Les alternatives au manque d’infrastructures scolaires dans les zones d’accueil des EDI affectent leurs conditions d’études

Submitted by RedacteurenChef on Tue 15/10/2024 - 09:25
Les alternatives au manque d’infrastructures scolaires dans les zones d’accueil des EDI affectent leurs conditions d’études

Introduction

Du fait d’une arrivée massive et sur plusieurs années des Élèves Déplacés Internes (EDI) dans les zones d’accueil,  les infrastructures éducatives qui y existent sont mises à rude épreuve, car elles sont dans l’incapacité d’accueillir la majorité de ces élèves. Dans le but de remédier à ce problème,  des investissements sont réalisés par l’Etat et ses partenaires techniques et financiers (PTF), mais ils s’avèrent insuffisants. Pour permettre à la majorité des EDI de poursuivre leurs études, plusieurs initiatives et pratiques sont donc développées dans les établissements scolaires publics situés dans ces villes (I. Ouédraogo et al, 2024a).  Il s’agit de l’accueil des EDI dans les classes à effectifs pléthoriques et de leurs installations sous divers types d’abris précaires. Ces alternatives de scolarisation permettent d’étendre l’offre scolaire et d’assurer la continuité éducative de ces élèves (I. Ouédraogo et al., 2024b). Selon R. Philippe (2003), ces pratiques s’inscrivent dans la logique de donner la chance de scolarisation à la majorité des élèves.

Malgré leur contribution à la scolarisation des EDI, ces solutions comportent des insuffisances qui peuvent affecter négativement le bien-être de ces élèves et la qualité de leurs acquis scolaires. En effet, O. Guiryanan et al. (2021, p.26) montrent que « (…) la concentration des déplacés internes dans les régions sécurisées s’accompagne d’un problème d’accès à l’éducation de qualité du fait notamment, de la suroccupation des salles de classe ». Bien d’autres risques sont associés à ces conditions d’études, dont les échecs et les abandons scolaires. En effet, divers « (…) travaux de recherche ont montré qu’il y a un lien entre la qualité des locaux éducatifs, le développement de l’éducation et son efficacité » (J. Beynon, 1998, p.9). Ainsi, il apparaît qu’au-delà de leurs contribution à l’accès à l’éducation, les solutions de scolarisation mises en œuvre influent sur la scolarisation. L’objectif du présent article est de montrer comment les conditions d’études qu’offrent ces alternatives au manque d’infrastructures scolaires affectent les études des EDI. La démarche méthodologique justifie le choix de la ville de Kaya et de Fada N’Gourma, puis décrit les méthodes de collecte et de traitement des données utilisées. 

Approche méthodologique 

Le présent article de vulgarisation est élaboré à partir de l’article scientifique intitulé : « L’insuffisance des infrastructures scolaires affecte négativement les conditions d’étude des Élèves Déplacés Internes (EDI) » (I. Ouédraogo et al, 2024a). Cette publication a été réalisée en exploitant les données collectées dans le cadre du projet « mécanismes de scolarisation des enfants déplacés internes pour la lutte contre le décrochage et l’abandon scolaires ». Ce dernier bénéficie du financement du Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID). La recherche est conduite dans les villes de Kaya et de Fada N’Gourma (Figure 1). 

          Figure 1: Situation géographique des communes de Kaya et Fada N’Gourma

Le choix de ces villes se justifie par le fait qu’elles sont des chefs-lieux de régions fortement affectées par la crise sécuritaire. En tant que chefs-lieux de régions, elles accueillent de nombreuses Personnes Déplacées Internes (PDI), parmi lesquelles les EDI. Aussi, les régions d’appartenance de ces villes notamment l’Est et le Centre-Nord abritent des groupes sociaux distincts, ce qui permet d’observer différentes pratiques de scolarisation, ainsi que des rapports différenciés à l’école. 

