La campagne de sensibilisation « Ensemble sauvons notre manioc » a eu lieu, du 20 au 28 avril 2022. Elle a concerné les producteurs de Panamasso (Houet, Hauts-Bassins), de Takalédougou (Comoé, Cascades) et du Centre-Est (Ouargaye, Bitou et Bagré). Organisée par le Centre Régional d’Excellence WAVE (Central and West African Virus Epidemiology for food security), cette campagne vise à sensibiliser les populations sur les dangers liés aux maladies virales du manioc, leur impact sur la productivité agricole et la sécurité alimentaire.
D'entrée de jeu, Dr Fidèle Tiendrébéogo, Directeur pays WAVE au Burkina Faso, a présenté les maladies virales du manioc dont la maladie de la mosaïque du manioc (CMD) et la maladie de la striure brune du manioc (CBSD). Ces maladies virales causent d'énormes dégâts dans les champs de manioc en Afrique.
«...une perte de rendement de 40 à 70 % »
Selon Dr Fidèle Tiendrébéogo, la maladie de la mosaïque du manioc (CMD) est très répandue en Afrique subsaharienne. Elle entraîne une perte de rendement de 40 à 70%. Quant à la maladie de la striure brune du manioc (CBSD), elle peut entraîner une perte de rendement allant jusqu'à 100%. Elle est actuellement présente en Afrique de l’Est et en Afrique Centrale et se propage vers l’Afrique de l’Ouest. « Imaginez un producteur qui plante son manioc. Et à la récolte, il se rend compte que tous ses tubercules de manioc sont pourris, car infectés par la striure brune du manioc. C'est insoutenable. Même les porcs ne mangent pas ce manioc. C'est une réalité dans les pays d'Afrique de l'Est et d'Afrique Centrale », a-t-il expliqué.
« Évitez d'importer sans contrôle des boutures de manioc... »
Pour Dr Koussao Somé, Chef de Programme Plantes à racines et Tubercules, ces maladies peuvent être évitées en adoptant des pratiques saines. Il s'agit notamment d'éviter d'importer des semences de manioc d'ailleurs. « Même si vous voulez en importer, il faut nous contacter pour qu'on fasse des études sur ces semences, afin d'éviter l'importation de ces maladies. Pour le moment, il n'y a aucun remède à ces pathologies du manioc. Si elles entrent ici, ce sera un désastre pour la sécurité alimentaire et les revenus financiers de nos valeureux producteurs et transformatrices », a-t-il prévenu.
Dans le même sens, Dr Ézéchiel B. Tibiri, Virologue et bioinfomaticien, martèle : « La seule solution d'éviter ces maladies virales du manioc, c'est d'avoir des comportements responsables. Évitez d'importer sans contrôle des boutures de manioc au Burkina Faso ».
Des variétés de manioc disponibles...
Dr Koussao Somé a affirmé que l'Institut de l'Environnement et de Recherches Agricoles (INERA) a mis au point des variétés de manioc de qualité. Ces variétés sont résistantes aux ravageurs et au stress hydrique. « Par exemple, la variété V5 est très prisée par les transformatrices de manioc en attiéké. Il y a bien d'autres variétés pour le gari, etc. Il suffit de nous contacter pour s'en procurer. Les producteurs ont d'ailleurs déjà ces différentes variétés dans leurs champs », a-t-il indiqué.
Comment reconnaître ces maladies virales du manioc ?
Ces maladies virales du manioc peuvent être identifiés par les producteurs, selon Monique Soro, Ingénieure de recherche à l'Institut de l'Environnement et de Recherches Agricoles (INERA). « Quand il y a la maladie de la mosaïque du manioc dans un champ, il y a des symptômes. Les feuilles sont couvertes de taches jaunes ; elles flétrissent et leur taille diminue. Donc, cela montre au producteur que les plantes infectées ne doivent plus servir à la reproduction. Quant à la maladie de la striure brune du manioc, elle est difficile à détecter. Pour qu'elle se manifeste sur les feuilles, ça prend du temps. Mais c'est à la récolte qu'on remarque les dégâts : le manioc pourrit. Quand elle se manifeste à l'extérieur, on remarque les taches jaunes sur les feuilles, mais les feuilles ne flétrissent pas. Les tiges ont des taches noirâtres. C'est pourquoi nous vous demandons de ne pas ramener des boutures d'Afrique centrale ou d'Afrique de l'Est, même si on vous vante leurs qualités et leurs rendements », a-t-elle souligné.
