Selon le Département américain de l’agriculture, cité par l’Agence Ecofin (https://www.agenceecofin.com/analyse/1907-110445-le-burkina-faso-face-au-defi-de-l-augmentation-de-la-demande-de-riz, publiée le 19 juillet 2023 à 16:23 ), la consommation du riz frôle un million (1 000 000) de tonnes par an au Burkina Faso. Pour satisfaire cette demande, sans cesse croissante, plusieurs initiatives ont été entreprises. Toutefois, la production nationale de riz est confrontée à des contraintes, dont la maladie de la bactériose vasculaire « qui peut occasionner des pertes de rendement pouvant atteindre jusqu’à 100% en fonction de la variété et de la saison de culture en cas d’épidémie ». Pour résoudre ce problème, des chercheurs burkinabè mènent des études sur les lignées éditées de riz en serre confinée et en champ confiné, afin d’aider à accroître les rendements. Pour mieux comprendre cette biotechnologie agricole, nous avons eu un entretien avec Dr Issa Wonni, Directeur de recherche en phytopathologie, investigateur du projet « Lignées éditées de riz ». Entretien !
Qui est le principal investigateur du riz édité ?
Le projet « Lignées éditées de riz » est porté par l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA). En ma qualité d’investigateur du projet, je travaille avec une équipe pour l’atteinte des objectifs du projet.
Qu’est-ce que le riz édité ?
Le riz édité est du riz dont les gènes de sensibilité (connus sous le nom de « gène SWEET ») à la bactériose vasculaire ont été modifiés, soit par la suppression de quelques nucléotides (délétions), soit par l’ajout de nucléotides (Insertion) et/ou par des modifications multiples (Insertion, substitution, délétion) à différents sites de liaison chez la plante reconnus par les « gènes de sensibilité (Tal) » de l’agent pathogène.
En d’autres termes, une lignée de riz édité, dans le cadre de notre projet, est une variété de riz sensible à la bactériose dont l’édition des gènes SWEET lui confère une résistance à la maladie sans qu’un gène étranger ne soit introduit dans son génome.
D’où vient cette technologie ?
L'origine de la technique d'édition du génome remonte à plusieurs découvertes scientifiques clés dans le domaine de la biologie moléculaire et de la génétique. Elle est partie : (i) de la découverte des enzymes de restriction (années 1970) ; (ii) du développement de la recombinaison homologue (années 1980-1990) ; (iii) de la découverte de TALENs et ZFNs (années 2000) et enfin de l’avènement de la technique CRISPR-Cas9 (2012).
La révolution dans l'édition du génome est venue avec la découverte du système CRISPR-Cas9 par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna en 2012. Inspiré d'un mécanisme de défense bactérien contre les virus, CRISPR-Cas9 permet de cibler et de modifier des séquences spécifiques de l'ADN de manière plus simple, rapide et efficace que les méthodes précédentes. Actuellement, CRISPR-Cas9 et d'autres systèmes dérivés, comme CRISPR-Cpf1, sont largement utilisés pour l'édition des génomes dans divers organismes, révolutionnant la recherche en génétique, la biotechnologie agricole et la médecine.
Quel est votre principal objectif ?
Notre objectif principal est de créer et/ou d’améliorer des variétés de riz pour résister à la bactériose vasculaire, maladie qui sévit dans toutes les grandes zones de production du riz au Burkina Faso, et qui a été à l’origine de l’abandon de la variété TCS10 introduite par la coopération taiwanaise au regard de son rendement pouvant atteindre 10 tonnes à l’hectare.
Depuis quand travaillez-vous sur ce projet ?
Mes activités sur la bactériose vasculaire remontent aux années 2005 avec l’INERA en collaboration avec AfricaRice et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), en tant qu’étudiant, Ingénieur agronome, doctorant et chercheur de l’INERA depuis 2011. Toutefois, le projet « Lignée éditée de riz » a démarré en 2020 avec l’arrêté N°2020/324/MESRSI/SG/ANB portant autorisation d’évaluation de la résistance/sensibilité de lignées éditées de riz à la bactériose vasculaire du riz due à Xanthomonas oryzae en serre confinée à Bobo-Dioulasso.
À nos jours, quels sont les résultats atteints par le projet ?
