IL FAUT PROTÉGER LES ENFANTS DÉPLACÉS INTERNES CONTRE LES VIOLENCES

Submitted by RedacteurenChef on Sun 24/11/2024 - 08:04
IL FAUT PROTÉGER LES ENFANTS DÉPLACÉS INTERNES CONTRE LES VIOLENCES

Introduction

Les populations du Burkina Faso sont confrontées depuis une décennie à une crise sécuritaire sans précédent, marquée par des attaques terroristes. Les effets néfastes de cette situation sont le déplacement massif des populations de ces régions vers des localités moins touchées. Selon le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR), les enfants représentent plus de 58% des personnes déplacées internes (CONASUR, 2023). 

Ces déplacements forcés exposent les enfants à différentes formes de violence. On ne peut parler de violences à l’encontre des enfants sans faire référence aux notions de maltraitance. La maltraitance est définie comme étant toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou d’exploitation commerciale infligés aux enfants. On peut distinguer quatre grands types de violences : la violence physique, la violence sexuelle, la violence psychologique, la violence émotionnelle et la négligence (ISSP, 2018 ; OMS, 2022). 

Cet article, dont l’objectif est d’analyser les violences dont sont victimes les enfants déplacés internes, est tiré d’une publication scientifique sur le sujet dans la revue AKIRI (https://revue.akiri-uao.org/).

  1. Méthodologie de l’étude

Pour cette recherche, nous avons élaboré un questionnaire et des guides d’entretien. Les données ont été collectées principalement auprès des enfants déplacés internes et des acteurs de la protection de l’enfance à travers des entretiens individuels et des focus group. Les zones géographiques concernées par l’étude sont Ouagadougou et Bobo Dioulasso qui sont parmi les villes qui accueillent une part non négligeable d’enfants déplacés internes. Les entretiens ont eu lieu avec plus de 300 enfants et ont permis de recueillir les informations nécessaires à la compréhension des différents types de violences.

2. Résultats

 2.1. Perceptions du sentiment de sécurité chez les enfants déplacés internes

La problématique de la violence faite aux enfants est une question complexe multidimensionnelle. Parmi les enfants enquêtés, seuls 37,5% estiment être en sécurité. Les causes de ce sentiment d’insécurité sont les violences physiques, les violences psychologiques, les accidents de la circulation, les vols, etc.

Figure 1 : Perceptions du sentiment de sécurité chez les enfants

2.2. Les types de violences subies par les enfants dans les villes d’accueil

Obligés de suivre leurs parents en fuite pour échapper à la terreur des groupes armés terroristes, les enfants subissent des violences physiques et psychologiques dans les villes qui les accueillent. En effet, 28% des EDI (26,3% pour les garçons et 31,6% pour les filles) ont vécu au moins une violence physique. Selon la ville de résidence, les résultats montrent qu’elle est plus élevée chez les EDI vivant à Ouagadougou (37,1%) par rapport à Bobo Dioulasso (19,6%). Contrairement à la violence physique, la violence psychologique occasionne des effets profonds et durables sur les enfants. A cet effet, les résultats indiquent la prévalence de la violence psychologique est plus élevée chez les garçons (54%) que chez les filles (40,8%). Selon la classe d’âge des enfants, on note une prévalence assez importante des violences physiques faites aux EDI de moins de 10 ans (44,7%) comparativement aux autres tranches d’âges : 28,5% chez les EDI âgées de10 à 14 ans et 16,9% chez ceux âgés de 15 à 17 ans.

Tableau 1 : Prévalence de la violence physique faite aux EDI selon la classe d’âge du répondant

2.2.1. Prévalence de la violence psychologique faite aux EDI selon le sexe

L’analyse des résultats montre qu’environ la moitié des EDI (49,7%) enquêtés déclarent avoir été victime de violence psychologique durant les 12 mois qui ont précédé l’enquête. Les résultats indiquent que la variable sexe est significativement associé à la violence psychologique chez ces enfants. En effet, la prévalence de la violence psychologique faite aux EDI est significativement plus élevée chez les garçons (54%) que chez les filles (40,8%).

