
En marche de l'avant-première de son sixième long métrage « Katanga, la danse des scorpions », nous eu une interview avec le réalisateur Dani Kouyaté. Entre autres, nous avons évoqué la disparition du réalisateur Souleymane Cissé (double Étalon d'or de Yennenga, décédé le 19 février 2025), sa vie du cinéma et sa participation à la vingt-neuvième édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, qui se déroulera, du 22 février au 01 mars 2025, à Ouagadougou...
Hier, on a appris le décès du réalisateur Souleymane Cissé. Comment avez-vous accueilli cette triste nouvelle ?
C'était un choc. Vous savez comment on apprend les nouvelles aujourd'hui, avec Internet et les réseaux sociaux. Tout d'un coup, ça vous tombe sur le visage. Pour moi, c'était hyper choquant.
C'était le président désigné du jury long métrage de fiction cette année. Donc on avait l'honneur d'avoir ce monument avec nous, comme président du jury. Malheureusement, il nous a quitté à soixante-douze heures de la grande fête du cinéma africain.

Et pour moi, symboliquement, c'était quelqu'un d'important, parce que c'est mon inspirateur, en quelque sorte. Quand j'étais à l'école de cinéma, j'ai fait une thèse sur le travail de Souleymane Cissé. Il a tracé les voies que nous essayons de suivre. Pour nous, c'est plus qu'un baobab qui est tombé, c'est un symbole qui est tombé.
Vous avez eu la chance de le côtoyer...
Je n'ai pas eu la chance de travailler avec lui parce qu'il était mon maître. Quand j'allais à l'école de cinéma, Souleymane Cissé avait déjà fait des films comme Yeelen, qui est un des classiques du cinéma africain.

Par contre, j'ai eu la chance de le côtoyer parce qu'il était quand même très proche de mon père, feu Sotigui Kouyaté. Il était ami avec mon père et ils sont de la même génération. Moi, je le considère un peu comme mon oncle. De ce point de vue-là, j'avais eu l'occasion de l'approcher. C'est un artiste, au sens propre du terme.
Comment êtes-vous passé du conte à la réalisation au cinéma ?
Disons que j'ai fait des études à l'Institut Africain d'Études Cinématographiques à Ouagadougou. C'était une école de cinéma qui existait à l'Université de Ouagadougou. À l'époque, quand j'ai eu mon baccalauréat, je suis allé directement à l'INAFEC. Je suis rentré au cinéma à travers les études universitaires.
Avant ça, je faisais du théâtre. Je suis le descendant d'une famille de griots pratiquants. Mon père était dans le théâtre. Dès mon enfance, j'ai été sur scène avec mon père. Le théâtre, pour moi, c'est l'école et ça reste toujours l'école. D'ailleurs, j'enseigne encore le théâtre tout en faisant du cinéma.
Que représente pour vous cette sélection de « Katanga, la danse du scorpion », cette année au FESPACO ?
Ça représente beaucoup pour moi. Parce que le FESPACO, c'est quand même notre plus grand festival. Et être en compétition au FESPACO, c'est quand même énorme. C'est un rêve pour tous les artistes qui font des films. Le rêve, c'est quand même de participer à la grande messe du cinéma. Après, on espère s'en sortir avec quelques prix et le grand trophée. Quand on va à la course, on ne veut pas être dernier.
Qu'est-ce qui vous a motivé à réaliser ce film ?
La motivation, c'est d'abord la beauté du texte et la beauté de nos langues. Parce que je voulais faire un grand film en langue morée. Nos langues sont belles. Nos langues peuvent raconter de grandes histoires. Et donc, le cinéma doit s'appuyer aussi sur la beauté de la langue. Et ça, c'était le pari que je me suis fait avec cette adaptation du texte de Shakespeare.
Quels étaient les principaux défis rencontrés lors de la réalisation de ce long-métrage ?