En outre, il faut signaler que l’équipe de chercheurs était également accompagnée des ingénieurs de recherche, Saïdou Zongo, Estel Name et Seydou Sawadogo et des journalistes Cyr Payim Ouédraogo et Jean-Yves Nébié (respectivement Directeur de Publication et Rédacteur en Chef d’Infos Sciences Culture).
« Panamasso, un modèle de production de manioc »
Pourquoi le choix de Panamasso pour le début de la caravane ? Selon Dr Fidèle Tiendrébéogo et Dr Koussao Somé, ce village est un modèle de production de manioc. « Nous avons effectué plusieurs visites dans les champs ici. Mais, les maladies virales ne sont pas encore ici parce les producteurs sont disciplinés. Ils traitent bien leurs plantations. Mais il fallait qu'on les sensibilise sur ces maladies virales qui sont à nos portes », disent-ils.
À Panamasso, les champs de manioc s'étendent sur des kilomètres, à perte de vue. Les producteurs, par contre, déplorent le coût élevé des engrais. Cependant, ils sont conscients que les maladies virales pourraient leur créer des dommages énormes. « Le manioc, c'est notre vie. C'est notre or. Donc nous en prenons soin. C'est pourquoi nous sommes vraiment contents de recevoir les conseils avisés des chercheurs de WAVE. Nous sommes conscients de l'importance de leur travail dans la chaîne de valeur de notre filière. Nous mettrons leurs conseils en application », a confié Kollo Innocent Sanou, producteur de manioc et animateur endogène à Panamasso.
Pour les sœurs Awa et Adjita Ouédraogo, commerçantes, le manioc est très important. « En une campagne, nous pouvons écouler des centaines de véhicules bâcher. Notre activité principale est le commerce de manioc. C’est notre gagne-pain. Mais il y a quelques difficultés qui nous freinent. Il y a le manque de clients et de crédits pour financer notre activité. Sinon le manioc est notre source de revenus », disent-elles.
L'organisation des acteurs de la filière manioc à Panamasso
Les populations ont souligné certaines difficultés : les insectes ravageurs (criquets, cochenilles), le coût élevé des engrais, l'écoulement des productions, l'organisation des acteurs de la filière, etc.
Pour Gérard Sanou, Président de l'Union des Producteurs de Manioc du Houet, il a été créé l'Interprofession de la filière manioc, dont il est le Secrétaire général. Cette interprofession a été créée dans le but de mieux organiser les acteurs de la filière. Foi de Gérard Sanou, une tournée sera organisée pour présenter la structure et son plan stratégique aux acteurs de la filière.
« J'ai construit ma maison grâce au manioc »
Le manioc présente de multiples avantages. Il est transformé en de multiples produits dérivés (gari, tapioca, farine, attiéké, pâte fermentée, amidon etc.) qui sont aussi utilisés à des fins industrielles et commerciales. La transformation du manioc en amidon, par exemple, permet de produire du bioéthanol, des médicaments ou encore des boissons. Le manioc représente également une importante source de revenus pour des milliers de familles d’Afrique de l’Ouest et du Centre, grâce à la vente de ses tubercules et feuilles.
À Takalédougou, les producteurs louent les bienfaits du manioc. « Quand nous étions des enfants, nous avons été nourris avec du manioc. Nos parents nous ont scolarisés avec les revenus tirés de la vente du manioc. Ils ont pu construire leurs maisons en dur. J'ai travaillé à la société sucrière. Mais, je ne pouvais pas avoir 100 000 F CFA comme revenu. J'ai alors investi dans le manioc. Aujourd'hui, j'ai construit une maison en dur. Ici, les jeunes s'achètent des motos et construisent des maisons grâce à la production du manioc. C'est notre or », a témoigné le producteur Paul Traoré.
En outre, ils sont conscients que les maladies virales pourraient leur créer des dommages énormes. « Le manioc, c'est notre vie. C'est notre or. Le manioc est ma vie. Je me consacre à la culture du manioc. J'ai même une unité de transformation de manioc. Cette culture et cette transformation me rapportent beaucoup d'argent. Donc je suis conscient que ces maladies sont des dangers. C'est pourquoi je suis vraiment content de recevoir les conseils avisés des chercheurs de WAVE », a confié Siaka Traoré, producteur, conseiller endogène, formateur en compostage.
Des préoccupations des producteurs de Takalédougou
Les producteurs ont soulevé certaines difficultés : les insectes ravageurs (criquets, cochenilles), le coût élevé des engrais, l'écoulement des productions, l'organisation des acteurs de la filière, le manque de formation sur la plantation du manioc, etc. « Nous sommes disposés à donner des formations sur la production de manioc. Nous avons plusieurs variétés à vulgariser. Nous pourrons organiser des séances de formation pour outiller les producteurs de la région », a affirmé Zezouma Sanou, technicien de l'inera à la retraite, bobo, formateur sur la production et la transformation de manioc.
