Document de vulgarisation : Effets à long terme du feu, de la coupe sélective de bois et de la pâture sur la banque de graines du sol : potentiel de restauration dans les formations savanicoles

Soumis par RedacteurenChef le jeu 18/01/2024 - 10:52

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1. Introduction

La résilience écologique basée sur le concept de Holling et a été définie comme la capacité d'un système à tolérer une perturbation sans passer à une autre configuration. A cet effet, la résilience écologique est donc importante pour le maintien des fonctions écosystémiques souhaitées. La savane connaît différentes formes de dégradation du sol et de la végétation dues à différents types de perturbations (le feu, l'exploitation du bois, la pâture et les variations climatiques). Ces facteurs perturbateurs peuvent affecter la végétation établie, diminuer la biomasse végétale, la survie et la production de graines. Ils sont à l’origine de la fragmentation de la végétation, entraînant des changements dans les conditions environnementales et biotiques locales, déclenchant le processus de recrutement, la régénération et l'établissement de différents groupes d'espèces. Pendant la récupération après perturbations, les plantes qui poussent peuvent provenir de quatre voies différentes. Ce sont : la banque de semis et la régénération (à partir des semis et des jeunes arbres déjà présents), la reproduction végétative (à partir de la germination des tiges et des racines), les pluies de graines (provenant de graines dispersées par des agents biotiques et abiotiques provenant de sites voisins) et la banque de graines du sol. La banque de graines du sol est définie comme le stock de graines viables à maturité existant à la surface du sol, ou enfoui dans le sol, ou mélangé à la litière, à un moment et à un endroit déterminé. La densité et la diversité des banques de graines sont importantes pour déterminer la composition floristique initiale après la perturbation et pendant la phase de restauration. Le stock de semences dépend de l'équilibre entre les intrants (apports) et les extrants (pertes), et des stratégies des banques de semences, en raison du comportement de germination et des modes temporels de dispersion des graines. Par conséquent, la détermination de la quantité de semences disponibles dans les banques de graines donne un aperçu précieux à la fois de la vulnérabilité d'une espèce à l'extinction locale (absence d'une espèce dans la banque de graines), ainsi que la probabilité de maintien des espèces et/ou de l'invasion (augmentation de la dominance d'une espèce dans la banque de semences). De même, la composition de la banque de graines du sol devient un indicateur crucial des tendances de successions possibles et pour la survie et la résilience à long terme des populations végétales. Dans la savane, la banque de graines du sol est influencée par divers agents de perturbation. Les effets de pâture sur la banque de graines du sol sont généralement discutables. Certains auteurs ont signalé que la pâture n'a aucun effet sur les composantes de la végétation et d'autres ont constaté que la pâture diminue la richesse des banques de graines du sol, mais augmente les espèces non appétibles et annuelles sur les pâturages. Ces réponses contrastées peuvent être attribuées aux différences dans la composition des espèces et les régimes de pâture dans différentes conditions climatiques. Le feu est un facteur de perturbation important et fréquent qui affecte l'écosystème semi-aride et exerce une grande influence sur la composition et la densité des banques de graines du sol. Son influence sur la banque de graines du sol dépend principalement de son intensité, de sa fréquence et de la saison. La pâture et le feu peuvent influencer la quantité de graines et les conditions dans lesquelles les graines peuvent émerger (modification du microsite), influençant ainsi la disponibilité des semences, les banques de semences et le recrutement, avec des implications possibles sur la dynamique des espèces et les tendances successorales. L’espace créé par la mort d’un arbre ou plusieurs arbres dans un milieu due à la coupe sélective ou à la mort naturelle disponibilise la lumière et fournit plus d'espace et de nutriments pour l'établissement et la croissance d'espèces herbacées et de jeunes espèces ligneuses. Comprendre les caractéristiques des banques de semences et les effets des facteurs de perturbation sur la densité et la composition des banques de semences pourrait être très utile pour orienter les efforts de restauration dans les savanes. Ce document de vulgarisation est élaboré à l’endroit des aménagistes des forêts afin de les aider à une meilleure gestion et conservation de la flore ou des habitats dans les aires protégées annuellement affectés par les facteurs imminents de perturbations.

