Le Forum ouvert sur la biotechnologie agricole (OFAB), section du Burkina Faso, a organisé un atelier de formation au profit de magistrats le mardi 19 novembre 2024 au Centre Yeelba à Ziniaré. Cette rencontre, présidée par le directeur adjoint de l’Institut de l’Environnement et de Recherches agricoles (INERA), Dr Blaise Ouédraogo, a consisté à informer et à fournir aux hommes de droit des éléments nécessaires pour une meilleure compréhension des enjeux et des impacts des biotechnologies agricoles, afin de leur permettre de prendre des décisions éclairées en cas de besoins.
Au total 10 magistrats venus de Ouagadougou, de Bobo-Dioulasso, de Koudougou, de Dédougou et de Ziniaré ont pu se familiariser aux biotechnologies agricoles. Le point de focal de OFAB Burkina Faso, Dr Hamadou Sidibé, dans son mot de bienvenue, a souligné l’importance de la journée de communication sur les biotechnologies à l’endroit des magistrats. Il a relevé que la biotechnologie agricole est un domaine en expansion qui offre des solutions potentielles pour améliorer la productivité agricole, renforcer la sécurité alimentaire et affronter les défis environnementaux et sanitaires en Afrique. Dans ce contexte, il est important d’assurer une bonne compréhension des enjeux juridiques, éthiques, environnementaux et sanitaires associés aux biotechnologies, en particulier pour les magistrats, dont le rôle est de veiller au respect de la législation et de la protection des droits des citoyens. De ce fait, a-t-il poursuivi, les magistrats jouent un rôle clé dans la régulation et la gestion des conflits liés aux nouvelles technologies, dont les biotechnologies agricoles.
Quant au directeur adjoint de l’INERA, il embouchera la même trompète en indiquant que cette journée d’immersion vise à renforcer les capacités des magistrats burkinabè pour qu’ils puissent appréhender et traiter efficacement les questions juridiques liées aux biotechnologies agricoles. De manière spécifique, le présent atelier permettra de sensibiliser les magistrats aux principes de base des biotechnologies agricoles et leurs applications pratiques ; de présenter les cadres juridiques nationaux et internationaux relatifs aux biotechnologies ; les enjeux éthiques et les implications légales de la gestion des organismes génétiquement modifiés (OGM) et des autres produits issus des biotechnologies ; d’expliquer les impacts potentiels des biotechnologies agricoles sur la sécurité alimentaire, l'environnement et la santé publique ; de présenter la foreuse de gousses, Maruca vitrata, l’objet de la modification génétique du niébé au Burkina Faso ; de créer un espace de dialogue entre experts en biotechnologie et les acteurs juridiques afin de renforcer la collaboration.
Plusieurs communications ont donc été livrées par des experts.
La première a porté sur « La foreuse de gousses, Maruca vitrata, l’objet de la modification génétique du niébé ».
L’honneur est revenu au Dr Fousseni Traoré, entomologiste, par ailleurs, chef du Département productions végétales de l’INERA, de faire ressortir les caractéristiques et les conséquences de l’action dévastatrice du ravageur Maruca Vitrata dans les champs de niébé qui peut provoquer une perte de rendement de 20 à 80% de récoltes. La perte peut être totale c’est-à-dire aucune récolte en fin de saison. Le spécialiste des insectes a mentionné que les luttes chimique et biologique n’ont pas permis de contrôler efficacement Maruca Vitrata, sans oublier aussi que l’utilisation des pesticides représente un danger sur la santé de l’homme et de l’animal. Le projet niébé Bt, a dit Dr Traoré, débuté en 2011 au niveau de la station de recherche de Farako-ba (Bobo), a consisté, par la transgénèse, à insérer les gènes Cry1Ab et Cry2Ab dans le niébé lui permettant de lutter efficacement contre le ravageur.
Le directeur du Laboratoire national de biosécurité, Dr Moustapha Koala, articulera sa présentation sur « Définition des biotechnologies agricoles, explication des types (OGM, édition génétique), exemples d'applications en Afrique ».
Il partira des biotechnologies classiques qui permettaient à l’homme depuis des millénaires à fabriquer le pain, les fromages et bien d’autres d’aboutir après plusieurs inventions et découvertes d’aboutir à la biotechnologie moderne. Avec la découverte de l’ADN, les technologies émergentes (OGM ; édition génomique) sont aujourd’hui des opportunités énormes pour opérer des prouesses dans plusieurs domaines (santé, agriculture, etc.).
La troisième communication, animée par la Directrice de la Réglementation et de l’Inspection et du Contentieux de l’Agence nationale de biosécurité (ANB), Mounyratou Rabo, a consisté en une présentation des lois sur les OGM et les biotechnologies, contexte international (Protocole de Cartagena) intitulée : Cadre juridique et réglementaire en matière de biosécurité.