Le plus grand défi, à l'époque, c'était le problème de l'insécurité. Parce que je voulais tourner dans le Sud-Ouest, dans le Nord et dans le Centre. Malheureusement, on ne pouvait pas tourner au-delà d'un rayon de 40 kilomètres autour de Ouagadougou. Et donc, le défi, c'était de trouver tous les décors sur un rayon de 40 kilomètres autour de Ouagadougou.

Mais, je pense que le pari est gagné. Parce que quand on regarde le film, on n'a pas l'impression qu'on est autour de 40 kilomètres autour de Ouagadougou. On a trouvé la forêt, le désert et la savane. C'était quand même une belle performance.
En 1995, vous avez remporté le Prix de la meilleure première œuvre au FESPACO, avec « Keïta, l'héritage du griot ». Quel impact cette distinction a eu sur votre carrière ?
Disons que lorsqu'on a un grand prix au FESPACO et qu'on est jeune, on gagne forcément le respect. Donc, ça aide forcément. Mais, il ne faut pas oublier qu'on se situe quand même dans le contexte du cinéma africain en général, qui a des difficultés en matière de production. Et nos films ont encore besoin de structures cohérentes de financement pour se faire. Donc, même quand tu as du succès, en tant que jeune, tu es peut-être mieux que celui qui n'a pas de succès, et que celui qui n'est même pas connu.
Mais ça n'augmente pas pour autant ton capital, parce qu'il faut quand même trouver de l'argent. Et chaque film est toujours un combat.
Comment vous percevez l'évolution du FESPACO depuis votre première participation ?
Le FESPACO évolue comme il peut. Et chaque FESPACO est différent de l'autre. Et chaque FESPACO arrive souvent dans un contexte précis. Et en ce moment, nous sommes dans la résilience, dans la guerre contre la barbarie du terrorisme.
Que pensez-vous du cinéma burkinabè aujourd'hui ?
Le cinéma burkinabè est en train de se restructurer. Et vous avez dû l'apprendre. Il y a de nouvelles lois qui ont été votées pour restructurer le cinéma. Et nous estimons que nous sommes en bonne voie pour que les choses aillent pour le mieux dans l'avenir.
En vivant à l'étranger, cela a-t-il influencé votre vision du cinéma africain ?
Le fait de vivre à l'étranger ne veut pas dire grand chose en tant que tel. Mais l'évolution du cinéma africain se situe à deux niveaux principaux. Il y a les nouvelles technologies, les nouvelles formes de communication avec les médias, les réseaux sociaux, les nouvelles formes de diffusion, Youtube, les chaînes, etc.

Il y a eu une explosion de la capacité de diffusion des produits. Donc il y a une dynamique qui se crée, qui fait que les choses vont certainement aller dans le sens où les jeunes vont de plus en plus produire. Parce que la diffusion se met en place de plus en plus, et les moyens de production sont de plus en plus démocratisés. Même avec un téléphone, si tu as un très bon téléphone, tu peux faire un film, parce que c'est sans complexe.
Mais, ce qui manque au film aujourd'hui, c'est beaucoup plus les belles histoires, les idées, que les moyens. Parce qu'il y a des gens qui ont plein de moyens, mais ils racontent des histoires qu'on n'arrive même pas à suivre. L'importance aujourd'hui, c'est d'avoir des choses à dire, d'avoir de belles choses à dire, et après de se donner les moyens de le faire. Et les moyens sont démocratisés en ce moment.
Et ça, c'est une donne particulière aujourd'hui, qui est très bien, qui est très importante. Par rapport à nous, à notre temps, j'avais 25 ans, pour faire un film, il fallait aller en France. Oui, parce que la caméra, c'était de la pellicule. Tu ne pouvais même pas faire de la vidéo, ça n'existait pas. Tu ne pouvais pas faire un film vidéo. Déjà, le FESPACO n'acceptait pas le film vidéo à l'époque. Aujourd'hui, il y a une vraie évolution.
Quel regard portez-vous sur la place des réalisateurs africains sur la scène internationale ?