2. Matériel et Méthodes

2.1. Site expérimental

Cette étude a été conduite sur deux dispositifs factoriels installés dans les forêts classées de Laba et de Tiogo afin d’étudier à long terme l’impact du feu précoce, de la coupe sélective de bois, et de la pâture sur la dynamique des strates ligneuse et herbacée en savane soudanienne du Burkina Faso (Figures 1A et 1B). Ces dispositifs dotés de 4 répétitions de 18 parcelles de 2500 m2 (50 m × 50 m) et d’une superficie de 50 ha chacun ont été installés en Mai 1992 par l’Institut de Recherche en Biologie et Ecologie Tropicale (IRBET) en collaboration avec l’Université Suédoise des Sciences Agricoles (SUAS), et le Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD-Forêt). Ces dispositifs factoriels sont subdivisés chacun en 4 blocs soumis de façon aléatoire à dix-huit traitements faits de combinaisons des trois facteurs que sont le feu précoce, la coupe sélective de bois et la pâture. Chaque site expérimental comprend 72 parcelles, et les parcelles sont subdivisées en placettes de 25 m2 (5 m × 5 m) matérialisées par des bornes en pierres peintes. Des pare-feu périmétraux et inter-parcellaires de 20 à 30 m de large parcourent chaque dispositif. Ainsi 18 ha sont consacrés aux traitements et 32 ha aux pares-feux.

2.2. Echantillonnage

Les échantillons de sol ont été prélevés en Novembre-Décembre, lorsque les semences de la saison précédente pourraient encore germer et la dispersion des graines dans la saison actuelle a atteint le pic. Le prélèvement des sols a concerné 16 parcelles de chaque dispositif soumis aux quatre traitements que sont: Témoin (pas de feu précoce, pas de coupe sélective, pas de pâture); Feu précoce (feu précoce, pas de coupe sélective, pas de pâture); Pâture (pas de feu précoce, pas de coupe sélective, pâture); Coupe sélective (pas de feu précoce, coupe sélective, pas de pâture) (Tableau 1). Sur chaque parcelle, le dispositif de collecte d’échantillons de sol (Figure 14) comprend 4 lignes et sur chaque ligne de transect, l’échantillonnage a été alterné.

figure 1

Figure 1 : Plan du dispositif expérimental complet de la forêt classée de Laba (A) et de Tiogo (B).

Ainsi, 40 points de prélèvement ont été retenus et estimés suffisamment représentatifs pour chaque parcelle. Trois profondeurs (0-3 cm, 3-6 cm et 6-9 cm) ont été considérées dans la collecte d’échantillons de sol car le sol de Laba est profond et à plus de 10 cm, on atteint la cuirasse ou la roche mère. Les échantillons de sol sont prélevés à l’aide d’une tarrière métallique dans les côtés opposés de chaque quadrat de 5 m × 5 m dans le but de prendre en compte l’hétérogénéité de chaque parcelle. Les échantillons de sols correspondant à chaque placette et à chaque niveau de profondeur sont ensuite mélangés et homogénéisés pour obtenir un échantillon composite avant l’incubation sous la serre à la station de recherche de Saria. Ainsi, trois échantillons ont été obtenus par placette concernée en concordance avec les trois niveaux de profondeur de prélèvement. Au total, 1920 échantillons de sols ont été prélevés.

Tableau 1 : Parcelles expérimentales pour l’investigation sur la banque de graines du sol

tableau 1

 

figure 2

Figure 2 : Dispositif des points de prélèvement de sol au sein de chaque parcelle.

2.3. Estimation des semences viables du sol

La méthode indirecte a été utilisée pour estimer le stock de semences dans les parcelles d’échantillonnage. Nous avons étalé les échantillons de sol dans les pots en polypropylène protégeant des rayons Ultra-Violets à une profondeur de 4 cm. Les échantillons sont arrosés régulièrement deux fois par jour à l’aide des micro aspergeurs de la serre, afin de s’assurer des conditions équitables et idéales d’humidité. Les semis émergents sont identifiés suivant International Plant Names Index www.ipni.org. Les pots sont disposés sur des palettes à l’intérieure de la serre où les conditions idéales uniformes de germination des semences viables sont octroyées à tous les échantillons. Pour faciliter le drainage de l’eau, les pots ont été perforés.