De 2020 à 2022, nous avons conduit trois (03) séries d’essais sur trois (03) générations de lignées en serre confinée. Les lignées éditées dans les gènes SWEET se sont révélées résistantes contre la maladie, quelle que soit la nature pathotypique et génotypique des souches de l’agent pathogène existantes au Burkina Faso, et ce, indépendamment du stade phénologique de la plante. Ces mêmes lignées ont été testées en champ confiné à la Vallée du Kou. Du point de vue agronomique, les lignées éditées et leurs parents non édités présentent les mêmes performances agronomiques.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez sur le terrain en termes d’expérimentation scientifique ou de législation ?
La principale difficulté rencontrée était le statut des lignées éditées selon l’Agence Nationale de Biosécurité. Sont-elles des OGM ou non des OGM, bien que les lignées de riz édité ne contiennent pas des transgènes ? Après plus de deux ans d’attente, l’autorisation a été donnée par l’ANB d’évaluer les lignées éditées selon la réglementation en vigueur applicables aux organismes génétiquement modifiés.
Sur le plan sociologique, y a-t-il eu des enquêtes sur les parties prenantes pour savoir si elles adhèrent, vont adhérer ou non ?
Le projet « Lignées éditées de riz » a un objectif purement scientifique dans sa phase actuelle. Il consiste à valider l’efficience de la technologie par l’évaluation des lignées éditées pour ses performances agronomiques et sa résistance à la bactériose vasculaire dans des conditions de confinement. Mais, cela n’exclut pas la visite de nos essais par les chercheurs, les agents d’agriculture et les étudiants.
Quelles sont les perspectives à l’état actuel ?
À court terme, il s’agira de mettre en place des essais multi locaux en champ confiné dans les zones endémiques à la bactériose vasculaire afin de valider la performance agronomique et la résistance à large spectre des lignées éditées.
À moyen terme, il s’agira d’un transfert de technologies à l’INERA qui consistera à 1’utilisation des vecteurs plasmidiques pour générer des transformants et de nouvelles modifications dans les variétés de riz élites locales sensibles à la bactériose vasculaire et à la validation à travers des essais d’évaluation au champ. Ces nouvelles variétés pourront être homologuées pour leurs performances agronomiques et leur résistance à la bactériose vasculaire.
Par ailleurs, la technique d’édition du génome pourra s’élargir à d’autres cultures d’intérêt soit pour améliorer les rendements ou leur résistance aux contraintes biotiques et abiotiques. Toutefois, cela nécessite un renforcement des capacités en ressources humaines, mais également les plateaux techniques de nos laboratoires.
Qu’est-ce que le riz édité va apporter concrètement au plan nutritionnel ?
Le riz édité permet de résister à la bactériose vasculaire qui peut occasionner des pertes de rendement pouvant atteindre jusqu’à 100% en fonction de la variété et de la saison de culture en cas d’épidémie. En outre, le riz édité possède les mêmes performances agronomiques que son parent sauvage. Il possèderait donc les mêmes valeurs nutritionnelles que le parent non édité (en cours de validation).
Pour une telle technologie, quels sont les risques pour la santé humaine ?
L’édition du riz a consisté à modifier très légèrement les sites de liaison des effecteurs TAL (gène de sensibilité) et par conséquent empêcher que la bactérie n’active les gènes en question. La transformation du riz se fait à partir d’un plasmide contenant les constructions CRISPR respectives via Agrobacterium, puis intégré dans la première génération des lignées dites To qui est contre sélectionné. Par ailleurs, après infection des embryons de riz avec Agrobacterium tumefaciens, les souches sont éliminées en utilisant la céfotaxime comme antibiotique. Par conséquent, « les organismes donneurs » ne produisent pas d’autres substances qui soient toxiques ou allergènes pour les animaux ou pour les humains.
À quand la vulgarisation du riz édité ?
Quand la technologie sera validée et que l’INERA, dans son programme d’amélioration et/ou de création variétale, pourra directement utiliser la technique d’édition génomique ou réaliser des croisements entre nos variétés élites locales sensibles et les lignées éditées validées pour leurs performances.
Abrandi Arthur Liliou
Dr Issa Wonni : Faisons plus connaissance avec l'investigateur principal
I.1. Dans la recherche
- Ingénieur de recherche en phytopathologie, du 15 janvier 2013 au 23 mai 2014 ;
- Attaché de recherche en phytopathologie, du 23 mai 2014 au 22 juillet 2015 ;
- Chargé de recherche en phytopathologie, du 22 juillet 2015 au 15 juillet 2019 ;
- Maître de recherche en phytopathologie, du 15 juillet 2019 à nos jours ;
- Directeur de recherche, à partir de juillet 2022.