On doit encore faire notre place. C'est là peut-être que l'on peut voir l'importance de vivre à l'étranger. Parce que le fait de vivre à l'étranger a un avantage, mais aussi un inconvénient, d'une certaine façon. L'avantage, c'est qu'on est en connexion avec l'international. Et avec l'international, on a l'œil sur ce qui se passe dans le monde. Et on a des entrées aux festivals comme Cannes, Venise, Berlin, etc. Donc, ça nous maintient un peu à un niveau, où on essaie de mettre la barre haute.
Par contre, l'inconvénient est que je ne peux pas, par exemple, prétendre faire du cinéma populaire à Ouagadougou. Parce que je ne suis pas connecté aux réalités. Pour faire du cinéma populaire, il faut être en connexion avec le milieu populaire qu'on désire montrer.
Il faut des gens qui sont sur le terrain, qui font ce cinéma-là, qui s'adressent directement aux gens ici, qui produisent pour les gens ici, qui le consomment ici, et qui prennent en compte leurs soucis, et qui réinvestissent dans une économie du cinéma qui fonctionne sur le terrain. Les jeunes attendent beaucoup de ces histoires et les jeunes réalisateurs doivent leur fournir ces histoires-là. Mais, qu'il n'y ait pas de complaisance, qu'on travaille vraiment, qu'on fasse du vrai travail, qu'on se forme, qu'on apprenne à écrire des histoires, qu'on soit capable d'avoir de bons réflexes professionnels, qu'on soit des bons produits. Parce que le risque, le danger, c'est que les moyens de production sont tellement démocratisés, que ça peut aller facilement dans tous les sens, et ça peut tomber facilement dans la facilité.
Pourquoi le choix du Mooré ? Et pourquoi le choix de faire le film en noir et blanc ?
Le noir et blanc, c'est une couleur qui est très belle déjà. Parce que le cinéma a commencé en noir et blanc, il ne faut pas l'oublier. Et encore aujourd'hui, il y a des grands films de Hollywood qui se font en noir et blanc. Et le noir et blanc, ici en l'occurrence, c'est parce que je fais une fable politique. Je veux que mon film soit une fable politique, universelle. C'est un conte politique. Et donc pour camper l'histoire dans le conte, j'ai choisi le noir et blanc qui situe le conte dans un univers onirique.
Il sort de la réalité, il sort du temps. Avec le noir et blanc, on sort du temps et on rentre dans le conte. C'est la plus grande raison.
Et en plus, le noir et blanc est une image, c'est très fort. Le noir et blanc, c'est comme un retour aux origines, en quelque sorte.
J'ai choisi le Mooré, parce que c'est la langue majoritaire du Burkina.
Et sur le choix du moré, est-ce que vous n'avez pas eu des contraintes pour l'écriture en Mooré ?
Très bonne question. Mais, ce n'est pas seulement pour le Mooré. Pour travailler dans nos langues, il y a des contraintes. C'est la même chose avec le Bambara. Moi, j'ai tourné deux films en Bambara. Mais, c'est exactement la même contrainte. Parce que nos langues sont des langues fortes. Et nos langues sont des langues métaphoriques.
Et si tu maîtrises la langue, quand ton acteur parle dans la langue, toi-même, tu es d'accord. Tu sens le truc.
Parce que nos langues apportent vraiment du sens. C'est-à-dire que si tu prends quelqu'un qui comprend la langue, qui regarde ton film avec des gens qui parlent la langue, tu as déjà gagné 50% de son attention. Rien qu'avec la beauté de la langue.
Parce que nous, nous sommes des traditions orales. Nous, on n'écrit pas. On parle. Le Mooré, le Dioula, le Bambara, on parle. C'est la parole. C'est la force de la parole. Et ça, le cinéma doit l'exploiter.
Quels sont vos projets après le festival ?
Moi, je suis enseignant, donc j'ai des étudiants en cinéma. Tout mon projet après, c'est d'aller rejoindre mes étudiants.
Jean-Yves Nébié