3. Résultats

3.1. Composition de la banque de graines du sol

Au total, 39 espèces appartenant à 34 genres et 13 familles ont émergé des échantillons de sol. En termes de richesse spécifique, le dispositif factoriel de la forêt classée de Laba compte le plus grand nombre d'espèces (32 espèces appartenant à 31 genres et 14 familles) comparées à celui de Tiogo (23 espèces appartenant à 23 genres et 9 familles). Les résultats indiquent que quel que soit le traitement, les deux sites ont en commun 9 familles et 9 espèces communes (Andropogon pseudapricus, Cyperus diformis, Hackelochloa granularis, Microchloa indica, Pennisetum pedicellatum, Phyllanthus amarus, Setaria parviflora, Wissadula amplissima et Zornia glochidiata). Parmi celles-ci, les Poaceae constituaient la plus grande famille, avec près de 46% du total des espèces. Les Fabaceae et Malvaceae sont des familles communes des parcelles soumises au feu. Parmi ces 39 espèces, 95% étaient des annuelles et seules deux espèces ligneuses (Mitragyna inermis et Securinega virosa, Photo5) ont été enregistrées sur les parcelles témoins (Laba) et les parcelles pâturées (Tiogo), respectivement. De plus, aucune espèce herbacée pérenne n’a été rencontrée durant la phase d'observation dans la serre. En termes de groupes fonctionnels dans les deux sites, les graminées étaient les plus importants, représentés par 64% des espèces suivies par les forbes (23%), les légumineuses (8%) et les arbres (5%).

photo 5          

Photo 5 : Germination et croissance de Securinega virosa (gauche) et de Brachiaria lata (droite)

3.2. Influence des traitements sur la richesse et la densité de la banque de graines du sol

La richesse en semis diminuait significativement avec l'augmentation de la profondeur du sol au site de Laba (P = 0,021). La richesse de la banque de graines du sol était plus élevée dans les 3 premiers centimètres du sol (2,01 ± 0,41) et diminuait avec l'augmentation de la profondeur (Tableau 2). De plus, sur les deux sites, la richesse de la banque de graines du sol à partir de la profondeur 3-6 cm ne différait pas de la couche la plus profonde (6-9 cm, Figure 4).

Tableau 2 : Résultat de l’analyse MLG sur la richesse spécifique (A pour Laba et B pour Tiogo) à l’aide de la loi de distribution de Poisson

tableau 2

Seuil de Probabilité : 0 ‘***’ ; 0,001 ‘**’ ; 0,01 ‘*’ ; 0,05 ‘.’ ; 0,1 ‘*’ 

E.R. = Erreurs Résiduelles, ddl = degré de liberté

figure 4

Figure 4 : Distribution de la richesse spécifique dans le sol de Laba et de Tiogo.

Les traitements appliqués aux parcelles (feu, coupe sélective, pâturage et témoin) et la profondeur du sol ont eu un effet très significatif sur les deux sites (Tableau 3). Tout comme la richesse, la densité de la banque de graines était la plus élevée pour les échantillons de sol prélevés dans la couche superficielle et diminuait significativement avec l'augmentation de la profondeur (Figure 4). La couche la plus profonde (6-9 cm) avait une densité de graines plus faible et relativement semblable à la couche intermédiaire (3-6 cm). Les densités de graines dans les banques de graines du sol étaient significativement différentes selon les différents facteurs de perturbation. Les échantillons de sol prélevés sur les parcelles de feu du site de Laba ont plus de graines (270 graines/dm3) que les trois autres (témoin et coupe sélective) qui ont des valeurs presque similaires (Figure 5). En revanche, à Tiogo, ce sont les parcelles soumises aux feux précoces qui ont enregistré la densité la plus élevée (720 graines/dm3) suivies des parcelles de la coupe sélective (390 plantules/dm3), et de celles de la pâture (354 graines/dm3) et des témoins (180 graines/dm3).

figure 5

Figure 5 : Densité de la banque de graines du sol des sites de Laba et Tiogo

Tableau 3 : Résultat de l’analyse MLG sur la densité des semis (A pour Laba et B pour Tiogo) à l’aide de la loi de distribution de Poisson

