Introduction
Le terrorisme, qui a vu le jour il y a bientôt une décennie au Burkina Faso, a engendré une crise sécuritaire et humanitaire. Les conséquences sont les déplacements forcés des populations des zonées touchées qui quittent leurs localités vers les villes. Certaines sont accueillies et prises en charge par l’Etat dans des Centres tandis que d’autres vivent dans les quartiers périphériques des villes comme Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Parmi ces populations déplacées il y a de nombreux enfants. Dans ces deux villes, nous avons mené une étude pour comprendre les conditions dans lesquelles ces enfants déplacées internes (EDI) vivent.
Si certains enfants déplacés sont pris en charge par l’Etat avec leurs familles dans des Centres d’accueil, ce n’est pas le cas pour d’autres enfants qui sont obligés de se débrouiller pour survivre en faisant de petits travaux dans leurs villes d’accueil.
Ce document de vulgarisation est tiré d’un article scientifique que nous avons publié dans la Revue JIBOUL (http://djiboul.org/) à partir des résultats de l’étude que nous avons menée sur le sujet. L’objectif de cet article est d’évoquer les situations d’exploitations dont sont victimes certains enfants déplacés internes.
Des entretiens individuels et en groupe ont été organisés à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou. Ces échanges ont eu lieu avec des enfants déplacés internes (EDI) dans la rue, des acteurs de prise en charge de ces enfants (personnels en charge de l’action humanitaire et de la protection de l’enfant, les responsables d’associations et ONG, les parents des enfants) et d’autres informateurs clés. Ce sont des guides d’entretiens individuels et un questionnaire qui ont été utilisés pour recueillir les informations auprès de toutes ces personnes dont le nombre s’élève à 320.
2. Résultats
2.1. Caractéristique des enfants déplacés internes (EDI)
En moyenne, les enfants déplacées internes (EDI) qui fréquent la rue ont 13 ans et sont majoritairement composé de garçons (66,9%). Parmi les enquêtés, 74 % n’ont pas encore 15 ans révolus. Globalement, 40,5 % des EDI interrogés ne savaient ni lire et écrire tandis que 26,7% d’entre eux affirment avoir suivi des enseignements coraniques. Seulement, 31,8% des EDI enquêtés ont été scolarisés dans une école classique avant de quitter leurs localités d’origine.
2.2. Raisons de la présence des EDI dans la rue
La première raison de la fréquentation de la rue par les EDI est liée à la question de survie. En effet, 67,9% des EDI enquêtés, c’est-à-dire plus de deux EDI sur trois, déclarent être dans la rue pour subvenir à leurs propres besoins et 39,9% d’entre eux affirment être dans la rue dans l’espoir d’avoir à manger. Les autres raisons principales citées sont essentiellement : à la demande des parents/ tuteurs (16,2%) et avoir de revenus supplémentaires pour la famille (9,8%).
Graphique 1 : Raisons de la présence des EDI dans la rue
2.3. Occupations des EDI en situation de rue
Le phénomène des EDI dans les rues est le résultat d'une combinaison de facteurs structurels, économiques, sociaux et sécuritaires qui compromettent le bien-être et la sécurité des enfants touchés par les déplacements internes. Selon les données collectées, les 3/4 des EDI en situation de rue ont comme principale occupation la mendicité (76%). Cette proportion est de 82,8% pour les garçons et 62,2% pour les filles. Le quart restant des EDI enquêtés exercent couramment des petits métiers comme le commerce/colportage (vente de produits dans la rue…), les travaux manuels (cireur de chaussure, mécanique, menuiserie, vente de produits artisanaux ...), la collecte de matériaux recyclables (batterie, plastique, le carton ou le métal...) et les travaux domestiques (lavage de voitures, le nettoyage des maisons ...).
