Article de vulgarisation : Les tradipraticiens de santé au temps fort de l’épidémie de la COVID-19 dans la ville de Bobo Dioulasso (Burkina Faso)

Soumis par RedacteurenChef le mer 03/01/2024 - 10:14

Résumé : En 2019, nous avons assisté à la propagation d’une nouvelle pandémie identifiée comme étant la COVID-19. Au Burkina Faso, les structures publiques et privées se sont investies dans la recherche de remèdes. Face à cette pandémie dont le rythme de propagation a été rapide et inquiétante, les tradipraticiens se sont sentis interpellés. Ces derniers se sont mobilisés pour proposer des solutions de prise en charge des patients et de sensibilisation des populations sur les risques de l’épidémie. L’objet de cet article est de questionner la contribution des tradipraticiens de la ville de Bobo Dioulasso dans la lutte contre la COVID-19. Il ressort que les tradipraticiens de la ville de Bobo Dioulasso ont contribué de diverses manières et à plusieurs niveaux à la lutte contre la COVID-19. Pour espérer une réponse rapide et efficace de la pandémie, les tradipraticiens ont suggéré une meilleure collaboration avec la médecine moderne au regard du pluralisme thérapeutique qui caractérise les itinéraires thérapeutiques des populations africaines.

Mots clés : COVID-19, Médecine traditionnelle, Bobo-Dioulasso 

INTRODUCTION

En 2019, l’humanité a été confrontée à la réapparition d’épidémies émergentes que sont la maladie à Virus Ébola, la Grippe Aviaire, la Fièvre Aphteuse. Dans cette même année, elle voit l’apparition d’une nouvelle épidémie émergente, la COVID-19, considérée comme étant la plus préoccupante des épidémies émergentes.  De par la rapidité de sa propagation et le nombre de victimes qu’elle a occasionnées, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en Mars 2020, déclare COVID-19 comme étant une pandémie et décline dès lors les protocoles sanitaires et les dispositions politiques y afférentes. De ce fait, le monde entier attendait impatiemment le remède miracle qui réussira à éradiquer ce mal (Hien, H., 2020). La COVID-19 a fait l’objet de recherche en sciences sociales dans le sens de produire des connaissances sur les pratiques des populations et la reconfiguration des relations sociales face à la pandémie (Gamba, F., 2020). Plusieurs candidats vaccins ont été mis au point. Mais, jusque-là, ils n’ont toujours pas fait l’unanimité tant au niveau des professionnels de la santé qu’auprès des populations. Les systèmes sanitaires nationaux ont déclenché leurs dispositifs de gestion des urgences sanitaires en suivant du mieux que possible les directives de l’OMS pour les actions de prévention et de prise en charge thérapeutique et psycho-sociales des patients et leur entourage. En matière de collaboration, les tradipraticiens ont été, vers la fin des années 90, impliqués par le ministère de la santé dans des programmes de lutte contre la pandémie du VIH/Sida. C’est ainsi que les recettes de certains tradipraticiens ont fait l’objet d’expérimentation dans le cadre de traitement de maladies opportunistes liées au VIH/Sida au sein de l’hôpital confessionnel St Camille et à Yalgado Ouédraogo, un hôpital public. Les tradipraticiens sont ainsi associés de longue date par le gouvernement burkinabè, à travers l’exemple du VIH/Sida, dans la lutte contre les pandémies. Il en fut de même avec la COVID-19 (Ouédraogo et al. (2023).

En situation d’épidémie ou de pandémie, le recours à la médecine traditionnelle étant un moyen de combattre ces maux, cela a également été objet d’étude des sciences sociales, notamment sur la question de la revalorisation que la médecine traditionnelle connait aujourd’hui. En effet, selon les propos ci-après, « in place of the inadequate concept of traditional medicine, "empiric-metaphysical medicine" more aptly qualifies the medical practices of African societies », dixit Jean-Paul Bado (in, An Inst Hig Med Trop 2016; n°16 pp.55-58).  Si les pandémies persistent durant plusieurs années, cela est dû en partie aux difficultés que rencontre la médecine moderne à les éradiquer de manière spontanée. Pour la présente étude, la littérature est assez abondante et variée que ce soit sur the empiric-metaphysical medicine et sa contribution au contrôle des maladies infectieuses, provoquées par les virus, les bactéries. Toutefois, les différents travaux menés laissent percevoir toujours des champs à investiguer et confirment le problème de recherche qui nous préoccupe dans cette étude, à savoir : quelle est la contribution du empiric-metaphysical medicine dans la lutte contre la COVID-19 ?