Pour la collecte des informations, les outils de l’approche qualitative et quantitative ont été utilisés. Ainsi, il a été procédé à des enquêtes par questionnaire auprès de 263 EDI et des entretiens individuels auprès des élèves et différentes catégories d’acteurs concernées par la scolarisation, en particulier celle des EDI. Les résultats issus du traitement des informations permettent d’analyser différentes problématiques de scolarisation de ces élèves, parmi lesquelles les difficultés d’études dans les classes pléthoriques, le bien-être des élèves qui suivent les cours sous les abris précaires et les mécanismes par lesquels les problèmes d’infrastructures affectent les conditions d’apprentissage des EDI.

Résultats

Des difficultés d’études dans les classes pléthoriques 

L’accueil des EDI dans les classes à effectifs pléthoriques est à l’origine de plusieurs problèmes, dont les difficultés de concentration des élèves et ceux relatifs à leurs encadrements. Aussi, les études dans ces classes affectent le bien-être des élèves. Selon les enseignants et divers responsables du secteur de l’éducation, le bavardage est un problème crucial dans ces classes, en particulier chez les élèves du primaire. Cette préoccupation est mise en relief par une enseignante à Kaya. Elle confie : « les enseignants ont des difficultés pour bien encadrer les enfants du fait des effectifs. Ils font du bruit et c’est difficile de les calmer ». Ce constat est fait par un enseignant à Fada N’Gourma qui confie : « le problème majeur est la maîtrise des élèves pour obtenir le silence. Nous sommes obligés de retourner à la chicotte ». Ce recours témoigne des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants. Sur le sujet, un agent des services déconcentrés de l’éducation à Fada N’Gourma déclare : « si tu n’as pas des élèves consciencieux, ce n’est pas ta capacité qui peut te permettre de maintenir la discipline ». Cette situation constitue un problème pour l’encadrement. En outre, les effectifs pléthoriques engendrent de la promiscuité, ce qui contribue à réduire le bien-être des élèves. En effet, les élèves sont à l’étroit sur les tables-bancs (Figure 2). 

Figure 2: Salle de classe à effectifs pléthoriques à Kaya (novemebre, 2022)

Dans ces conditions, « ils ne peuvent pas tous placer leurs cahiers sur le table-banc pour écrire » (enseignant à Fada N’Gourma)Lorsque les élèves doivent écrire dans les cahiers, une grande partie des effectifs doit s’asseoir à même le sol. Ces déplacements sont également des occasions de remue-ménage et de bavardages, ce qui contribue à perdre du temps d’apprentissage. Aussi, l’installation au sol limite leurs capacités à écrire convenablement. Ces problèmes liés aux effectifs pléthoriques sont particulièrement observés sous les abris précaires.

Les abris précaires affectent le bien-être des élèves

Les abris précaires qui font office de salles de classes pour les EDI sont constitués par des ETA et bâches, les classes sous paillotes, les hangars, l’ombre des arbres, etc. (Figure 3). Ils peuvent donc être désignés comme des infrastructures alternatives aux salles de classe officielles généralement construites en matériaux définitifs (I. Ouédraogo et al., 2024b). Leurs précarités s’observent surtout avec les dures conditions d’étude auxquelles ils soumettent leurs occupants, notamment les élèves et leurs enseignants.

Figure 3: Des élèves suivent les cours sous des arbres (Kaya, novemebre, 2022)

Ces abris permettent d’assurer la continuité éducative au profit des EDI, mais les exposent à plusieurs difficultés. Sous les arbres, ils sont exposés au vent, à la poussière, aux rayonnements solaires et à la pluie en début et fin de saisons pluvieuses. La posture assise au sol est non seulement pénible, mais constitue également une source de difficultés  pour écrire convenablement, car elle n’est pas appropriée. 

