
La vingt-neuvième édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) se déroule, du 22 février au 01 mars 2025, sous le thème : « Cinémas d'Afrique et identités culturelles ». Cette édition enregistre l'entrée en lice d'une nouvelle scénariste et réalisatrice, Kayaba Anaïs Irma Kéré. Journaliste de formation, critique de cinéma et membre de bureau de l'Association des Critiques de Cinéma du Burkina Faso (ASCRIC-B), elle fait ses premiers pas dans le monde cinématographique avec « L'audition ». Nous avons eu un entretien avec elle, le 20 février 2025. Projecteurs.
Vous êtes, depuis votre passage à l'Université Joseph Ki-Zerbo, une passionnée de cinéma ? Comment est née votre passion pour le cinéma ?
Je suis une passionnée de cinéma depuis toujours. Ma première expérience remonte à mon primaire lorsque je suis allée en famille au cinéma. J'ai été émerveillée par ce que je voyais : une salle obscure, un écran géant où défilent des images, l'atmosphère, les réactions des téléspectateurs. C'était un moment que vivaient des inconnus qui se sont retrouvés dans cette salle.

Je me suis alors demandé comment était-il possible de créer tant d'émotions et de rassembler ainsi des gens. C'était vraiment un moment magique pour moi.
Dès lors, avec ma curiosité, je me suis intéressée au cinéma et à chaque fois que je regardais un film je cherchais à savoir qui était le réalisateur, son parcours, son origine, etc.
Vous avez milité pour des associations qui s'intéressaient au cinéma. Racontez-nous ce que cela vous a apporté !
Effectivement, dans mon parcours universitaire, j'ai été présidente du Club scénario, qui est le Ciné club du Département de Communication et Journalisme (maintenant IPERMIC) . Aussi, j'ai été membre du bureau de la Fédération Burkinabè des Cinés Clubs, pour ne citer que ceux-là. Je dirais que militer pour ces associations m'ont permis de connaître davantage le domaine du cinéma et de faire surtout des rencontres.
De passionnée , vous êtes aujourd'hui réalisatrice. Comment s'est opérée cette transition ?
Cette transition s'est faite tout naturellement. Après ma première expérience au cinéma en famille, je me suis sans cesse demandé comment arriver à susciter des émotions. Donc ce qui signifie que j'avais de l'intérêt pour la réalisation. C'est pour cette raison que j'ai suivi des formations afin de me former.

J'ai suivi une formation en écriture et réalisation/mise en scène à l'Institut Imagine de Gaston Kaboré. Puis, il y a eu « 7 jours pour un film », qui est un concours de scénario, de formation et de réalisation de courts métrages en 7 jours qui s'est déroulé en 2019 lors du cinquantenaire du FESPACO.
Ensuite, il y a eu « Thriller et Talents », un atelier d'écriture dans le genre Thriller (meurtres et enquêtes policières). Suite à cet atelier, j'ai été retenu pour participer au développement de la série Canal+ original « De plus en plus loin » avec d'autres auteurs.
Par ailleurs, j'ai participé à « La Maison Junior », un atelier d'écriture de séries d'animation et de fiction (4 mois au Togo et 6 mois en distanciel au Burkina Faso).
En plus, j'ai beaucoup appris avec Taafé Vision, une association apolitique, laïque et à but non lucratif, qui milite pour la représentativité significative des femmes dans l'industrie cinématographique et audiovisuelle à travers des ateliers de formation en écriture et réécriture de scénario et réalisation. Je fais partie de la promotion 2024, avec le projet « Artivisme pour un monde plus juste ».
En outre, j'ai participé à la cohorte « Les Elles du Cinéma », où j'ai fait une formation en réalisation avec Apolline Traoré, en collaboration avec « Réalisatrices Équitables ». À l'issue de cette formation, j'ai eu l'opportunité de réaliser mon premier court-métrage intitulé « L'audition », qui aborde le thème de l'autisme.
J'ai également participé à des tournages de films, notamment « Katanga, la danse des scorpions » qui est en compétition officielle à la vingt-neuvième édition du FESPACO dans la catégorie long-métrage fiction. J'y ai été assistante stagiaire à la mise en scène.
Votre premier film, « L'audition », est un court-métrage. De quoi parle ce film ?
Le film parle de Déborah, une jeune autiste passionnée de chant et qui nourrit le rêve de devenir plus tard une grande chanteuse. Afin d'atteindre son objectif, il lui faut surmonter sa peur d'être confrontée au monde extérieur qui juge sa différence. Alors, décidée à faire face aux défis liés à son handicap et grâce au soutien sans faille de son grand frère Yohan, Déborah se rend à une audition musicale.