Rappelons que le 1er cas d’infection à COVID-19 est déclaré officiellement par les autorités du pays, en mars 2020. À partir de cet instant, des dispositifs de riposte furent mis en place par le gouvernement. Il s’agit entre autres du Centre des Opérations de Réponse aux Urgences Sanitaires (CORUS) en partenariat avec Davycas International et le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) Atlanta. Le CORUS est un cadre de rencontre, de prise de décision, d’étude, d’élaboration de plans et stratégies de riposte aux épidémies et aux catastrophes naturelles. Toutefois, ce centre ne parvient pas à l’atteinte des objectifs escomptés.  On constate des insuffisances et la maladie fait toujours des victimes. Au Burkina Faso, de nombreuses populations font recours à la médecine traditionnelle en premier recours pour régler leurs problèmes de santé. Nous avons choisi d’orienter notre étude vers la contribution des tradipraticiens. Notre ambition dans le cadre de cet article est de mettre en évidence et discuter les actions menées par une catégorie d’acteurs, notamment les tradipraticiens dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la COVID-19. Ces derniers ont effectivement su se mobiliser et s’impliquer dans la lutte contre la COVID-19 en menant des actions. Quelles ont été ces actions ? Quel type de relation fut établie entre les praticiens des deux médecines dans cette lutte contre la COVID-19 à Bobo Dioulasso ?

MÉTHODOLOGIE

Pour cette étude, nos enquêtés furent des tradipraticiens, des médecins modernes et des citoyens burkinabés résidant à Bobo Dioulasso. Ces enquêtes se sont déroulées d’octobre 2020 à mars 2021. Pour avoir accès à nos enquêtés, nous avons procédé par l’approche par boule de neige qui consiste à passer par une personne cible de notre étude, qui nous mettra en contact avec une autre personne cible qui en fera de même ainsi de suite. Nous avons donc débuté avec le président d’une association de tradipraticiens dans la ville de Bobo qui nous a par la suite mis en contact avec d’autres. Ainsi, nous en avons interrogé six (06) ayant travaillé sur la COVID-19, ainsi que cinq (05) médecins de spécialités diverses (un (01) pharmacien, deux (02) biologistes, un (01) médecin généraliste et un (01) infectiologue), trois (03) personnes n’ayant pas contracté la maladie à coronavirus, deux (02) personnes guéries de la COVID-19 par l’intervention d’un tradipraticien, trois (03) personnes ayant guéri de la maladie à coronavirus sans l’intervention d’un tradipraticien et une (01) personne ressource (personne qui nous a aidé pour la traduction des guides d’entretien en langue locale). Nos entretiens de recherche se sont déroulés à l’aide du guide d’entretien et d’un smartphone pour les enregistrements. Ces données ont été dépouillées et analysées manuellement.

RÉSULTATS

Perceptions des tradipraticiens sur la COVID-19

Les tradipraticiens définissent la COVID-19 à leur manière et ont une représentation particulière selon le registre de la médecine traditionnelle. En général, ils sont unanimes sur le fait que la COVID-19 est une maladie infectieuse fortement contagieuse qui se manifeste à travers les symptômes tels que la toux, le rhume, la fièvre et des difficultés respiratoires. Face à cette pathologie, ils estiment que la médecine traditionnelle a son mot à dire pour une lutte efficace, car les symptômes de la maladie sont facilement guérissables par les remèdes traditionnels. Certains d’entre eux affirment que cette maladie les préoccupe moins, parce que d’autres maladies tels que le paludisme, font beaucoup plus de victimes actuellement au Burkina Faso. La priorité pour l’instant, la priorité serait de soigner les populations burkinabés des maladies dont elles sont le plus victimes actuellement telles que le paludisme, les hépatites, etc. D’après eux, la médecine traditionnelle pourrait venir à bout du coronavirus en peu de temps et plus efficacement que la médecine moderne et cela, sans conséquences sur l’organisme humain.

La contribution des tradipraticiens dans la lutte contre la COVID-19 à Bobo-Dioulasso

Les praticiens de la médecine traditionnelle de la ville de Bobo-Dioulasso, ne sont pas restés en marge de ce combat contre la COVID-19. En effet, ceux-ci ont apporté leurs contributions de diverses manières. De la proposition de remèdes pouvant soigner les symptômes de cette maladie à la guérison de personnes malades en passant par la sensibilisation des populations sur l’importance des gestes barrières contre la maladie, ce qui a été la contribution apportée par les tradipraticiens. Il y a eu des contributions individuelles et des contributions groupées venant des associations de tradipraticiens de la ville Bobo Dioulasso.

