Introduction
Qu’est-ce qui a entravé ou favorisé l’exercice de la liberté de la presse au Burkina Faso en 2021, quelle note attribue-t-on à la situation et quels en sont les facteurs explicatifs ? C’est à ces questions que nous répondons dans cet article que nous avons produit dans le cadre de l’étude annuelle du Centre national de presse Norbert Zongo sur l’indice de la liberté de la presse. (L. Yaméogo, 2022) À travers cette interrogation, sont analysés les conditions de travail et de vie des journalistes, la viabilité des entreprises de presse, l’accès à l’information, les normes juridiques régissant le métier, la qualité professionnelle des productions, la diversité éditoriale et de l’offre médiatique. Dans un premier temps, nous présentons la méthodologie et, dans un second temps, les résultats.
Méthodologie
La note de l’état de la liberté de la presse ou l’Indice de la liberté de la presse (ILP) de 2021 a été obtenue grâce à une démarche participative qui a réuni à Ouagadougou le 19 mars 2022 une vingtaine d’experts nationaux issus des domaines des médias, de la communication, de la publicité, de la recherche, de la régulation, de la société civile et des pouvoirs publics. L’analyse des experts a consisté à examiner cinq (5) critères appelés objectifs (voir les objectifs dans le tableau ci-dessous) en leur affectant une note située entre zéro (0) et quatre (4) selon qu’ils favorisent l’exercice de la liberté de la presse ou l’impactent négativement. Une note comprise entre 3 et 4 correspond à une situation très bonne, entre 2 et3, une situation bonne, entre 1 et 2, une situation à problèmes spécifiques et entre 0 et 1, une situation difficile.
Résultats
La note générale de l’ILP en 2021
La moyenne générale de l’Indice de la liberté de la presse pour l’année 2021 est 2,25 sur 4 points. Cette note correspond à une situation bonne car située entre 2 et 3. Elle signifie que le Burkina Faso remplit les conditions minimales d’exercice de la liberté de la presse.
Quatre des cinq objectifs (les objectifs 1, 2, 3 et 5) expriment cette même réalité de « situation bonne ». L’objectif 4 qui concerne la viabilité des entreprises de presse est dans une « situation à problème spécifique » avec une moyenne de 1,88 sur 4 points. Cela signifie que les entreprises de presse burkinabè ne sont pas bien gérées et viables au point de permettre l’exercice effectif de la liberté de la presse.
Une comparaison des moyennes annuelles de 2016 à 2021 montre une baisse progressive de l’Indice de la liberté de la presse à partir de 2018, comme le montre le graphique ci-après :
Deux tendances se dégagent du graphique : une tendance haussière de 2016 à 2018 avec les notes 2,37 en 2016, 2,64 en 2017 et 2,68 en 2018 et une tendance baissière à partir de 2018 illustrée par les notes 2,50 en 2019, 2,41 en 2020 et 2,25 en 2021.
Entre 2020 et 2021, l’Indice de la liberté de la presse a baissé de 0,16 point. C’est la plus faible note depuis 2016 témoignant de la dégradation continue des conditions et des contextes de production de l’information journalistique.
Les principaux facteurs explicatifs de la baisse de la note de 2021
Le recul de l’Indice de la liberté de la presse en 2021 résulte d’un conglomérat de facteurs dont les plus importants sont :
- Les actes de violation de la liberté d’expression et de la presse. Les journalistes, tout comme bien d’autres Burkinabè, ont subi des restrictions d’accès à Internet mobile en novembre 2021 et en janvier 2022 et cela a eu des répercussions égatives sur l’exercice de la liberté d’expression et de la presse. La coupure d’Internet mobile est intervenue dans un contexte pourtant où on observe une explosion du nombre d’internautes utilisant cette connexion. Fin janvier 2022, le taux de pénétration de la téléphonie mobile était 118%, le taux de pénétration d’Internet 27,3%. À la même période, le trafic Internet était à 72% via le téléphone mobile et 98,9% de ceux qui utilisent les médias sociaux se connectent grâce à un appareil mobile (Digital Report Burkina Faso, janvier 2022). Durant cette même période couverte par l’étude, les téléspectateurs Burkinabè ont vu le signal d’accès à la Télévision numérique terrestre (TNT) suspendre pour des raisons de non-paiement des taxes par les chaînes de télévisions membres. Cette mesure gouvernementale a été un coup de massue pour la liberté de la presse et, par conséquent, une entrave au droit du citoyen à l’information. Elle a contribué a baissé la note générale de l’Indice de la liberté de la presse.
