Introduction
Dans les pays du Nord, pendant la période de l’urbanisme fonctionnel, l’agriculture urbaine était bannie pour des questions d’hygiénisme de la ville. Cette agriculture était rejetée parce qu’elle était problématique pour la santé. Cependant, depuis quelques années, le renouvellement de la conception de l’urbanisme avec l’introduction de la notion de durabilité dans la construction lui accorde désormais une place à part entière dans l’épanouissement des populations urbaines. Cet état de fait est assez récent. Par contre, dans les métropoles du Tiers-monde, cet engouement correspond à une prise de conscience des problèmes qui découlent de la croissance urbaine rapide et au souci de répondre à la crise urbaine et à la paupérisation inquiétante (M. Lavergne, 2004, p. 2). Son intégration repose aussi sur ses fonctions économique, sociale et environnementale (A. Ba et C. Aubry, 2011, p. 8).
Au Burkina Faso, l’agriculture a toujours été présente en ville. Son maintien est lié à sa multifonctionnalité. Dans ce pays, elle est largement dominée par le maraîchage, même si l’horticulture et l’arboriculture sont présentes (M.G.C. Kédowidé, 2011, p. 34). Le maraîchage constitue l’objet de cette étude. Il présente plusieurs profils dont l’Agroécologie (AE) et l’Agriculture Biologique (AB).
Bien que l’agriculture urbaine soit aussi un impensé des politiques (E. Valette et P. Philibert, 2014, p. 76) à Ouagadougou, elle s’est maintenue malgré tout dans la ville. Il est donc important de s’interroger sur les textes et lois qui régissent le maraîchage dans la ville de Ouagadougou.
Cet article est issu d'un article scientifique préalablement publié. Il est intitulé[1] « L’agriculture urbaine à Ouagadougou entre rejet et tolérance : la politique du laisser-faire ».
- Méthodologie
Elle est basée sur une revue de la littérature, dont les documents d’urbanisme et les textes réglementaires en lien avec l’agriculture urbaine. Cette approche a été associée à la géolocalisation et à la collecte des informations descriptives sur les sites de maraîchage conventionnel et biologique entre 2020 et 2021. De même, une collecte de données qualitatives a été réalisée auprès de différents acteurs, dont un architecte urbaniste ayant participé à l’élaboration du code de l’urbanisme, le chargé de projet de l’ONG Manitese et le chargé de mission du Conseil national de l’agriculture biologique (CNABio).
L’étude a été réalisée dans la ville de Ouagadougou (carte 1) en raison de la présence de sites maraîchers.
2. Résultats
De nombreux textes et lois ont été élaborés dans le domaine de l’agriculture urbaine. Mais, certains comme la loi nº 77/60/AN relative à la gestion du domaine foncier, la loi sur la Réorganisation Agraire et Foncière (RAF), celles portant sur le code de l’urbanisme et de la construction et de l’hygiène publique sont défavorables à la pratique de cette activité agricole urbaine. Par contre, d’autres comme le Schéma Directeur d’Aménagement du Grand Ouaga (SDAGO) et un arrêté communal la tolèrent.
2.1. Un arsenal règlementaire en défaveur de la présence de l’agriculture en ville
La toute première loi à exclure l’activité agricole dans les politiques d’aménagement urbaines est la loi nº 77/60/AN du 12 juillet 1960 relative à la gestion du domaine foncier (A.S. Bagré et al., 2002, p. 144). L’interdiction de la pratique de l’agriculture urbaine dans cette loi est généraliste car elle concerne l’échelle du territoire national. En effet, dans son article 3, elle distingue les concessions urbaines de celles rurales. Par conséquent, elle exclut les activités agricoles, car celles-ci relèvent des concessions rurales. Elles ne peuvent donc pas se réaliser en ville.
La Loi nº 034-2012/AN portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) au Burkina Faso a aussi discrédité cette activité agricole dans la ville. Même si la RAF n’évoque pas clairement l’agriculture urbaine. Son article 7 mentionne que « le domaine foncier national est organisé en terres urbaines et en terres rurales ». Son article 8 précise que les terres urbaines sont celles situées dans les limites administratives ou de celles du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme des villes et localités et destinées principalement à l’habitation, au commerce, à l’industrie, à l’artisanat, aux services publics et d’une manière générale aux activités liées à la vie urbaine et aux activités de promotion d’un environnement écologique durable. Son article 9 montre que les activités agricoles ne doivent pas être pratiquées en ville, car elle l’exclut en précisant la destination des terres rurales. Pour l’Article 9, les terres rurales sont l’ensemble des terres destinées aux activités agricoles, pastorales, sylvicoles, fauniques, piscicoles et de conservation, situées dans les limites administratives des communes rurales et des villages rattachés aux communes urbaines. L’agriculture est donc une activité rattachée au milieu rural.