Les associations de tradipraticiens de la région de l’Ouest ont proposé des remèdes contre la COVID-19 au chef de canton de Bobo Dioulasso. Il s’agit : du Réseau des Tradipraticiens des Hauts-Bassins, de l’Association des tradithérapeutes de la province du Houet et de l’association Reewelden/Djigui-sémé du Houet.  Selon un de nos informateurs, (EP, tradipraticien exerçant au secteur 15) ces initiatives, ont été prises par les tradipraticiens eux-mêmes. Ces derniers ayant attendu longuement et sans suite, l’appel des médecins, auraient décidé d’agir. Deux tradipraticiens que nous avons interrogés, ont précisé que les remèdes qu’ils ont eu à proposer sont à but préventif uniquement.

Dans notre étude, nous avons recensé un certain nombre de contributions individuelles apportées par des tradipraticiens dans la ville de Bobo Dioulasso. Elles se traduisent par des constats de guérison de malades atteints du coronavirus et à la promotion des gestes barrières contre la maladie. De nos entretiens de recherche, parmi tous les tradipraticiens interrogés, la plupart ont fabriqué des remèdes qui ont soigné des personnes atteintes du coronavirus. Et un (01) d’entre eux a fait la promotion des gestes barrières dans son entourage et dans son lieu de travail.

Il faut remarquer qu’aucun des tradipraticiens interrogés n’a enregistré de perte en vie humaine parmi les patients malades auxquels ils ont administré leurs remèdes. Cependant, les malades qu’ils ont eu à soigner n’avaient pas tous fait le test de dépistage mais quelques patients certains patients reçus par deux tradipraticiens avaient été testés positifs au coronavirus. Pour les patients n’ayant pas fait de test de dépistage, les tradipraticiens se sont basés sur l’apparition des différents symptômes et souvent la contagion rapide vis-à-vis de leur entourage. Il s’avère également que durant les consultations entre les personnes atteintes du coronavirus et les tradipraticiens, seulement deux tradipraticiens portaient un masque de protection et respectaient les mesures de protection contre la COVID-19.

Médecine moderne et médecine traditionnelle dans la lutte contre la COVID-19

De nos entretiens de recherche, il ressort que la totalité de ces catégories d’acteurs de la santé enquêtées serait prête à prendre un remède ou un préventif provenant de la médecine traditionnelle. Cela est dû au fait que certains n’ont pas assez de moyens financiers pour acquérir des médicaments modernes. D’autres se méfient des produits de la médecine moderne, car dans le cadre du coronavirus trop de rumeurs ont circulé concernant la prise en charge des malades et des produits administrés. Nous avons cherché à savoir s’il y a eu véritablement une collaboration entre médecins modernes et tradipraticiens, ou, dans le cas contraire, si une collaboration serait souhaitable par les deux parties pour faire face à la COVID-19. Tous les tradipraticiens ayant participé à notre étude ont affirmé qu’aucune collaboration n’a eu lieu entre médecine moderne et traditionnelle en d’obtenir ou mettre au point un remède contre la COVID-19. Cependant, la majorité des tradipraticiens interrogés, souhaiteraient que la médecine moderne et traditionnelle s’allient pour venir à bout de la maladie.

Ainsi, l’État burkinabé n’a pas associé les médecins traditionnels à ce combat sinon « on entendrait plus parler de cette maladie ». Il trouve que le gouvernement burkinabé a « honte de la médecine traditionnelle de son pays », raison pour laquelle cette médecine est délaissée. Aussi, il affirme qu’il ne collabore pas avec d’autres tradipraticiens car il n’a « ni le temps ni l’énergie » et aussi parce que « les tradipraticiens entre eux sont très mauvais, et très jaloux, on se méfie les uns des autres. » (KA, tradipraticiens exerçant au secteur 15, entretien du 16/10/2021). Il affirme qu’une collaboration est nécessaire entre les deux médecines. Cela sera la bienvenue afin d’éradiquer la COVID-19. Cette collaboration doit passer par la formation des tradipraticiens à des méthodes modernes de travail (dosage des produits, amélioration des emballages des produits, méthodes pour diagnostiquer les maladies…). Un autre enquêté (KN, tradipraticien exerçant au secteur 17), pense qu’une collaboration avec la médecine moderne pourrait être fructueuse, surtout pour reproduire en quantité importante et de façon rapide les remèdes que les tradipraticiens proposent.