Pour répondre au problème du coût élevé des engrais, Siaka Traoré demande aux producteurs de Takalédougou d'utiliser du compost. « Je suis formateur en compostage et je peux vous apprendre à faire du compost. Ce n'est pas un travail facile. D’ailleurs, il n'y a pas de travail facile. Chacun mangera à la sueur de son front. Il faut accepter la peine de ce labeur. Je vais former ceux qui le veulent. Ce ne sont pas les matières premières qui manquent. L'herbe, les résidus de canne à sucre, les résidus de manioc sont des matières premières abordables pour faire compost », a-t-il martelé à ses concitoyens.
Les producteurs engagés...
Après ces présentations, les producteurs se sont engagés à respecter les consignes et conseils des chercheurs. « Le manioc est notre source de revenus. Nous avons intérêt à le protéger de ces maladies virales qui sévissent dans les autres pays d'Afrique. Nous sommes contents, parce que nous avons maintenant des connaissances qui nous serviront. Nous allons appliquer les conseils des chercheurs, c'est une certitude », a confié Tilado Moussa Pasgo, producteur de manioc à Ouargaye.
Le manioc désigné « Culture du XXIe siècle » par la FAO
Le manioc est vital pour les populations africaines. Selon le Centre Régional d’Excellence WAVE (Central and West African Virus Epidemiology), le manioc est l'aliment de base pour près de cinq cent millions (500 000 000) d'Africains.
Au regard de ses multiples avantages, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a désigné le manioc comme la « culture du XXIe siècle » pour sa résilience face aux changements climatiques et sa capacité à relever les défis de la sécurité alimentaire.
Bilan épidémiologique de la maladie de la mosaïque du manioc au Burkina Faso
Des enquêtes ont été menées en 2016 et 2017 dans les principales régions productrices de manioc du Burkina Faso pour évaluer l'état de la maladie de la mosaïque du manioc (CMD) et pour déterminer les souches virales à l'origine de la maladie, à l'aide d'observations sur le terrain et d'analyses phylogénétiques.
L'incidence de CMD variait selon les régions et les années, mais était la plus faible dans les Hauts‐bassins (6,0 %, 2016 et 5,4 %, 2017) et la plus élevée dans le Centre‐Sud (18,5 %, 2016) et dans la Boucle du Mouhoun (51,7 %, 2017).
La plus faible sévérité de CMD a été trouvée dans la région Est (2,0) pour les deux années et la plus forte sévérité de CMD dans la région Sud‐Ouest (3,3, 2016) et dans la région Centre‐Sud (2,8, 2017).
L'infection CMD était principalement associée aux boutures contaminées dans toutes les régions sauf dans les Hauts‐bassins où l'infection transmise par les aleurodes était plus élevée que l'infection transmise par les boutures en 2016.
Le dépistage par PCR de 687 échantillons couplé à l'analyse des séquences a révélé la présence de virus de type mosaïque du manioc africain (ACMV-like) et de virus de type mosaïque du manioc d'Afrique de l'Est (EACMV-like) en tant qu'infection unique à 79,5 % et 1,1 % respectivement.
Des co-infections par des virus de type ACMV et EACMV ont été détectées dans 19,4 % des échantillons testés. En outre, 86,7 % des échantillons positifs pour le virus de type EACMV se sont révélés positifs pour le virus de la mosaïque camerounaise du manioc d'Afrique de l'Est (EACMMV).
L'analyse phylogénétique a révélé la ségrégation des CMG du Burkina Faso en clades d'arbres spécifiques à l'ACMV, au virus de la mosaïque africaine du manioc du Burkina Faso (ACMBFV) et à l'à l'EACMMCMV confirmant la présence de ces virus. Les résultats de cette étude ont montré que la présence d'EACMMV pourrait être plus répandue au Burkina Faso qu'on ne le pensait auparavant.
Jean-Yves Nébié
Légendes
- Dr Fidèle Tiendrébéogo, Directeur pays WAVE au Burkina Faso
- Dr Koussao Somé, Chef de Programme Plantes à racines et tubercules
- Dr Ézéchiel B. Tibiri, Virologue et bioinfomaticien
- Monique Soro est ingénieure de recherche
- Les producteurs de Panamasso étaient mobilisés
- Dans le Centre-Est, ils se sont engagés à protéger et à sécuriser leurs productions contre les maladies virales du manioc
- Un champ de manioc à Panamasso
- Des tubercules de manioc à Takalédoudou
Lien de l’étude citée dans l’article :