J'aborde le thème de l'autisme en mettant en valeur la musique et le chant. Je veux que l'on voit mon personnage au-delà de son handicap. Parce qu'elle est plus que ça, c'est une jeune fille qui a des rêves, des passions comme n'importe quelle autre personne. Sa différence ne saurait la définir.
Cette œuvre est le fruit de trois ans d'écriture et de réécriture. La formation les « Elles du Cinéma » s'est faite en deux parties. La première a été faite sur la réalisation avec Apolline Traoré. La seconde a permis de faire des sessions de mentoring avec une réalisatrice issue des « Réalisatrices Equitables » afin d'améliorer davantage le scénario.
Avant le tournage, les acteurs principaux Sergine Sourouwema et Aaron Ouédraogo, qui interprètent respectivement Déborah et Yohan, ont fait des immersions au sein de l'Association Burkinabè de l'Accompagnement Psychologique et d'aide à l'enfance (ABAPE), où se trouvent les autistes, afin de mieux s'approprier les personnages.
Le film est une production des Films Selmon d'Apolline Traoré.
Pourquoi le thème de l'audition en particulier ?
Je me suis inspirée de mon neveu Maël, qui est autiste. Avant lui, je ne connaissais pas ce qu'était l'autisme. Le côtoyer m'a appris à être plus patiente, tolérante et à arrêter de me plaindre car je comprends en le voyant combien il est compliqué de vivre avec un trouble du spectre autistique. Il m'a ouvert les yeux sur pleins d'aspects de la vie.

J'ai utilisé de nombreuses ressources pour comprendre l'autisme et enrichir mon scénario : des films de fiction, des documentaires, des reportages et des émissions sur l'autisme.
Comment s'est passée votre première expérience en tant que réalisatrice ?
C'était une très belle expérience. J'ai vécu mon rêve et j'ai pu réaliser ce film qui me tient beaucoup à cœur.
Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées dans cette aventure ?
J'ai rencontré quelques difficultés, surtout que c'est ma première expérience en tant que réalisatrice. Mais, avec l'appui de tous, j'ai pu surmonter ces difficultés. Pour cela, je tiens à remercier toute l'équipe (la production, les techniciens, les acteurs, etc.) qui n'ont ménagé aucun effort pour m'accompagner et m'aider à réaliser ce film. C'était un travail d'équipe, d'écoute (pour comprendre ma vision et ce que je recherchais). Ils ont été tous professionnels.

Monsieur Boukari Pamtaaba, responsable de l'ABAPE, a été également d'une grande aide. Il m'a permis de mieux connaître les autistes, de rentrer dans leur monde .
Vous êtes en lice pour la 29ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Comment vous sentez-vous pour cette grande première ?
C'est une immense joie que je ressens. C'est ma première réalisation. Et cette sélection me pousse à travailler davantage, car cela me rassure que j'ai fait le bon choix d'embrasser ce métier.
Quelles sont vos attentes pour cette édition ?
Je veux juste que mon film soit vu par le maximum de personnes. Surtout que le FESPACO est une belle opportunité qui met en lumière les œuvres surtout les courts métrages. Je veux également faire des rencontres.
Êtes-vous prête pour un sacre au soir du 1 mars 2025 ?
Ce serait bien évidemment une grande joie de remporter un prix. Mais, je ne vise pas principalement cela. Déjà, pour une première réalisation, être en compétition officielle dans la catégorie FESPACO SHORTS est déjà une victoire. En plus, j'ai encore cette chance que le maximum de personnes voient mon film. Je ne demande rien d'autre, surtout que mon objectif, en toute humilité, est de mettre en lumière l'autisme qui est peu connu sous nos cieux. Et peut-être que grâce à mon film, les gens ne jugeront plus aussi facilement ceux qu'ils en trouvent différents d'eux.Si cela se réalise, ce sera mon sacre. Il faut souligner que les jugements et préjugés ne sont que les fruits de l'ignorance.
Avez-vous une adresse particulière ?
J'invite massivement les Burkinabè à venir dans les salles de cinéma pour soutenir les réalisateurs burkinabè. Pour mon film, j'espère, en toute humilité, qu'il aidera à faire connaître davantage l'autisme sous nos cieux.
Jean-Yves Nébié