I.2. Coordination des programmes et projets
- Chef de programme riz et riziculture de l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), de septembre 2017 à juin 2020 ;
- Responsable du laboratoire de bactériologie, INERA Farako Ba, depuis janvier 2019 ;
- Responsable de la plateforme du LMI PathoBios (Observatoire des agents phytopathogènes en Afrique de l’ouest, Biosécurité et Biodiversité, INERA Farako Ba (https://pathobios.com/), depuis janvier 2019 ;
- Coordination du projet Global Rice Array sur la période 2019-2021, pour l’identification de meilleurs génotypes de riz résistants/tolérants aux bioagresseurs pour une diffusion en Afrique de l’ouest ;
- Chef d’équipe de la section de recherche sur les problèmes phytosanitaires du cotonnier au Burkina Faso, depuis juin 2020 ;
- Membre du consortium HEALTHY CROPS (https://www.healthycrops.org/) et Point focal en Afrique de l’ouest du projet « Transformative strategy for controlling rice disease in developing countries Phase II », depuis juin 2018 ;
- Coordinateur du projet FONRID AAP4, N°12 portant sur « Evaluation et diffusion de paquets technologiques efficaces pour la récupération des manguiers affectés par le dépérissement au Burkina Faso », de 2018 à 2020 ;
- Point focal au Burkina Faso du projet EVCOPAR (EVolution of CO-infecting PAthogens in Rice) financé par l’ANR, de juin 2020 au juin 2023 ;
- Chef d’équipe « Gestion Intégrée des Agents pathogènes, GIAP » du Laboratoire Central d’Horticulture au Centre National de Spécialisation en Fruits et Légumes (CNS/FL) depuis 2020 ;
- Membre du Comité d’Analyse des Risques Phytosanitaire :
- Personnes de ressources pour la promotion de la technologie « édition génomique ».
I.3. Fonction administrative actuelle
Directeur Général de l’École Nationale de Formation Agricoles de Matourkou (ENAFA de Matourkou), de juillet 2022 à nos jours.
- Expertises
- Diagnostic des maladies et monitoring des populations pathogènes ;
- Caractérisation des interactions plante-pathogène (Détection, diversité et évolution des agents pathogènes, vecteurs et hôtes alternatifs) ;
- Evaluation des pesticides à large spectre d’action ;
- Identification des agents de lutte biologique (bactéries, champignons) ;
- Identification et évaluation de nouvelles sources de résistance et production de plants sains ;
- Identification et évaluation des meilleures pratiques agroécologiques pour la gestion des maladies ;
- Culture in vitro, transgénèse, édition génomique ;
- Renforcement des capacités des acteurs du développement en protection des végétaux ;
- Formation et encadrement des étudiants (Licence, Master, Doctorat) ;
- Rédaction et évaluation des projets.
- Prix Spécial Jeune Chercheur, première édition du Prix d'Excellence de la Recherche Scientifique au Burkina Faso en 2018 ;
- Prix de la meilleure communication au Forum International pour la Recherche Scientifique et Technologique en 2021, sur l'utilisation sécurisée des biotechnologies modernes ;
- Certificats d'excellence en évaluation de plusieurs revues scientifiques internationales ;
- Attestations de reconnaissances dans le cadre de la collaboration entre l’ENAFA et des partenaires.
Source : CV du Dr Issa Wonni
Le riz édité pour booster la production et la productivité rizicoles au Burkina Faso
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, 2016), le riz (Oryza sp) est la céréale la plus répandue dans le monde après le blé, et représente 20% de la consommation céréalière. La situation mondiale de cette céréale est caractérisée par une production de six cent cinquante (650) millions de tonnes (FAO, 2010). Il est consommé par plus de la moitié de la population mondiale avec près de cinquante (50) millions de consommateurs en Afrique et joue, sur ce continent, un rôle majeur dans l’alimentation des ménages ruraux et urbains. Le riz a pris une place centrale dans les discussions à propos de la sécurité alimentaire depuis la crise de 2008. Cette crise a provoqué le lancement de diverses stratégies visant à mieux soutenir la chaine du riz. L’ensemble des pouvoirs publics d’Afrique de l’Ouest ont adopté, dès lors, des mesures sur le court et le long terme, tant dans le but de maitriser les augmentations des prix pour les consommateurs et d’assurer un approvisionnement permanent des marchés nationaux que pour soutenir la production nationale de riz.1 Ainsi, au Burkina Faso, le kilogramme de riz dans la capitale burkinabè coûte entre 550 et 650 Francs CFA, soit entre 0,93 et 1,10 Dollar $ US. Ce qui n’est pas à la portée de la plupart des ménages aujourd’hui dans ce contexte grandissant d’insécurité alimentaire.
