
Comme à chaque édition de la fête des cinémas d’Afrique, un thème est célébré. Cette édition est inscrite dans le sujet suivant : « cinémas d’Afrique et identités culturelles ». Voici une analyse du thème proposé dans les lignes suivantes.
« Cinémas d’Afrique et identités culturelles » est le thème de cette 29e édition du FESPACO 2025. La culture se présente alors, non seulement comme l’identité remarquable d’un peuple mais aussi comme un élément de distinction, une expression de l’altérité, de l’autre qui n’est pas moi ! La culture permet donc la différentiation d’un champ culturel à un autre. Question d’altérité alors ! Les codes culturels sont donc multiples sans doute comme les identités qui les fondent. On comprend alors tout le sens du pluriel dans la formulation de la séquence « identités culturelles » dans le thème de l’édition de cette biennal. A propos de la culture, l’homme de culture, Dramane Konaté faisait l’observation suivante en 2016 : « …il importe de cerner le concept de culture dans toutes ses nuances, mais aussi surtout, de circonscrire les référents qui fondent la culture dans le contexte africain ».

La culture apparait dès lors comme une notion au singulier avec un contenu au pluriel. La culture est comme une représentation spectaculaire avec plusieurs éléments en scène. Elle se manifeste dans sa forme la plus diverse dans les habitudes et les comportements des peuples. C’est pourquoi, Olivier Barlet écrit : « Les films venus d’Afrique fourmillent de scènes documentant longuement des rites d’initiations, des danses coutumières, des savoir-faire ancestraux». Peut-on aussi parler des identités cultuelles africaines sans poser l’équation de l’oralité et du cinéma en Afrique ? Le septième art a permis à l’art du griot de s’adapter à l’évolution du monde, d’être présent dans la modernité. Les enfants d’Afrique et d’ailleurs apprennent au travers du film « Keita ! l’Héritage du griot », un film de Dani Kouyaté, la fresque historique d’un grand roi d’Afrique sans faire le déplacement dans les profondeurs ancestrales de notre Afrique. Le cinéma emploie « l’art des maîtres de la parole » pour conter à l’écran, le cinéma se trouve dans la régénération des savoirs endogènes au moyen de la technologie. Ce film qui est aussi une histoire au service de la connaissance du passé se fait aussi à travers l’outil de la langue, un élément de fort ancrage de l’identité africaine. Dans ce film, c’est le bambara traduit en français par le sous-titrage qui cadence la narration. Ce marquage linguistique par le bambara avec le film de Kouyaté comme dans « Samba Traoré » d’Idrissa Ouédraogo est l’expression d’une audience qui dépasse le cadre actuel des frontières actuelles héritées de la colonisation. Le film de Kouyaté n’a pas besoin d’être interpréter pour être compris dans au moins huit (08) pays d’Afrique de l’Ouest. C’est une identité linguistique internationale, qui est mise en scène dans ce film à l’image du swali, du kikongo, du tamazight,de l’arabe... qui sont des pratiques langagières et linguistiques couvrant plusieurs zones géographiques d’Afrique.

L’Afrique est donc riche de ses identités culturelles. Ce n’est donc pas fortuit que Dani Kouyaté consacre l’une de ses réalisations audiovisuelles à un grand théoricien et défenseur de l’identité culturelle africaine, Joseph Ki-Zerbo , avec son documentaire intitulé en 2005 : « Joseph Ki-Zerbo, identités/identités pour l’Afrique ». Le personnage principal, l’historien, est on ne peut plus absolu sur le sens de l’identité culturelle : « Sans identité (dit-il) nous sommes un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres. Un ustensile ».
Ce film, ou encore ce document audiovisuel sur Joseph Ki-Zerbo, pour l’avis du Professeur Alain Joseph Sissao, spécialiste de littérature orale africaine « se donne à voir comme outil de transmission des valeurs africaines». Bref, nos identités culturelles sont aussi dans nos systèmes de valeurs, comme le spectateur le constate dans une série d’échanges du film « Moi et mon Blanc » de Saint Pierre Yaméogo. Mamadi, un étudiant africain dont le jeu de rôle est assuré par l’acteur Serges Bayala, est invité à déjeuner dans une famille de « Blancs ». Le sujet de la polygamie s’invite à table. Un sujet qui fait tourner au grotesque voire au ridicule le convive sur la situation de cette pratique en Afrique.
Si l’on s’en tient à cette thèse développée par le cinéaste réaliste burkinabè sans langue de bois sur cette bande audiovisuelle, la polygamie pour les Blancs a la peau dure en Afrique. C’est un point de vue de la narration du film.
Tout de même, il faut relativiser, les cinéastes d’Afrique ont été aussi des interpellateurs parfois réformistes de notre identité culturelle en termes de valeurs. Il s’agissait pour eux de faire changer le cap des pratiques jugées parfois contraignantes. Le mariage forcé, une pratique qui est monnaie courante sous de nombreux cieux d’Afrique, est une identité à redéfinir comme le suggère, le film « Djanta », de Tahirou Tasseré Ouédraogo. On se souvient que celui de Nongma d’abord consenti avec Saga a fini par tourner au vinaigre avec Batenga dans « Tilaï », un autre film d’Idrissa Ouédraogo. Que dire de l’excision condamnée, décriée dans « Moaladé » de Sembène Ousmane? Le cinéma en tant qu’expression esthétique fait ici focus sur l’éthique.
Comme dans un montage en parallèle, le concept d’ « identités culturelles » accompagne de façon subséquente un autre groupe nominal, celui des « cinémas d’Afrique… », dans la conception du thème de cette édition.
Cette interaction significative entre les deux segments de ce thème permet de dire sans ambages que les cultures d’Afrique sont portées, diffusées par un art, qui se trouve circonscrit sur un espace bien déterminé : l’Afrique.
Peut-on évoquer les cinémas d’Afrique sans parler des savoirs locaux ? Non ! Taryam est ce vieux qui a été capable avec son savoir des plantes de permettre à Nopoko, malade, de retrouver la santé, dans le film « Yaaba » d’Idrissa Ouédraogo.
Les savoirs ancestraux sont dignes d’intérêts pour de nombreux peuples actuels d’Afrique confrontés aux défis de la modernité. Les savoirs endogènes sont parties intégrantes du « Buud Yam », concept qui titre le film de Gaston Kaboré qui a remporté, le sacre du Fespaco 97. Dans ce film, Wenkuni est à la recherche d’une panacée, un remède capable de sauver sa sœur longtemps malade.
Notre identité culturelle est aussi perceptible dans le vestimentaire. Qui se souvient encore de Mani Kongo ? Ce roi de Bakongo, portant ces symboles royaux dont les traits saillants sont une toque, une canne et un collier, qui expriment et codifient bien son identité de dirigeant chez les peuples kongos d’Afrique centrale avec le film « Pièces d’identités », étalon d’or de Yennega, Fespaco 99, de Dieudonné Mwezé Nganguru. Dans ce film, le congolais ne met pas en scène, un Nègre à Paris, mais un chef d’Afrique dans ses attributs et parures de dignitaire affirmant et assumant par-dessus tout, sa différence d’homme dans une contrée loin de son royaume d’Afrique. Les identités culturelles vues au prisme des films qui animent les cinémas d’Afrique démontrent bel et bien que l’Afrique n’a pas seulement à raconter des histoires avec des images et des mots mais elles affirment et confirment que cette Afrique est bel et bien rentrée dans l’Histoire.
Victor KABRE
Critique de cinéma
Burkina Faso