De même, la Loi nº 017-2006 du 18 mai 2006 portant code de l’urbanisme et de la construction exclut les activités agricoles urbaines. En effet, l’article 20 de ce code précise que
« Les zones d’aménagement urbain prévues par les Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme des villes ou localités et par les Plans d’Occupation des Sols font l’objet des opérations d’urbanisme ci-après :
le lotissement ;
la restructuration ;
la rénovation urbaine ;
la restauration immobilière ;
le remembrement urbain. »
L’agriculture est donc absente de l’aménagement urbain. Pourtant, elle participe à la construction urbaine par sa fonction paysagère, récréative et d’embellissement.
Son Article 56 plus spécifique montre que « le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme détermine la destination générale des sols dans le périmètre urbain donné et localise les zones à urbaniser, les zones non urbanisables ou à protéger en raison de leur spécificité et enfin, les grands équipements d’infrastructure ». Certes, elle indique qu’il y a des zones à protéger, mais elle ne donne aucune précision. Dans cette loi, l’agriculture n’est pas incluse dans la ville.
À l’image des autres textes, la Loi nº 022-2005/AN portant code de l’hygiène publique au Burkina Faso qui n’interdit pas implicitement l’agriculture urbaine est adoptée. Ce code n’est pas très précis. L’article 39 du code de l’hygiène publique interdit l’élevage des animaux et l’agriculture en zone urbaine aménagée sauf dans les lieux prévus à cet effet. Tous ces textes sont incomplets par rapport à la gestion urbaine. L’agriculture urbaine participe à la sécurité alimentaire. Mais, elle est prise vaguement en compte dans les politiques urbaines.
Au Cameroun, A. Yemmafouo (2014, p. 8) explique l’interdiction de cette activité par les autorités, car selon elles, elle serait source d’enlaidissement du paysage urbain, de maladies, d’insécurité et de pauvreté, etc. Par contre à Ouagadougou, les autorités dénoncent les problèmes de santé publique liés à la réutilisation, sur des parcelles agricoles, des déchets et des eaux usées (A. Robert et al., 2020, p. 90).
Ces lois sont, cependant, loin de freiner les producteurs qui continuent d’occuper les espaces de plus en plus grands, au cœur de la ville, pour répondre à la demande sans cesse croissante. En effet, à Ouagadougou, les producteurs s’appuient sur une certaine ambiguïté des textes pour se maintenir (O. Ouédraogo et A. Nikiéma, 2023, p. 44).
2.2. Une activité tolérée à l’échelle communale
Le SDAGO a été adopté en 2020-2025 pour pallier les insuffisances de la mise en œuvre du schéma d’aménagement de 1999. L’adoption du SDAGO consacre la légalisation de l’agriculture urbaine (A.S. Bagré et al., 2002, p. 147). Mais, dans la pratique cette légalisation n’est pas effective. Ce nouveau SDAGO devrait résoudre les difficultés à mettre en œuvre et à appliquer le schéma de 1999. L’une des orientations du SDAGO est le développement des activités de production et leur meilleure répartition dans l’espace du Grand Ouaga. Le nouveau schéma prévoit une zone d'agriculture intensive (maraîchage surtout) au sud et autour des retenues et zones humides, même à l'intérieur de la ville.
De même, la délibération communale n° 2018 portant autorisation pour l’aménagement du canal de la zone inondable de l’arrondissement n°11 en pôles économique, maraîcher et agro-sylvicole a autorisé l’aménagement de 10 hectares pour relocaliser les maraîchers déguerpis pour l’aménagement du marigot du Mogho Naba en canal. Du quartier central, où se menaient leurs activités ils se retrouvent dans un quartier périphérique. La décision est salutaire, mais le lieu de relocalisation pose problème. Généralement, les maraîchers résident non loin des sites maraîchers.
Quand bien même, l’agriculture urbaine est tolérée, la question de sa durabilité reste posée par les documents d’urbanisme, documents légaux de mise en place de l’aménagement, qui autorisent la pratique avec des sources d’eaux polluées (O. Ouédraogo et A. Nikiéma, 2023, p. 46).
2.3. L’apparition de nouvelles formes d’agriculture dans les textes réglementaires
La loi no 70-2015/CNT portant loi d’orientation agro-sylvo-pastorale, halieutique et faunique au Burkina Faso dans son article 4 fait la distinction entre les différents types d’agriculture. Ce sont l’agro-écologie, l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle. C’est la toute première loi qui prend en compte l’agriculture conventionnelle[2], l’agroéocologie[3] et l’agriculture biologique[4] (article 4). L’agriculture conventionnelle a été longtemps promue par les politiques de développement et les ONG. Cependant, les problèmes sanitaires, le coût des intrants, l’ouverture des marchés à l’exportation pour les produits biologiques visant une clientèle européenne augmentent l’intérêt pour ces nouveaux modes de production que sont l’AE et l’AB (O. Ouédraogo et A. Nikiéma, 2023, p. 47). Ainsi, l’article 82 énonce que « L’agriculture conventionnelle s’exerce dans le respect de l’environnement. L’État encourage l’agriculture agro-écologique ou l’agro-écologie, y compris l’agriculture biologique en raison de son impact positif sur l’environnement et en collaboration avec les autres acteurs, en assure la promotion à travers entre autres, la fixation de prix rémunérateurs incitatifs ». Ainsi, l’importance de l’agriculture urbaine est reconnue.