2.3. Les types de violences subies par les enfants dans leurs localités d’origine

Dans leurs localités d’origine, les circonstances des départs vers les centres urbains sont souvent douloureuses et faites de violences à la fois physiques et psychologiques. Le récit de Souleymane, 15 ans, originaire de Pobe Mingao (localité de la région du Sahel) en dit long : « C’était vers 5h du matin que de gens sont rentrés dans le village et ont commencé à tirer et à brûler les cases. On n'entendait des coups de fusil de partout et les gens criaient et fuyaient pour se cacher. Je ne savais pas où était le reste de ma famille. On s'est perdu de vu. »

2.4. L’urgence d’agir pour les enfants déplacés internes

Les personnes déplacées internes en général sont confrontées à toutes sortes de problème de protection, en particulier les garçons et les jeunes filles. Une fille déplacée interne dit ceci : 

« Actuellement je ne travaille pas. Pendant 09 mois, nous avons travaillé sans rien recevoir. Actuellement, ce sont mes mamans qui sortent pour laver les habits dans les ménages pour qu’on gagne à manger. Nous avons besoin d’aide à tous les niveaux. Je demande aux autorités du pays de nous soutenir car en ville c’est très compliqué » (Ramatou, 15 ans, Ouagadougou).

L’incapacité professionnelle expose les jeunes filles à des pratiques malsaines dans les villes d’accueil. Toutefois, certains EDI bénéficient des filets d’entraide provenant de la population hôte comme le dit cet interviewé : « Grâce au chef du quartier, on a eu un logement. C'est une maison d’une seule pièce. On était nombreux ; donc mes oncles sont allés ailleurs. La maison est petite ; nous sommes dix, on dort les uns sur les autres » (Bernard, 15 ans, Bobo Dioulasso).

Conclusion

Cette recherche a permis d’analyser les violences dont sont victimes les Enfants déplacés internes (EDI) dans les villes de Ouagadougou et Bobo Dioulasso en lien avec la crise sécuritaire au Burkina Faso. Même si la problématique de la violence faites aux enfants n’est pas nouvelle, l’analyse du phénomène demeure pertinente et d’actualité dans le contexte Burkinabè marqué par les violences perpétrées par les groupes terroristes et qui n’épargnent pas les enfants. Les atrocités dans leurs villages et l’hostilité de l’environnement urbain qui les accueille, les exposent à des violences physiques et psychologiques qui nécessitent une prise en charge efficace des acteurs de la protection de l’enfant dans le pays.

Dr Siaka GNESSI 

 Sociologue Chercheur / CNRST

Ouagadougou, Burkina Faso

gnessisiaka@gmail.com

Références bibliographiques

BONNET Doris et DE SUREMAIN Charles-Édouard, avril-mai-juin 2008, « Quelle place pour l'anthropologie de l'enfance dans le développement ? », Sciences au Sud, n° 44, pp. 16-16.

DELAUNAY Valérie, 2009 « Abandon et prise en charge des enfants en Afrique : une problématique centrale pour la protection de l'enfant », Mondes en développement, n° 146, pp. 33-46.

DEGBELO Amélie, 2000, « Concepts historiques et actuels relatifs aux mauvais traitements en Afrique », in AGOSSOU Thérèse (sous la dir. de), Regards d’Afrique sur la maltraitance, Paris, Karthala, pp. 45-50.

GNESSI Siaka, Octobre 2024 « Contexte de crise sécuritaire et violences faites aux enfants au Burkina Faso », AKIRI, Numéro 008, pp. 713-725.

Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR), 2023, Ouagadougou, Rapports périodiques

Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Violence à l’encontre des enfants, 2022, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/violence-against-children, consulté le 15 août 2024.

Ministère de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire (MFSNFAH), 2018, Rapport final de l’Etude nationale sur les violences faites aux enfants au Burkina Faso, Ouagadougou, ISSP.