Ces alternatives à l’insuffisance d’infrastructures dans les zones d’accueil présentent ainsi plusieurs difficultés, car elles affectent le bien-être de leurs occupants (enseignants et élèves) et leurs concentrations en classe. Dans les ETA ou sous des bâches, les élèves sont à l’abri de certaines intempéries comme le vent et la poussière. Toutefois, « (…) il fait très chaud sous ces bâches en période de chaleur, c’est-à-dire à partir des mois de mars jusqu’en fin mai ou juin pour les classes d’examen » (I. Ouédraogo, 2024a, p.305). Dans ces conditions d’accueil, les élèves ne parviennent pas à suivre les cours convenablement. Ils sont généralement distraits par ce qui se déroule autour d’eux. Aussi, ces conditions d’accueil contribuent à la dégradation des équipements. En effet, un enseignant à Fada N’Gourma indique que les tables-bancs situées dans les domaines scolaires « (…) sont cassées, volées, démontées et les planches emportées par de mauvaises personnes ». Ces différentes contraintes affectent les conditions d’études des EDI.

Les problèmes d’infrastructures affectent les conditions d’apprentissage  

Les différents problèmes que présentent les infrastructures d’accueil affectent les apprentissages scolaires chez les EDI. Une enseignante à Kaya montre comment  les effectifs pléthoriques restreignent les possibilités des enseignants de jouer leurs rôles. « Le problème de ces gros effectifs est que l’enfant ne peut pas apprendre à écrire correctement, l’enseignant ne peut pas cibler un enfant pour l’accompagner convenablement lorsqu’il a une difficulté particulière. On ne peut pas circuler dans les rangées pour contrôler le travail des élèves ». Ces contraintes concernent également la répétition des mots et des expressions par les élèves, en particulier les plus jeunes du CP1 et CP2. Pourtant cela est primordial pour ces débutants. Chez les plus grands, ces difficultés existent, car les enseignants sont contraints de diviser les classes en plusieurs groupes, afin de faciliter la surveillance de certains travaux. Ces différentes situations participent à accroître la charge de travail des enseignants tout en réduisant leurs capacités à mieux encadrer les élèves. En effet, « il est aussi difficile pour les enseignants d’allouer une attention personnalisée à tous leurs apprenants, de donner des devoirs à propos de ce qui a été enseigné et d’avoir le plein contrôle sur leur classe » (É. Labonté-Hubert, 2013, p.20 à 21)

Pour ces différentes raisons, des auteurs à l’instar de A. Paré/Kaboré et A. Gambré-Inany (2014) soutiennent qu’il existe un lien entre l’augmentation des effectifs scolaires et la détérioration de la qualité des apprentissages. Toutefois, « bien des chercheurs ne s’accordent pas sur l’influence des effectifs en classe sur la réussite scolaire » (M. Nyongolo et P. Mbecke, 2020, p.23). La plupart des travaux qui montrent les effets positifs du nombre élevé d’élèves par classe ou l’absence d’impact de la taille de la classe sur les résultats scolaires concernent les contextes de pays développés où des situations de classes pléthoriques sont quasi inexistantes.

Des travaux montrent également que les abris précaires mettent en jeu la qualité des apprentissages scolaires (I. Ouédraogo et al., 2020). Ils soutiennent que les caractéristiques des classes sous paillotes et le cadre d’apprentissage qu’elles offrent ne permettent pas d’offrir une éducation de qualité . En effet, les caractéristiques des classes influent sur les apprentissages scolaires (A. Le Nestour et al. 2023).  Selon A. Maïga (2014, p.185), dans ces classes « les mauvaises conditions de vie influent négativement sur le don de soi des enseignants et, par ricochet, sur la qualité des apprentissages des élèves ».

 Conclusion

À travers cette contribution, nous montrons que les alternatives de scolarisation mises en place dans les zones d’accueil des EDI affectent négativement sur leurs scolarisations. En effet, les effectifs pléthoriques limitent les capacités des enseignants à maintenir l’ordre et la discipline dans les classes. Ils réduisent leurs capacités à encadrer et à suivre convenablement le travail de leurs élèves et contribuent à accroître leurs charges de travail. Dans les abris précaires, les difficultés rencontrées par les élèves rendent l’apprentissage difficile, de même que les tâches d’enseignement. Il s’agit d’un ensemble de difficultés de nature à affecter la qualité des acquis scolaires chez les EDI. Au regard de ces résultats, l’amélioration des conditions d’études des EDI s’avère nécessaire pour permettre de réaliser les résultats scolaires escomptés. Le recours à des abris améliorés, moins coûteux et adaptés aux activités d’apprentissage scolaire s’avère donc indispensable.

