Introduction
Le Burkina Faso est confronté depuis janvier 2015 à une recrudescence de la violence due aux attaques des groupes armés terroristes et aux conflits intercommunautaires. Cette situation a entrainé le déplacement massif des populations dont de nombreux enfants vers les centres urbains où elles sont accueillies dans des familles et des sites d’accueil et même par la rue. L’effectif de ces populations déplacées connues sous l’expression « Personnes Déplacées Internes » (PDI), n’a cessé d’augmenter, avec plus de 2 millions de personnes. (CONQSUR, 2023). Le recensement des enfants et jeunes en situation de rue en 2016 dans le pays a comptabilisé 9 313 dont 7 564 garçons et 1749 filles. Les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso sont les plus touchées et comptent respectivement 2 329 et 1 302 enfants et jeunes dans la rue (REJSR, 2017). Ces données statistiques sur les enfants et jeunes en situation de rue mettent en évidence le caractère urbain et semi-urbain du phénomène. L’avènement du terrorisme a aggravé cette situation à travers le déplacement des populations dont de nombreux enfants, fuyant les localités rurales vers les villes à cause des massacres des groupes terroristes. Même si le Ministère en charge de l’Action humanitaire ne dispose pas pour l’instant de chiffres officiels sur le nombre d’enfants déplacées internes en situation de rue, de nombreux enfants, forcés à se déplacer, sont obligés de fréquenter les rues à la recherche de quoi satisfaire leurs besoins quotidiens essentiels. Ces déplacements forcés provoquent des situations de vulnérabilité et de souffrances chez ces enfants victimes de terrorisme et nécessitent des interventions appropriées. L’objectif de cette étude a été d’analyser la situation et les besoins de ces enfants, en rapport avec la crise sécuritaire et les vulnérabilités qu’elle engendre.
Ce document de vulgarisation est tiré des résultats d’une étude socio anthropologique sur les enfants déplacés internes en situation de rue, et qui a fait l’objet d’un article scientifique publié dans la Revue DJIBOUL (http://djiboul.org/).
Cette étude s’est basée sur une approche participative. Le dispositif méthodologique a consisté en une revue documentaire et a utilisé les « méthodes mixtes » : les techniques qualitatives et quantitatives. Les enquêtes se sont déroulées auprès des enfants déplacés internes (EDI) en situation de rue, des acteurs de prise en charge de ces enfants (personnels en charge de l’action humanitaire et de la protection de l’enfant, les responsables d’associations et ONG, les parents des enfants) et d’autres informateurs clés. Ainsi, 315 enfants ont été enquêtés en 2024 à Ouagadougou et Bobo Dioulasso en utilisant un questionnaire, des guides d’entretiens individuels et de groupes. Une dizaine de personnes de ressources a été également enquêtée. Ces enquêtes ont permis de disposer d’informations quantitatives et qualitatives afin de mieux analyser le phénomène.
2. Résultats
2.1. Les enfants déplacés internes (EDI)
A la date du 31 mars 2023, sur les 2 062 534 de personnes déplacées internes identifiés selon les données publiées par le SP-CONASUR, 58,50% d’enfants sont dénombrés dont 85,28% (1 029 014) âgés de 0-14 ans. Cette frange de la population se trouve confrontées aux problèmes d’abandon scolaire, de privation de famille, de traite d’enfants, de mendicité, de consommation de stupéfiants et d’absence de perspectives sociales et économiques.
2.2. Les enfants déplacés internes (EDI) qui fréquentent la rue
En vue de constater l’ampleur et l’intensité du phénomène des enfants en situation de rue exacerbé par la crise sécuritaire et humanitaire, des équipes d’intervention en rue du Ministère en charge de l’action humanitaire ont mené des séances de sensibilisation en mars 2023 au profit de 7 311 personnes en situation de mendicité dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso dont 4 342 déplacées internes (PDI) mendiantes. Parmi ces dernières, les données montrent que le phénomène touche beaucoup plus les enfants. En effet, 65,66% des PDI en situation de mendicité soit 2/3 sont des enfants, contre 32,27% de femmes et seulement 2,07% d'hommes.
Les enfants en situation de rue, déplacés internes ou pas, cumulent plusieurs types de vulnérabilités dont la principale, celle qui les pousse effectivement dans la rue, demeure la perte de la prise en charge familiale. L’UNICEF va dans le même sens en soutenant que le phénomène désigne les enfants en rupture partielle ou totale avec leur milieu familial.
2.3. Profils des enfants enquêtés
Dans le cadre de cette recherche, les enfants déplacés internes (EDI) enquêtés ont en moyenne 13 ans et sont majoritairement composés de garçons (66,9%). Parmi les répondants, 74 % n’ont pas encore 15 ans révolus. Globalement, 40,5 % des EDI interrogés ne savaient ni lire et écrire tandis que 26,7% des répondants affirment avoir suivi des enseignements coraniques. Seulement, 31,8% des EDI enquêtés ont été scolarisés dans une école classique avant de rejoindre la rue.
