Résilience des pratiques culinaires des ménages dans un contexte de changement climatique et social

Submitted by RedacteurenChef on Thu 24/04/2025 - 08:39
Résilience des pratiques culinaires des ménages dans un contexte de changement climatique et social

Résumé

La mondialisation dans sa stratégie de consommation de masse, la vulgarisation de la maraîchéculture et le changement climatique sont tant de facteurs qui influencent indéniablement au fil du temps les productions culinaires des ménages aussi bien dans les villes que dans les campagnes au Burkina Faso. Les observations et les entretiens menés auprès des ménages de Wakuy mettent en évidence l’influence des facteurs ci-dessus cités sur la production culinaire

1. Introduction

Les pratiques culinaires en milieu rural au Burkina Faso, jadis essentiellement basées sur la production locale, sont de nos jour soumises à l’influence des produits exotiques (industriel et maraiche-culture). Les ménages tendent inexorablement vers une transition nutritionnelle, une évolution et une augmentation de la consommation d’aliments transformés (FAO 2016). En plus des ingrédients industriels anciennement connus (le bouillon cube, la boîte de tomate, le sel, l’huile), on constate sur le marché de Wakuy, de nouveaux types d’ingrédients en emballage tels que les poivrons, le piment, des épices concentrés avec des composantes douteuses. Aussi les produits maraîchers (poivron, soja, haricot vert…) s’introduisent dans les pratiques culinaires grâce au développement de la culture de contre saison dans les localités environnantes (Ouema et Fayama,2024).

2. Méthodologie

Cette étude a été réalisée dans le village de Wakuy, situé à sept (7) kilomètres du département de Béréba dans la province du Tuy. L’approche méthodologique repose sur une démarche qualitative caractérisée par une stratégie interactive et compréhensive (De Sardan, 2004). Vingt-cinq (25) femmes ménagères dont dix (10) ont été observées naturellement pendant 24h au cours de leurs pratiques culinaires, onze (11) hommes-chefs de ménages et quatre (4) personnes-ressources constituent l’échantillon. Le guide d’entretien, la grille d’observation et la revue documentaire sont des outils fondamentaux (Gauthier,2009) dans le processus de collecte des données. Le principe de la saturation a marqué la fin des entretiens et l’analyse de contenu à été appliquée pour le traitement des données.

3. Discussion des résultats

La production culinaire dans la localité de Wakuy est dynamique, l’entrée des produits exotiques dans l’alimentation est en plein essor, mais l’essentiel de la pratique culinaire repose sur la production locale. Les ressources culinaires proviennent en grande partie des productions champêtres des ménages (Ouema et Fayama, 2024).  Un deuxième réservoir non négligeable est la forêt. Constituée de savane arborée, la végétation de la localité de Wakuy est riche en espèce.  Celle-ci offre une diversité de gammes en fonction des périodes de production des espèces au cours de l’année : les calices de bombax costatum en décembre, les feuilles d’adansonia digitata presque toutes les saisons, les fruits de parkia biglobosa en avril... Ces résultats soutiennent le constat fait par Lourme Ruiz (2017) dans la même zone, quand elle affirme que le nombre d’espèces d’arbres dans une localité est particulièrement associé à la diversité alimentaire ; les feuilles et fruits du baobab, les fruits et graines du néré, les feuilles et fleurs de kapokier, les fruits du résinier sauvage, les feuilles et fleurs de tamarinier, les feuilles et fruits du prunier se cueillent entre avril et juillet. 

Les savoirs locaux de la communauté sont riches et diversifiés. Au-delà des connaissances acquises par le biais de la socialisation, les femmes possèdent également des savoirs en matière de transformation des produits bruts en produits finaux et comestibles à travers des nouvelles pratiques culinaires. L’ensemble de ces connaissances constitue un atout considérable à la diversité alimentaire des ménages. (Ouema et Fayama, 2024). 