Les options des acteurs de la médecine moderne concernant une possible collaboration entre ces deux médecines.

Du point de vue de nos informateurs, on leur fait un « mauvais procès » en voulant une similitude parfaite dans les actions car la médecine traditionnelle et la médecine moderne ont des méthodes de travail différentes. Il dit que « pour devenir docteur en médecine il faut faire de longues études, cependant la médecine traditionnelle on ne sait pas qui la pratique et on ne sait pas si ce sont de vrais tradipraticiens ou des charlatans ». (PA, infectiologue et membre du comité de prise en charge de la COVID-19 à Bobo Dioulasso, Entretien du 24/02/2021).

Concernant la possible collaboration entre praticiens de ces deux médecines dans la lutte contre la COVID-19, il pense que les tradipraticiens doivent d’abord fabriquer des produits qui répondent aux normes de la médecine moderne. Car : « En médecine moderne on a des procédures : avant qu’un médicament ne soit mis sur le marché on l’évalue, on essaie de voir si c’est bon, si ça n’a pas de conséquences sur la peau, le cerveau…. Donc tout ce qui est hors de ces procédures-là, c’est difficile pour nous de l’appliquer, car ce n’est pas ce qu’on a appris. » (PA, Entretien du 24/02/2021). Il ajoute que la médecine traditionnelle doit mieux s’organiser. C’est-à-dire que les tradipraticiens doivent avoir des méthodes modernes de travail standardisées et systématiques. Pour l’instant, il trouve que la collaboration pourrait se limiter à la référence des malades : « Il faut qu’ils nous envoient les malades, il ne faut pas garder les malades lorsqu’ils n’arrivent pas à les soigner. Nous aussi, nous pouvons en faire de même ». (PA, infectiologue et membre du comité de prise en charge de la covid19 à Bobo Dioulasso, Entretien du 24/02/2021). Certains acteurs de la santé seraient disposés à valoriser et recommander aux malades, un médicament issu de la médecine traditionnelle qui aurait été approuvé et reconnu médicalement comme étant efficace contre la COVID-19. « La nature regorge de beaucoup de ressources capables de prendre en charge tous nos problèmes de santé et la médecine traditionnelle est une source de valeur indiscutable pour la prise en charge de nos problèmes de santé. (...) Les médicaments modernes proviennent souvent des plantes synthétisées. Pourquoi ne pas donc se tourner vers cette médecine et voir ce qu’elle peut nous offrir ? » (OA, Pharmacien spécialisé en Industrie Pharmaceutique, Entretien du 10/12/2020).

I s’agit alors de travailler à réduire les effets négatifs dû aux médicaments que prodiguent les tradipraticiens. Un autre de nos informateurs, (WN, médecin généraliste dans une clinique à Bobo Dioulasso.) affirme que la médecine traditionnelle a beaucoup à offrir. D’après lui, la collaboration peut bien marcher entre ces deux médecines si les médecins modernes renforcent les capacités des tradipraticiens et réglementent leurs prescriptions pour prévenir certaines complications ou effets secondaires de leurs prescriptions.

DISCUSSION

Les apports des tradipraticiens de santé à la lutte contre les pandémies 

Au cours de notre étude, nous avons recensé un certain nombre de contributions que les tradipraticiens de la ville de Bobo Dioulasso ont apporté dans la lutte contre la COVID-19. En effet, ils ont contribué pour aider les populations de la ville de Bobo-Dioulasso à la gestion de la maladie qui touche le monde entier. Dans la même trame d’idée, Ouédraogo Y-A. (2021) évoque la participation des tradipraticiens du Burkina Faso dans la quête de solutions contre la COVID-19. Ces derniers feront effectivement des propositions thérapeutiques à l’endroit de certaines autorités du pays. Cela n’est pas une première dans l’histoire de la médecine traditionnelle. En effet, historiquement, lors de l’apparition d’épidémies en Afrique, les tradipraticiens ont apporté différentes contributions pour freiner le mal. ces contributions diffèrent d’une maladie à l’autre. Ce fut le cas avec le Sida, Ébola, la tuberculose, le paludisme (M'Bokolo, E.  1995 ; Djierro K., 2002, Ndao, M., 2008 ; Desclaux, A. Billaux, A. Sow. 2022).