tableau 3

Seuil de Probabilité : 0 ‘****’; 0,001 ‘***’  0,01 ‘**’  0,05 ‘.*’  0,1 ‘ ’  1

3.3. Similarité entre les banques de graines du sol et leur relation avec la végétation épigée

En comparant la composition spécifique des parcelles pâturées et celles brûlées annuellement, nous avons observé que contrairement au site de Tiogo, les parcelles de Laba soumises au feu précoce et à la pâture étaient similaires, comme le montre l'indice de similarité de Jaccard qui a la valeur la plus élevée (Cj = 0,62) (Tableau 4A). Les parcelles qui ont fait l'objet d'une coupe sélective ont la plus faible similarité avec le pool d'espèces des parcelles témoins, pâturées et brûlées annuellement (valeurs Cj inférieures par rapport à l'autre). Cependant, sur le site de Tiogo, une faible similarité du pool d'espèces entre les différents traitements a été observée (Tableau 4B). En termes de correspondance entre la banque de graines du sol et la végétation épigée, nous avons observé un manque de correspondance entre elles, notamment pour les espèces ligneuses. Jusqu'à 97% des espèces ligneuses et 36% des espèces herbacées enregistrées dans la végétation épigée étaient absentes de la banque de graines du sol. Les parcelles témoins de Laba semblent partager plus d’espèces avec la végétation épigée. Peu d'espèces des banques de graines du sol sont présentes dans la végétation épigée. La banque de graines reflète ainsi partiellement la composition floristique des deux sites. De tels résultats ont également indiqué la faible similarité entre les deux lorsque nous avons calculé l'indice de similarité de Jaccard.

Tableau 4 : Indice de similarité de Jaccard à Laba (A) et Tiogo (B)

tableau 4

 

3.4. Implication pour la conservation de la flore et de la biodiversité

L'évaluation des semences viables dans les sites perturbés a fourni des informations précieuses sur les espèces vulnérables et envahissantes. Nos résultats ont démontré qu’après plus d’une quinzaine d’années de pâture, de feu précoce et de coupe sélective d’arbres ; ces perturbations ont induit des changements dans les banques de graines du sol. Ces changements ont été caractérisés par l'abondance des espèces annuelles. Cette situation dénote le potentiel lent et limité de la banque de graines du sol pour améliorer la résilience des savanes uniquement à partir de graines du sol. Néanmoins, ces espèces herbacées annuelles pourraient aider à atténuer l'érosion grâce à leur capacité à fournir une couverture végétale et à accumuler de la matière organique lorsque les facteurs de perturbation sont contrôlés et modérés. Cependant, la forte dissemblance entre la végétation épigée et la banque de graines du sol et l'absence d'espèces vivaces dans les banques de graines du sol indiquent que la conservation et la restauration active des savanes représentent un défi majeur. L'introduction, le transfert de graines d'espèces ciblées (en particulier les espèces pérennes y compris les espèces ligneuses et herbacées), la plantation et la protection de semis d'arbres adaptés localement peuvent être les solutions appropriées.

4. Conclusion

Les résultats de cette étude indiquent que les sites étudiés ont un potentiel de régénération à partir de la banque de graines du sol, et que ce potentiel est bien tributaire du type de perturbation. Le traitement appliqué à la parcelle (feu, coupe sélective, pâture et témoin) a eu un effet significatif sur la densité des semis sur chacun des deux sites. A Laba, les parcelles pâturées regorgeaient plus de semis contrairement au site de Tiogo à sol peu profond, où ce sont les parcelles qui brûlent annuellement qui ont enregistrées la plus grande densité. La banque de graines du sol contient plus d’herbacées et très peu de ligneux dont les graines sont certainement restées dormantes indiquant que la majorité des ligneux alimente peu la banque de graines du sol.

SANOU Lassina1*; ZIDA Didier1, SAVADOGO Patrice1,2, THIOMBIANO Adjima3

1Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA)/ Département Environnement et Forêts/Laboratoire de l'environnement et des écosystèmes forestiers, agroforestiers et aquatiques (labo ECOFAA), 04 BP 8645 Ouagadougou 04, Burkina Faso

2Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Sub Regional Office West Africa, Dakar, Sénégal

3Université Joseph Ki-Zerbo, Unité de Formation et de Recherche en Sciences de la Vie et de la Terre (UFR/SVT)./Laboratoire de Biologie et Ecologie Végétales

*Auteur correspondant : SANOU Lassina ; email : lassina.sanoulassina@gmail.com

5. Références bibliographiques

ZIDA D., SANOU L., DIAWARA S., SAVADOGO P., THIOMBIANO A., 2020. Herbaceous seeds dominates the soil seed bank after long-term prescribed fire, grazing and selective tree cutting in savanna-woodlands of West Africa. Acta Oecologica. https://doi.org/10.1016/j.actao.2020.103607.