- Les actes criminels à l’égard des journalistes. Le recul de la moyenne générale en 2021 est aussi dû aux actes terroristes dont ont été victimes des journalistes dans l’exercice de leur fonction. Des agressions physiques, des violences psychologiques et même l’assassinat de journalistes ont été enregistrés pendant la période étudiée (mars 2021- mars 2022). On peut citer l’assassinat, par des terroristes, de deux journalistes espagnols à l’Est du Burkina Faso, l’enlèvement d’animateurs de radio, la destruction et /ou la fermeture de radios dans des régions durement éprouvées par l’extrémisme violent.
- Le difficile accès à l’information sécuritaire. La dégradation de la situation sécuritaire est venue complexifier l’accès à l’information sécuritaire. Si l’introduction, en 2019, des restrictions concernant le traitement et la diffusion de l’information sécuritaire dans le code pénal ne visent pas directement les journalistes, cette révision reste, tout de même, un acte dissuasif selon les organisations professionnelles. Les notions de « secret d’instruction », de « secret-défense », de « fausses informations » d’« atteinte à l’ordre public, à la cohésion sociale et au moral des troupes » sont parfois prétextés, à tort ou à raison, pour empêcher la libre expression des opinions. Ces mesures peuvent être interprétées comme des velléités de musellement des journalistes.
- La précarité statutaire des journalistes. Le problème structurel auquel font face les journalistes burkinabè et qui a aussi contribué à la baisse de la note de 2021, c’est la faiblesse de leur salaire. La précarité est telle qu’on assiste de plus en plus à une mobilité et une reconversion professionnelle. Le glissement du journalisme à la communication est une pratique courante, vidant le métier de journalisme des rares modèles et références qui peuvent encore inspirer et stimuler la jeune génération. Cette situation de « misère de condition » pour reprendre l’expression du sociologue français Pierre Bourdieu est observée dans les médias burkinabè alors même qu’une convention collective est adoptée en 2009 pour un meilleur traitement salarial des journalistes. Malheureusement, elle reste encore inappliquée par l’ensemble des médias.
Conclusion
La note de 2,25 en 2021 traduit un recul sans précédent de la liberté de la presse au Burkina Faso. Depuis 2016, c’est la première fois que le pays enregistre ce score. Ce recul confirme le classement 2021 de Reporters Sans Frontières. Le Burkina Faso qui a occupé en 2020 la 37e place sur 180 pays est classé 41e en 2021, perdant ainsi sa place honorable de premier pays en Afrique francophone qu’il a occupée pendant plusieurs années. Au regard de la dégringolade continue de l’Indice de la liberté de la presse ces dernières années, il apparaît primordial que des mesures soient prises pour sortir les médias et les journalistes burkinabè de la zone de turbulence qu’ils traversent indéfiniment. Il faut, pour ce faire, réviser et mettre immédiatement en application la convention collective, instituer un régime fiscal spécifique adapté au développement des médias, protéger les journalistes dans les zones de conflits et faciliter l’accès des journalistes à l’information sécuritaire publique.
Lassané Yaméogo,
Chargé de recherche, CNRST Burkina Faso
Références
Anadolu Agency « Burkina Faso : au moins une quarantaine de ‘’terroristes’ neutralisés dans le Nord-Ouest »
DigitaL Magazine (2022), Digital 2022 Overview Burkina Faso. https://digitalmagazine.bf/2022/01/31/digital-report-burkina-statistiques-2022-vue-densemble/
INSD & FAPP (2021) « Audience des médias nationaux au Burkina Faso », Rapport d’étude, Burkina Faso
Rapport 2020 sur l’état de la liberté de la presse au Burkina Faso.
Yaméogo Lassané (2022) État de la liberté de la presse au Burkina Faso en 2021 suivi de l’étude « crise humanitaire et médias : regards croisés sur le traitement journalistique des PDI par les médias nationaux et locaux », Ouagadougou, collection CNP-NZ.