Au Burkina Faso, l’apport des tradipraticiens est effectif dans la lutte contre le Sida. Dans les années 1990 au Burkina Faso, l’apport des tradipraticiens dans cette lutte c’est de prescrire des médicaments qui peuvent compléter le traitement de la médecine moderne, mais à condition que la maladie soit détectée assez tôt (Nikièma, J-B, et al., 2010). Certains remèdes traditionnels, peuvent bien renforcer le système Immunitaire des personnes vivant avec le VIH. Les expérimentations se faisaient dans deux sites, le centre Médical St Camille et le Centre Universitaire Yalgado Ouédraogo. Mais, elles ont toutes été arrêtées sans donner des résultats. Par ailleurs, les tradipraticiens ont une certaine maitrise des réalités socio-culturelles et linguistiques de leur localité, ce qui leur permet de s’en servir pour sensibiliser plus facilement et de manière à toucher véritablement les populations (Nikiéma J-B., 2008). Ils seraient des agents de sensibilisation crédibles et très efficaces au sein des communautés si on les mobilise dans les actions de promotion de la santé.

Pourquoi la faible collaboration entre les acteurs de la médecine moderne et ceux de la médecine traditionnelle ?

La faible collaboration entre médecins modernes et tradipraticiens nous est revenue dans notre étude comme une faiblesse. Ce problème a été souligné par plusieurs auteurs.  Adèle Yaméogo (2011) affirme à ce propos que peu d’informations ont été recueillies sur le patrimoine médical de nos ancêtres car n’étant pas lettrés, les transmissions se faisaient alors par voie de l’oralité. Un rapport de ONUSIDA (2007) explique que les tradipraticiens et les médecins modernes collaborent rarement. Ces échecs ont pour cause la méfiance, les superstitions, les préjugés, etc. qui existent entre ces deux parties. Pour sa part, Yoro, M., (2010), explique que les tradipraticiens sont ignorés ou négligés lors des tentatives de collaborations entre les acteurs des deux médecines. Ainsi, cette collaboration s’arrête à l’identification et à la livraison des plantes médicinales par les tradipraticiens aux médecins modernes.

La faible implication des tradipraticiens en période d’épidémie occasionne donc des victimes à plusieurs niveaux. Ce manque de collaboration constaté durant notre étude, nous semble être un problème à résoudre, car cela peut jouer un rôle très important surtout dans un contexte de pandémie qui nécessite les capacités de tout un chacun pour arriver à bout de l’ennemi commun.

Dans notre étude, la plupart des critiques des médecins envers les tradipraticiens se situe au niveau du manque de scientificité des méthodes de ces derniers. Quant aux tradipraticiens, ils reprochent aux médecins modernes le fait que ceux-ci ne les considèrent pas assez. La revalorisation que connait actuellement la médecine traditionnelle est, selon Didier Fassin (1990), réduite à un inventaire de plantes, de substances, de recettes qu’il s’agit d’évaluer du seul point de vue de la biochimie moderne occidentale. Cependant, les acteurs de ces deux médecines ne sont pas contre une collaboration qui leur permettra d’aider les populations burkinabés à résoudre leurs problèmes de santé.

CONCLUSION

La médecine traditionnelle africaine est le principal recours des populations en matière de soins de santé. Il est parfois le seul, qui soit accessible à la grande majorité des populations africaines. Ce travail nous a permis d’appréhender comment les tradipraticiens de Bobo Dioulasso contribuent à la lutte contre la COVID-19. De ce fait, certains tradipraticiens ont soigné par présomption, des personnes atteintes de la maladie à coronavirus. Ils ont proposé des remèdes de prévention contre cette maladie au chef de Canton de la ville de Bobo-Dioulasso et ont participé activement à la sensibilisation au respect des mesures barrières édictées par les autorités sanitaires. Des tradipraticiens de notre étude, préconisent une collaboration entre médecine moderne et traditionnelle pour résoudre ces contraintes. C’est dans ce sens qu’il faut s’orienter vers de nouvelles recherches à savoir analyser les problèmes qui freinent l’élan de cette médecine, afin de proposer des solutions pour son essor, car pour avoir une bonne couverture sanitaire le Burkina doit compter avec sa médecine traditionnelle.