La production industrielle met à la disposition des ménages aussi bien urbains que ruraux des gammes de produits culinaires immédiatement consommables. Ouema et Fayama (2024) à travers les analyses de leurs travaux montrent que ces produits industriels (l’huile industrielle, les concentrés de tomate, les bouillons cube de marques diverses) sont de plus en plus utilisés dans les pratiques culinaires des ménages de la localité de Wakuy. Du procédé de la préparation du aux techniques de préparation des sauces, la combinaison des ingrédients culinaires constitue chaque jour pour les femmes un défi. Les épices concentrées de curcuma, la coriandre, le poivre de Pen, ou le gingembre, méconnues dans la localité il y a de cela une dizaine d’années remplacent le « soumbala », le « biikalga ou dahtou » dans les marmites. Elles accompagnent les sauces dans les ménages tout en procurant aux mangeurs, de nouvelles saveurs alimentaires appétissantes. Il ressort des entretiens de ces auteurs que l’implémentation culinaire des ingrédients exotiques se fait le plus souvent par auto-apprentissage, ce qui n’est pas sans conséquence sur la santé humaine. Une conséquence qui n’est sans doute pas ignorée par les acteurs locaux. Cependant les ménages sont de plus en plus intéressés par les nouvelles saveurs des épices car d’aucuns estiment qu’elles compensent l’absence du goût de la viande ou du poisson dans la sauce. Par ailleurs ces épices concentrées se présentent comme une alternative aux épices naturelles inaccessibles et à cout élevé (Ouema et Fayama, 2024). Ces constats corroborent ceux de Konkobo et al (2002). Dans une étude menée sur les pratiques alimentaires dans les ménages de Ouagadougou et environnants, ces auteurs sont parvenus à la conclusion selon laquelle les pratiques culinaires (combinaison des plats locaux, exotiques) locales des femmes sont riches et diversifiées. 

Les produits forestiers locaux sont substitués aux produits issus de la maraîchéculture. Deux principaux facteurs expliquent cette substitution. En premier lieu la disparition progressive de la forêt entraine avec elle la rareté des arbres comestibles et des animaux sauvages. Les plantes comestibles tels que le Prunier d'Afrique, la balanite, le serre d’épervier, le bombax costatum, le vitellaria paradoxa autrefois abondantes, sont en voie de disparition dans la localité. Le deuxième facteur causal de la rareté des produits forestiers dans la zone est lié à la vente prématurée de ces produits après les cueillettes. Constituant les principales sources de revenus des femmes, les recettes issues de la vente sont en partie utilisées pour l’achat des épices industrielles et des produits maraichères (concombre, choux, épinard…)  qui se développent dans les villages environnants. Nos résultats corroborent ceux de (Thiombiano et al., 2012) selon lesquels les produits forestiers non ligneux récoltés et stockés tels que les amandes de Vitellariaparadoxa (karité), les graines de Parkiabiglobosa (néré), les calices de Bombax costatum (kapokier) et les feuilles de Adansoniadigitata (baobab) sont vendus pour acheter des biens dans la localité de Nobéré

4. Conclusion 

Il ressort de cette étude que la pratique culinaire dans la province du Tuy et dans les ménages de la localité de Wakuy en particulier est dans un processus de transition. Les ménages adoptent de nouvelles formes de productions culinaires qui rallient modernité et tradition dans le but de combler les déficits en produits locaux autrefois disponibles dans la localité. Les produits culinaires exotiques font progressivement leurs entrées dans les modes alimentaires des ménages avec la bénédiction de la désertification qui engendre la rareté des produits forestiers. 

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Tionyélé FAYAMA

Maitre de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) / Institut de l'Environnement et de Recherche Agricole (INERA), membre Labo « Genre et Développement » /UJKZ tionyele@yahoo.fr 

 

        

 

 

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Adama OUEMA

Ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale, Doctorant au Labo « Genre et Développement » / UJKZ, adamaouema@yahoo.com

 

 

 

 

Références bibliographiques

FAO 2016-2025, OCDE/ FAO, 2016.  Nourrir l’Afrique – Stratégie pour la transformation de l’agriculture africaine 2016-2025.

GAUTHIER Benoit,2009, Recherche Sociale : De la Problématique à la Collecte des Données, PUQ, 767 pages

KONKOBO-YAMEOGO Charlotte, Chaloub Youness, Kergna Alpha, Bricas Nicolas, Karimou Rachid, Ndiaye Jean Luc,2004 « La consommation urbaine d'une céréale traditionnelle en Afrique de l'Ouest : le fonio », Cahiers Agricultures, 13 (1) : 125-128  

LOURME Ruiz Alissia,2017, Les femmes, au cœur des liens entre production agricole et diversité de la consommation alimentaire au Burkina Faso. Montpellier Sup Agro, 388 p. 

OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 2008, La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l'interprétation socio-anthropologique, Bulletin Amades 368 p.

OUEMA Adama et FAYAMA Tionyélé ,2024, Dynamique des systèmes culinaires et diversité alimentaire dans les ménages ruraux de Wakuy au Burkina Faso, les lignes de Bouaké-La-Neuve-Janvier 2024-N°16, PP.172-188.

THIOMBIANO Daniabla Natacha Edwige (2012), « état des peuplements des espèces ligneuses de soudure des communes rurales de Pobé-Mengao et de Nobéré (Burkina Faso) », Sécheresse vol. 23, n 8 2, avril-mai-juin 2012