Selon elle, les biotechnologies modernes offrent des possibilités de modifier des organismes vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services en franchissant les barrières naturelles de reproduction. Il y a donc nécessité de mettre en place des mesures de biosécurité pour s’assurer de l’utilisation sans danger de cette biotechnologie. Elle a donc défini la biosécurité comme l’ensemble des mesures (cadre politique, règlementation, et gestion) pour contrôler les risques potentiels (risques non avérés) liés à l’utilisation des biotechnologies. En résumé, on retiendra qu’au niveau du Pays des hommes intègres, l’ANB est l’autorité compétente pour gérer tout ce qui est lié aux organismes génétiquement modifiés (OGM) et ses produits dérivés. Le Burkina Faso dispose d’une loi (064-2012/AN portant régime de sécurité en matière de biotechnologie) qui règlemente les biotechnologies modernes. Au niveau régional, un mécanisme de règlementation existe également. Il s’agit du Règlement régional C/REG. 04/09/2020 relatif à la prévention des risques biotechnologiques. Adopté le 05 septembre 2020 et entré en vigueur depuis septembre 2023, il règlemente l’utilisation des OVM (organismes vivants modifiés) dans les 17 pays (CEDEAO, UEMOA et CILSS). Il est constitué de 16 Règlements d’exécution et un manuel de procédure d’évaluation et de gestion des risques.
Le doyen Dr Tinga Jeremy Ouédraogo, ancien directeur de AUDA NEPAD s’est entretenu avec les participants sur le thème : Impacts potentiels des biotechnologies sur la biodiversité, la santé humaine et l’environnement. Discussion sur les évaluations de risques.
La biodiversité est essentielle, notamment à la vie humaine, car elle est source d’aliments, de médicaments et de matières premières industrielles.
Toutefois, certaines activités humaines, comme les pratiques agricoles traditionnelles ou celles associées aux cultures génétiquement modifiées (GM), pourraient menacer cette diversité biologique. Et pour cause, a déploré Dr Tinga Jeremy Ouédraogo, il existe des technologies qui permettent de provoquer l’élimination d’espèces entières dans des zones déterminées.
Il n’a pas manqué aussi de citer une panoplie d’avantages des OGM. Même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que les aliments avec OGM présentent les mêmes risques pour la santé que les aliments classiques, la Convention internationale et Protocoles sur la protection de la biodiversité, l’environnement et la santé tout en exploitant les potentialités des biotechnologies constitue une réalité non négligeable.
La Convention sur la diversité biologique (CDB) est un traité international juridiquement contraignant qui a trois principaux objectifs à savoir la conservation de la diversité biologique ; l'utilisation durable de la diversité biologique et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques. Il a échangé avec les magistrats sur l’évaluation des risques qui prend en compte le risque en biotechnologie, le protocole de Cartagena et les systèmes nationaux de biosécurité.
On peut retenir que l’évaluation des risques est un processus scientifique qui fait appel aux meilleures connaissances et expériences les plus récentes.
En dépit de tout l’arsenal juridique mis en place, des cas de poursuites judiciaires ont été enregistrés en Amérique: USA, Canada ; en Afrique notamment au Kenya, au Nigeria et au Ghana. Au Kenya, on a assisté à une interdiction d’importation de produits OGM depuis plus de 12 ans et à une levée en 2024 ; il y a eu aussi une interdiction de production également levée en 2024. Au Nigeria, ce fut une poursuite pour non-observation des dispositions de la loi disposant pour la dissémination dans l’environnement du coton Bt et du niébé résistant aux insectes foreurs des gousses. Le verdict du jugement a été favorable à l’autorité nationale de biosécurité en 2023. Quant au Ghana, il s’est agi d’une poursuite pour non-observation des dispositions de la loi disposant pour la dissémination dans l’environnement du niébé résistant aux insectes foreurs des gousses. L’autorité nationale de biosécurité a gagné le procès en 2024. L’Agence de Développement de l’Union Africaine (AUDA-NEPAD) et la Fondation Africaine de Technologies Agricoles (AATF) ont mis en place des réseaux de juristes pour une meilleure prise ne charge des questions de biotechnologie et de Biosécurité. A ce jour, 4 magistrats burkinabè ont pu bénéficier de renforcement de capacités en Afrique du Sud et au Kenya. Le juge Alexandre Ilboudo, un des bénéficiaires de la rencontre de Mombassa au Kenya a fait un compte-rendu très apprécié par les autres participants de la journée de communication à Ziniaré.
En termes de recommandations, le doyen Jeremy T. Ouédraogo a souhaité une exposition des juristes à des cas pratiques et visites. « Nous devons également veiller à inclure des juristes dans les délégations pour les Conférences des parties à la CDB et ses protocoles, à faciliter la participation des juristes aux activités des réseaux africains », a-t-il plaidé.
Cyr Payim Ouédraogo