ZERBO Roger

Maitre de recherche en Anthropologie

Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique

Membre de IRL 3189 « Environnement Santé et Sociétés »

Membre du LARISS et CEFORGRIS à l’Université Joseph KI-ZERBO

 

OUEDRAOGO Dorcas

Sociologue, l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest, Unité Universitaire à Bobo-Dioulasso (UCAO-UUB)

 

Adèle SAMBARE/YAMÉOGO

Anthropologue, Assistant

Centre Universitaire Polytechnique de Manga / Université Norbert ZONGO

Membre du LARISS à l’Université Joseph KI-ZERBO

 

Pour en savoir plus

Desclaux, A. Billaux, K. Sow. (2022) Anthropologie appliquée aux épidémies émergentes : manuel. L'Harmattan, 312 p., Anthropologies et Médecines.

Djierro, K., (2002), Contribution à la connaissance des plantes médicinales utilisées par les tradipraticiens pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH / SIDA dans la ville de Ouagadougou, thèse de doctorat en pharmacie, UFR/SDS, Université de Ouagadougou, Burkina Faso, 100 p.

Fassin D., (1990), « Maladie et médecine », in Didier Fassin, & Yannick Jaffré, Sociétés, développement et santé. Paris : Ellipse, p. 38-49.

Gamba F., Nardone N., Ricciardi T., Et Cattacin S, (2020), Covid19 le Regard des Sciences Sociales, SEISMO, SA Genève et Zurich, 338p.

Hien, H. (2020). La résilience des systèmes de santé : enjeux de la COVID-19 en Afrique subsaharienne. Santé Publique, 32, 145-147.

M'Bokolo, E.  (1995) L’Afrique entre l’Europe et l’Amérique : la place de l’Afrique dans la rencontre des deux mondes, éd. UNESCO, Paris,

Ndao, M., (2008). « Colonisation et politique de santé maternelle et infantile au Sénégal (1905-1960) », French Colonial History, Vol. 9, pp. 191-211

Nikiéma J-B., (2008), Expérience et progrès du Burkina Faso en matière d’intégration de la médecine traditionnelle dans le système national de santé. Communication orale à la Conférence internationale sur les Soins de santé primaires et les systèmes de santé en Afrique, Ouagadougou, Burkina Faso, 28-30 avril 2008, ministère de la Santé et OMS-Afro, 31 p.

Nikiéma J-B., Djierro K., Simpore J., Sia D., Sourabié S., et Guissou, I.P. (2009). Stratégie d’utilisation des substances naturelles dans la prise en charge des personnes vivant avec le Vih : expérience du Burkina Faso. Ethnopharmacologia, n°43 pp. 47-51.

Nikièma JB, Simpore J, Dabogo Sia, Djierro K, Guissou IP, Ossy Kasilo JM (2010). L’introduction de plantes médicinales dans le traitement de l’infection à VIH : une approche réussie au Burkina Faso in The African Health Monitor Special Issue 14. African Traditionnal Medecine Day, OMS. Agust 31, 2010, p 47-51.

ONUSIDA, (2007), Collaboration avec les guérisseurs traditionnels pour la prévention et la prise en charge du VIH en Afrique subsaharienne : suggestions à l’intention des administrateurs de programme et des agents de terrain. ONU. Genève.

Ouédraogo Y A., (2021), Pratiques de prévention, de prise en charge de la covid 19 par la médecine traditionnelle et gestion de l’autorité sanitaire au Burkina Faso, Revue DELLA/AFRIQUE, Numéro HORS –SERIE, Numéro spéciale COVID-19, pp.224-250

Schmitz, O., (2006), Soigner par l’invisible. Enquête sur les guérisseurs aujourd’hui ; Paris ; éd. Imago.

Ouédraogo D., Zerbo R., Sambare/Yaméogo A. (2023) « Une contribution mitigée de la médecine traditionnelle à la lutte contre COVID-19 : le cas des tradipraticiens de la ville de Bobo Dioulasso au Burkina Faso » In, Sariette et Paul BATIBONAK, Éric CHOKOTÉ, Julienne Louise NGO LIKENG (dir.) « Plasticité attitudinale énoncée sur le coronavirus à l’aune de la pandémie », Edition Monange, Yaoundé Cameroun, pp. 23-50, ISBN : 978-9956-0-4800-7.

Yaméogo A., (2011), Collaboration entre médecine traditionnelle et médecine moderne au Burkina Faso : entre discours et pratiques, Mémoire de Master en Sociologie, Université de Ouagadougou, 63p.

Yoro B-M., (2010), Rôle de l’anthropologue dans la revalorisation de la médecine traditionnelle africaine, in Recherches qualitatives, Vol. 29, N°2, p. 57-67. INSS, Abidjan.