Graphique : Répartition (%) des EDI par sexe selon le groupe d’âge
2.4. Provenance des EDI
Les EDI interrogés dans la ville de Ouagadougou proviennent majoritairement des régions les plus touchées par la crise sécuritaire à savoir : les régions du Sahel (62,9%), du Nord (14,7%), et du Centre-Nord (12,6%). Lors de ces déplacements, 14% des EDI rencontrés dans la ville de Ouagadougou affirment être séparés de leurs familles. Par ailleurs, les EDI interrogés dans la ville de Bobo Dioulasso sont originaires majoritairement des régions des Hauts-Bassins (45,1%) et des deux régions environnantes les plus touchées par la crise sécuritaire à savoir : la Boucle du Mouhoun (17%) et les Cascades (13,1%).
2.5. Raisons des déplacements internes
Il ressort de cette étude que les attaques des groupes armés constituent la principale cause (86,5%) du déplacement. On note cependant qu’un nombre non négligeable d’EDI a été contraints d’effectuer des déplacements préventifs, de peur d’une éventuelle attaque terroriste. Cela concerne environ 8,8% des EDI enquêtés.
2.6. Avec qui les EDI vivent-ils ?
36,1% des EDI rencontrés vivent avec leurs parents, soit 33,4% chez un maître coranique, et 18,9% dans des familles d'accueil. Dans des proportions inférieures, les enfants ont évoqué les centres d'accueil (9,1%) ou les habitats précaires comme les bâtiments abandonnés (2%).
2.7. Les conditions de vie des EDI en situation de rue
Les nouvelles conditions dans lesquelles les enfants déplacés internes sont obligés de vivre ne sont pas faciles pour eux. Les EDI en situation de rue exprime des besoins spécifiques liés à leur nouveau statut. Nouveau statut parce qu’avant de fuir les attaques terroristes, certains étaient des élèves, d’autres en activités avec leurs parents. Les EDI rencontrent des difficultés pour se loger, s’éduquer, se nourrir et se vêtir convenablement. C’est ce qui ressort des entretiens que nous avons réalisés avec eux. KS a 14 ans et fréquente les rues de Ouagadougou. Il dit ceci :
« Actuellement, j'ai besoin de logement acceptable. Nous dormons à même le sol, mes frères et moi. Nous n'avons pas assez de nattes ni de couverture pour se couvrir. Il n'y a pas assez de place pour tout le monde. Mon père reste toujours dehors aux claires de lune. Quand il pleut, l'eau rentre dans la maison, on ne peut plus dormir, il faut attendre la fin de la pluie pour nettoyer, avant de pouvoir se coucher. Ensuite, la nourriture, nous mangeons mais on n’est jamais rassasié. On calme juste notre faim pour pouvoir sortir. Mon troisième besoin c'est l'école, la formation. J'ai besoin aussi de formation parce que je veux apprendre la mécanique et travailler au plus vite pour aider mes parents. J'ai besoin aussi d'être pris en charge par le dispensaire quand je suis malade » (K.S, 14 ans, Ouagadougou).
Cette situation de vulnérabilité qui caractérise les enfants déplacés internes qui fréquentent la rue nécessite une intervention des acteurs de la protection pour contribuer au respect des droits fondamentaux des enfants en contexte de crise.
Conclusion
Cette recherche a permis d’analyser la situation des enfants déplacés internes (EDI) qui fréquentent les rues de Ouagadougou et Bobo Dioulasso à cause du terrorisme qui les a obligés à fuir leurs localités. La problématique des enfants de la rue n’est pas nouvelle mais les conséquences négatives du terrorisme, notamment les déplacements forcés des populations dans les centres urbains, ont donné un nouveau visage au phénomène. Les enfants déplacés internes qui fréquentent la rue mènent une vie difficile. Il est fondamental que les acteurs de la protection de l’enfant renforcent leurs actions et interventions en direction de ce groupe vulnérable.
Dr Siaka GNESSI, Chercheur, CNRST / Ouagadougou
Références bibliographiques
GNESSI Siaka, 2024 « Crise sécuritaire et vulnérabilité au Burkina Faso : analyse de la situation et des besoins des enfants déplacés internes (EDI) dans la rue à Ouagadougou et Bobo Dioulasso », JIBOUL, Numéro 007, Volume 4, pp. 99-112.
FERRÉOL Gilles (sous la dir. de), 2014, Risque et vulnérabilité, Bruxelles, EME
OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre, 2021, La revanche des contextes. Des mésaventures en ingénierie sociale en Afrique et au-delà, Paris, Karthala, « Hommes et sociétés ».
MASSSN, Aout 2017, Recensement des enfants et jeunes en situation de rue dans les 49 communes urbaines du Burkina Faso (REJSR), monographie nationale.