Selon l’Agence Ecofin, le riz représente encore moins de 50% de l’offre céréalière au Burkina Faso à l’heure où, d’après certaines prévisions des autorités, la demande pourrait grimper de 1,5 million de tonnes dès 2025. Toutefois, les observateurs soulignent que la filière a encore une énorme marge de progression.2 Dans le même ordre d’idées, cette étude menée dans le cadre du Projet AgrInvest-Systèmes alimentaires-Evolutions récentes du secteur rizicole au Burkina Faso : Contraintes de développement et opportunités d’investissement privé, avance qu’au niveau national, la demande de riz est estimée à 840000 tonnes par an pour une production nationale moyenne annuelle de 324611 tonnes entre 2010 et 2019. L’accroissement de la production nationale de riz s’est accompagné d’une augmentation de la facture des importations. Ce qui contribue à la détérioration de la balance commerciale globale, avec un impact négatif pour les réserves de change du pays. Pour réduire cette facture d’importation et améliorer la sécurité alimentaire, le gouvernement a encore réaffirmé son engagement à soutenir la filière rizicole, avec un engagement de l’initiative présidentielle « Produire un million de tonnes de riz » en 2020-2021 et l’élaboration de la deuxième phase de la Stratégie nationale de développement de la riziculture (SNDR II 202162030) : Celle-ci vise à atteindre une augmentation de la production de riz à trois (3) millions de tonnes de riz paddy d’ici 2030. Il s’agit de satisfaire la demande en riz du pays et augmenter les revenus des acteurs sur la base d’une production nationale compétitive et durable.
Pour développer et promouvoir des différentes filières agricoles, le riz a été retenu comme filière à part entière au regard de sa position dans la sécurité alimentaire et de la lutte contre la pauvreté. Ainsi, il a été adopté et mis en œuvre une stratégie pour développer la riziculture au Burkina Faso, à travers un plan d’actions de la filière riz depuis les années 2000. Et l’Union nationale des producteurs de riz du Burkina (UNPRB) est un acteur important qui œuvre localement pour le développement de la filière via la production et la transformation du riz. La production annuelle du riz se situe entre trois cent mille (300000) et quatre cent mille (400000) tonnes par an, à entendre Georges Kiénou, président de l’UNPRB. Basé dans le Sourou dans la région du Mouhoun, il a également une usine à Dédougou qui transforme le riz paddy en riz blanc. Côté écoulement de leurs productions, il rassure que la filière n’enregistre pas pour le moment de méventes. Outre la demande enregistrée au niveau national, certains camions venant de certains pays de la sous-région viennent aussi s’approvisionner ; précise-t-il. Et d’ajouter que l’UNPRB compte plus de quatre mille (4000) membres. Elle est présente dans les treize (13) régions du pays et est structurée en coopératives de base, coopératives départementales, provinciales, régionales puis l’UNPRB qui regroupe toutes les autres. Comme, encore, souligne l’UNPRB, cette stratégie vise à l’amélioration du niveau de production et la productivité.4 En cela, le projet du riz édité, qui permet de résister à la bactériose vasculaire, éliminerait une contrainte importance au développement du riz local. Les lignées éditées de riz constitueraient donc une aubaine pour les producteurs pour booster leurs productions. Ce qui permettra de répondre positivement aux objectifs fixés, pour le bien de la chaine du riz et des populations.
Abrandi Arthur Liliou
Sources :
1. 06012020_Mémoire Békanty Kouassi Ange
2. https://www.agenceecofin.com, 19 juillet 2023
3. Koutou M., D’Alessandro., Tondel F., Cortese M.P., Knaepen H., 2021. Projet AgrInvest-Systèmes alimentaires-Evolutions récentes du secteur rizicole au Burkina Faso : Contraintes de développement et opportunités d’investissement privé. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/cb7557fr
4. UNPRB