Issiaka OUEDRAOGO[1]

ouedraka80@yahoo.fr

Goama NAKOULMA2

ngoama@yahoo.fr

Zouanso SOULAMA/COULIBALY3

zouanso@yahoo.fr 

Références bibliographiques

BEYNON John (1998), Installations et bâtiments éducatifs : ce que les planificateurs doivent savoir, Institut international de l'UNESCO pour la planification de l'éducation, Principes de la planification de l’éducation -N°57, 101 p.

GUIRYANAN Olivier, Chantal CODJ OUDRAOGO, Kadari TRAORE, Moulaye EL-ALBY, Marc KIRCHNER, Alamissa Salif SAWADOGO, Alioune Bandara SADIA NDIAYE et Désiré ASSEMAL MADJI-YABE (2021), Éducation en situation d’urgence, de crises et de vulnérabilités au Sahel : quels mécanismes d’adaptation de l’aide au développement ? Plateforme d’Analyse du Suivi et d’Apprentissage au Sahel, Production Pasas, 55 p.

https://www.infosciencesculture.com/en/node/273 

LABONTÉ-HUBERT Émilie, 2013, Les manifestations de transformation dans l’activité d’intégration du Knowledge Forum et de VIA dans la classe pléthorique burkinabè. Mémoire de Maitrise en technologie éducative, Université Laval, 157 p.

LE NESTOUR Alexis, Lépine ANDREA, Comba RENAUD, Samati Komlan NOUWOKPO (2023), Data Must Speak: L’importance de l’infrastructure dans les écoles primaires publiques, Innocenti Research Briefs, UNICEF Innocenti – Global Office of Research and Foresight, 5 p.

MAÏGA Alkassoum (2014), « La baisse de la qualité de l’enseignement primaire au Burkina Faso, les avatars d’un système éducatif tourné vers la massification », Cahiers du CERLESHS, tome XXIX, N° 49, pp. 179-198.

NYONGOLO Martin, Paulin MBECKE (2020), « Incidence des effectifs par classe sur la réussite scolaire des élèves du réseau d’enseignement secondaire de la Mairie d’Uvira », Revue Africaniste Inter-Disciplinaire – RAID, Monange, pp.21-42. 

OUÉDRAOGO Issiaka, Aude NIKIEMA et Goama NACOULMA (2020), « Les classes sous paillotes et les enjeux d’une éducation de qualité en milieu rural au Burkina Faso », Annales de l’Université de Ouagadougou, Série A Lettres, Sciences Humaines et Sociales, Volume 028, juillet, pp. 47-66. 

OUEDRAOGO Issiaka, Goama NAKOULMA et Zouanso SOULAMA/COULIBALY, 2024a, L’insuffisance des infrastructures scolaires affecte négativement les conditions d’étude des Élèves Déplacés Internes (EDI), In : les cahiers de l’ACAREF, Vol 6, N°15, avril, pp.295-315

OUEDRAOGO Issiaka, Goama NAKOULMA et Zouanso SOULAMA/COULIBALY, 2024b, Des alternatives au déficit d’infrastructures scolaires pour la continuité éducative des EDI, Infos, Sciences Culture du 24/09/2024

PHILIPPE Renard (2003), « L’enseignement de base en Afrique noire: pédagogie de grands groupes et formation des maitres », L'éducation en débats: analyse comparée, Vol 1, pp.56-79.

Note de bas de page

[1]-2-3 Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/ Institut des Sciences des Sociétés (CNRST-INSS)