois entre 25 000 F CFA et 30 000 F CFA. Les examens peuvent coûter entre 50 000 F CFA et 70 000 F CFA, voire plus.
Comment prévient-on la drépanocytose ?
On parle de trois types de prévention. Il y a la prévention primaire qui permet d’éviter d’être drépanocytaire. Cela passe donc par le conseil génétique, le dépistage de la population pour que chacun sache quel est son profil d’hémoglobine. En connaissant son profil, on peut décider avec qui on se marie. Si on est tous « AA », il n’y a aucune chance de donner naissance à un drépanocytaire. Si l’un des conjoints est « AA » et l’autre « AS », il n’y a pas de chance d’avoir un drépanocytaire. Mais si les conjoints sont « AS » ou « AC », on peut avoir un enfant drépanocytaire.
Ensuite, il y a la prévention secondaire quand on a déjà la maladie. Il s’agit essentiellement à ce stade de prévenir les complications de la maladie. Tout dépendant aussi de la complication quand il s’agit des infections, on fait la vaccination ou on donne des antibiotiques. Pour l’anémie, on a la prise systématique d’acide folique. Il faut aussi éviter les facteurs déclenchants (manque d’oxygène, froid, déshydratation, stress, etc.).
Enfin, il y a la réadaptation. Par exemple, si on développe une ostéonécrose à la hanche, il faut apprendre à nouveau à marcher avec des béquilles. Pour la respiration, il y a la kinésie thérapie respiratoire. Il faut éviter d’atteindre ce niveau de prévention car elle intervient à un stade très avancé de la maladie.
Que pensez-vous du FACA développé par l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) ? L’utilisez-vous ?
Le FACA est une molécule qui honore le Burkina Faso et les chercheurs burkinabè. Même si dans sa mise en œuvre et son développement, il y a un certain nombre de choses qui n’ont pas été prises en compte ou faites. C’est pour cela que les avis sont mitigés sur son utilisation et son efficacité. En rappel, pour le développement d’une molécule, il y a un certain nombre de processus qu’il faut suivre. Et le FACA n’a pas forcément suivi toutes ces étapes.
Mais en termes de résultats, parmi les patients qui prennent cette molécule, il y en a qui sont satisfaits des résultats. Malheureusement, il y en a qui ne sont pas satisfaits. Personnellement, ce n’est pas une molécule que nous prescrivons de façon routinière. Certains de nos patients l’ont dans leur arsenal thérapeutique. Certains continuent d’en prendre. Pour d’autres il nous arrive de suspendre la prise. Il va falloir qu’on l’améliore car c’est l’image du Burkina Faso qui grandira.
Pour les cas suffisamment graves, il y a une autre molécule, qui coûte, assez chère. C’est l’Hydréa. Mais on préfère mettre nos patients dans un programme transfusionnel. La pratique n’est pas connue par beaucoup de praticiens. On les emmène à faire des saignées veineuses. La technique consiste à prélever du sang par une ponction du sang et qu’on remplace par des solutés. Cela soulage vraiment. On peut aussi faire des échanges transfusionnels qui consiste à remplacer le sang contenant l’hémoglobine S par du sang qui contient l’hémoglobine A. cela améliore vraiment la qualité de vie des patients. Il faudra travailler à développer ces aspects ici car nos produits sanguins ne sont pas toujours adaptés aux patients drépanocytaires que nous soignons.
Peut-on espérer que les progrès de la science puissent un jour permettre de guérir de cette maladie ?
Oui. On l’espère vraiment. C’est cet espoir qui nous donne le courage de nous battre. Il y a vingt ou trente ans, l’espérance de vie des drépanocytaires n’excédait pas vingt ou trente ans. Aujourd’hui, ils vont jusqu’à retraite et vivent plus de dix à trente ans après la retraite.
Il faut aussi qu’on travaille à sensibiliser et à donner l’information juste aux populations. Ils doivent savoir comment éviter la maladie. Cette information doit-être véhiculée pour permettre aux décideurs politiques de prioriser cette maladie qui a un fort impact socioéconomique et psychologique sur la population. Ils doivent mettre des structures spécialisées pour la prise en charge et la formation des professionnels de santé. Le patient, enfin, va pouvoir mieux se prendre en charge en connaissant la maladie et ses différents aspects. Le médecin ne connaît mieux leurs corps qu’eux-mêmes. On espère qu’on va finir à bout de cette maladie.
Entretien réalisé par Jean-Yves Nébié