Graphique 2 : Répartition des EDI selon l’occupation
Les propos de ce chef de famille confirment cette réalité :
« Nous sommes arrivés à Ouaga sans rien. On n’avait pas d’argent ni de vivres. Tout est resté au village, de même que nos animaux. On était oblige de dire aux enfants d’aller chercher de petits travaux pour avoir quelque chose à manger. Nous les adultes on peut supporter la faim, mais les enfants c’est très dur. Quand les enfants sortent, certains trouvent des petits boulots, d’autres n’en trouvent pas et s’adonnent à la mendicité » (Seydou, Ouagadougou, quartier Bassinko).
« Quand on est arrivé, j'ai commencé à chercher du travail partout. Quelqu'un m'a embauché pour l'aider à vendre les vêtements dans sa boutique. J'ai fait ce travail pendant neuf mois, je travaillais du matin au soir. Après j'ai laissé ce travail. J'ai eu un autre travail à Nonsin, là-bas je grillais les brochettes pour vendre. J'ai fait deux mois avec lui aussi. Il m'a renvoyé car ça ne marchait pas bien. Donc je suis revenu sur le site et je me promène pour chercher le travail de manœuvre avec les maçons comme le quartier est en construction, dès fois je gagne des petits contrats de manœuvre que je fais actuellement mais ce n'est pas fréquent. C'est comme ça que je me débrouille » (KS, 17 ans, Ouagadougou).
2.4. L’exploitation de la souffrance des enfants…
En plus de ces conditions difficiles, de nombreux enfants sont victimes d’exploitation de la part des adultes, censés les aider à réduire leurs souffrances. Ils exploitent la misère des enfants en leurs soumettant à des travaux qu’ils ne rémunèrent jamais.
« Quand on est arrivé nouvellement, je travaillais comme aide-ménagère dans une famille pour subvenir à mes besoins. J'y ai fait quatre mois et je n'ai pas été payé. J'ai quitté là-bas pour aller ailleurs, j'y ai fait trois toujours sans être payé. Depuis lors ma mère a dit de quitter et de venir l'aider à la maison. Mais depuis quelques jours je me promène pour laver les habits dans les domiciles » (S.O, 15 ans, Bobo-Dioulasso).
« Actuellement je ne travaille pas. Ma mère a refusé parce que quand nous sommes arrivés au début, mes sœurs sont allées chez les gens comme aide-ménagère, mais leurs patronnes n’ont jamais payé leurs salaires. Pendant 9 mois, Elles ont travaillé sans rien recevoir. Actuellement, elles sortent laver les habits chez les gens. Ce qu'elles gagnent, on mange ça » (OR, 12 ans, Ouagadougou, quartier zongo).
Tout comme ces enfants qui témoignent ci-dessus, de nombreux enfants que nous avons rencontré ont vécu ou continuent de vivre cette réalité. En dehors des ménages, cette situation se manifeste aussi au niveau des activités de commerce, les travaux manuels comme la mécanique, la soudure, la menuiserie, etc.
Conclusion
Cette recherche a permis de comprendre les stratégies de survie des enfants déplacés internes (EDI) qui fréquentent les rues de Ouagadougou et Bobo Dioulasso à cause du terrorisme. Les souffrances qu’ils endurent sont réelles. Certaines personnes parmi les populations hôtes exploitent cette souffrance des enfants en leur soumettant à des travaux domestiques et commerciaux sans rémunération. C’est pourquoi, les actions de protection doivent aussi intégrer la répression contre ces personnes qui augmentent la souffrance des enfants déplacés internes.
Dr Siaka GNESSI
Sociologue Chercheur / CNRST
Ouagadougou, Burkina Faso
Références bibliographiques
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GNESSI Siaka, 2024 « Crise sécuritaire et vulnérabilité au Burkina Faso : analyse de la situation et des besoins des enfants déplacés internes (EDI) dans la rue à Ouagadougou et Bobo Dioulasso », JIBOUL, Numéro 007, Volume 4, pp. 99-112.
FERRÉOL Gilles (sous la dir. de), 2014, Risque et vulnérabilité, Bruxelles, EME
OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre, 2021, La revanche des contextes. Des mésaventures en ingénierie sociale en Afrique et au-delà, Paris, Karthala, « Hommes et sociétés ».