Conclusion
D’une manière générale, l’agriculture urbaine n’a pas toujours été en accord avec les documents d’urbanisme. Dans les textes législatifs, elle n’est pas interdite implicitement, car elle est associée au milieu rural, donc ignoré en ville. À Ouagadougou, sa fonction nourricière explique sa présence, son maintien et son expansion.
Des structures comme la FAO, les ONG, les autorités communales luttent pour la survie de cette activité en ville alors que les politiques l’interdissent. Mais, ces dernières années, cette activité connaît un regain d’intérêt de la part des ONG, mais aussi de la commune. L’agriculture urbaine joue un rôle non négligeable dans l’approvisionnement en fruits et légumes des populations urbaines. Ceci contribue sans doute au nouveau regard porté sur l’activité qui se transforme et contribue progressivement à sa reconnaissance dans la ville.
OUEDRAOGO Odette1, NIKIEMA2 Aude
1- Géographe, Attaché de Recherche, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) / Institut des Sciences des Sociétés (INSS), (Ouagadougou Burkina Faso) ouedetta@yahoo.fr
2- Géographe, Maître de Recherche, CNRST / INSS, (Ouagadougou Burkina Faso)
Bibliographie
BA Awa et AUBRY Christine, 2011. Diversité et durabilité de l’agriculture urbaine : une nécessaire adaptation des concepts ? Norois, nº 221, pp.11‑24.
BAGRÉ A S, KIENTGA M, CISSÉ G et TANNER M, 2002. Processus de reconnaissance et de légalisation de l’agriculture urbaine à Ouagadougou : de la légitimation a la légalisation, Actes du colloque international, Centre Suisse du 27-29 Août 2001, nºspécial, pp. 139-148
KÉDOWIDÉ, Mevo Guezo Conchita G, 2011. SIG et analyse multicritère pour l’aide à la décision en agriculture urbaine dans les pays en développement, cas de Ouagadougou au Burkina Faso. Thèse, Paris 8 Vincennes-Saint Denis et UPB, 301p.
LAVERGNE, Marc, 2004. L’agriculture urbaine dans le bassin méditerranéen, une réalité ancienne à l’heure du renouveau, 14p.
OUEDRAOGO Odette et NIKIEMA, Aude, 2023. L’agriculture urbaine à Ouagadougou entre rejet et tolérance : la politique du laisser-faire. Dans les agricultures urbaines en Afrique subsaharienne francophone et à Madagascar, édition Presses Universitaires du Midi, pp. 37‑51
ROBERT Amélie, YENGUÉ Jean Louis, AUGIS Fanny, MOTELICA-HEINO Mikael, HIEN Edmond et SANOU Alain, 2020. L’agriculture urbaine à Ouagadougou (Burkina Faso),tiraillée entre le désir des citadins et l’action publique. e. Risco: Revista de Pesquisa em Arquitetura e Urbanismo, Universidade de São Paulo, 2020, Nature and City, nº8, pp. 80‑93.
VALETTE Elodie et PHILIBERT Pascale, 2014. L’agriculture urbaine : un impensé des politiques publiques marocaines ? Géocarrefour, Vol 89 nº1-2, pp. 75‑83.
YEMMAFOUO Aristide, 2014. L’agriculture urbaine camerounaise. Au-delà des procès, un modèle socioculturel à intégrer dans l’aménagement urbain. Géocarrefour, Vol 89 nº1-2, 17p.
[1] OUEDRAOGO Odette et NIKIEMA, Aude, 2023. L’agriculture urbaine à Ouagadougou entre rejet et tolérance : la politique du laisser-faire. Dans Les agricultures urbaines en Afrique subsaharienne francophone et à Madagascar, édition Presses Universitaires du Midi, pp. 37‑51.
[2] Agriculture conventionnelle : agriculture intensive avec utilisation de produits chimiques dans la lutte contre les maladies et les ravageurs des cultures ;
[3] Agriculture agro-écologique ou agro-écologie : forme d’agriculture, incluant l’agriculture biologique, qui combine le développement agricole et la protection/régénération de l’environnement naturel et met l'accent sur l'équilibre durable du système sol-culture, ce qui permet une réduction des apports de produits chimiques à long terme
[4] Agriculture biologique : système holistique de gestion de production qui favorise et met en valeur la santé de l'agro-écosystème, y compris la biodiversité, les cycles biologiques et l'activité biologique des sols. Elle met en avant l'utilisation de pratiques naturelles de gestion des productions agricoles excluant l'utilisation d'intrants chimiques de synthèse comme les engrais, les pesticides et des organismes génétiquement modifiés